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Loi (la) de Roger Vailland (analyse détaillée)

Publié le 21/10/2018

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Loi (la). Roman de Roger Vailland (1907-1965), publié à Paris chez Gallimard en 1957. Prix Goncourt.

Engagé depuis 1951 dans sa « saison communiste », Roger Vailland apprend en 1956 l'existence du rapport Krouchtchev sur les crimes de Staline (XXe congrès du parti communiste de l'Union soviétique). Il « en reste un peu comme mort », note-t-il dans ses Écrits intimes, et part vivre quatre mois dans une petite ville de l'Italie méridionale, où il se repose de ce qu'il a vécu comme un choc presque physique. Il en rapporte le matériau de la Loi.

 

Porto Manacore, petit port des Pouilles. Soixante heures du mois d'août 1956 et un foisonnement de personnages reliés par des aventures imbriquées. Trois figures principales ; Mat-teo Brigante, racketteur de tout Manacore ; don Cesare, propriétaire féodal, jouisseur, homme cultivé ; Mariette, dix-sept ans. peut-être sa fille, gérant sa virginité avec une liberté farouche.

Cinq actes se dégagent. Le premier est le « jeu de la Loi » : le gagnant a le droit de révéler ce qu'il sait de la vie privée des perdants. La virginité de Mariette, dont Matteo Brigante mime le rapt, est l'enjeu profond des parties jouées devant nous. Le deuxième est le vol, en signe de défi, du greffoir de Matteo Brigante par des gamins de la ville. Le troisième est le premier vrai rendez-vous d'amour de Francesco, fils de Matteo, avec donna Lucrezia, femme du juge, dans une caveme de la baie. Le quatrième concerne le

commissaire puis Matteo Brigante, tous deux d'accord dans leur conception de l'amour (faire la loi à l’autre), pour une fois tous deux victimes : le commissaire se laisse acculer à devenir le jouet des provocations de sa maîtresse ; Matteo Brigante, le violeur de vierges, se fait manquer par Mariette, armée du greffoir. Le cinquième est la mort de don Cesare, occasion d'un bilan apaisé-apaisant de sa vie, la main sur le sein que Mariette lui offre. Un bref épilogue élargit le temps à deux années et consacre l'échec de chacun des personnages qui tous plient et s'avilissent

Cinq actes, un seul en réalité, celui de la « Loi » qui rattrape tout le monde et qui régit la multiplicité des faits qui tissent le roman : événement matriciel donc, figure allégorique du roman dans son entier.

 

Voilà donc un roman de plaisir et de cruauté, dégagé, semble-t-il, de toute préoccupation militante. Il se déroule dans une enclave immobile d'où l'on ne s'échappe pas, un lieu où le politique, lorsqu'il se manifeste, est désin-vesti : à preuve le bilan distancié de don Cesare sur l'homme de qualité « obligé tantôt à l'action, tantôt au suicide, mais le plus souvent seulement à une succession d'engagements et de dégagements l'un l'autre s'engen-drant ». La présentation très compacte souligne cet immobilisme : quarante-deux séquences séparées par un bref blanc typographique, sans division en chapitres.

 

Ce qui domine dès lors, c'est l'amour, le sexe, présents sous de multiples formes. C'est l'art de l’effleurement « accidentel ». C'est le libertinage pour le commissaire, l'amour-viol pour Matteo Brigante. C'est le droit de cuissage exercé par don Cesare ; droit qui n'exclut pas un amour vrai, témoin la belle offrande de Mariette lorsqu'il meurt, inspirée par un sentiment fait de « crainte, de vénération et d'amour », « le plus proche de l'amour absolu auquel aspirent en vain les amants ».

« plaisir, mais qui, bien pratiqué, peut apporter le « comble de la liberté dans l'amour», la «dépendance-liberté» de faire la Loi tout en la subissant.

C'est encore l'amour tout d'instinct et d'émerveillement de Mariette et de son ami.

C'est enfin l'amour noble et grave de donna Lucrezia et de Francesco : pour lui, amour d'initiation grâce à la tendresse d'une partenaire qui sait le mener au « dénouement » de soi ; pour elle, découverte d' un corps capable d'émotion.

· Si l'amour est parfois heureux en permettant une forme d'accomplisse­ ment, il s'agit de cas exceptionnels et qui ne durent pas.

Car il implique le plus souvent un rapport de force fondé sur la dialectique maître/esclave, qui nous amène au jeu de la Loi et à la poli­ tique en soulignant la hiérarchie sociale qui pèse sur Porto Manacore.

Dès lors, le choix d'une enclave immo­ bile est peut-être moins apolitisme que protestation en creux, comme le « silence de la baie ,.

est l'« envers de la tempête du large», politique «en souffrance », parce qu'il y a pour l'auteur souffrance par la politique.

Ainsi se réintroduit dans ce roman, qui semblait y échapper, l'ambivalence dans laquelle on enferme souvent Roger Vailland : libertinage-affirma­ tion de soi/engagement social.

Dépassant cette antinomie, la vraie « Loh du roman n'est ni celle du poli­ tique ni celle du sexe, mais celle du romancier lui-même.

Qui, en effet, plus que lui, « fait la loi, a le droit de dire et de ne pas dire, d'interroger et de répondre à la place de l'interrogé», de dire-inventer sur ceux qu'il met en scène ? Qui, sinon le romancier - lequel identifie le jeu de la Loi et son roman en écrivant : « La Loi, comme la tragédie, exige l'unité d'action » -, impose magistralement à son matériau la loi d'une structure unitaire de tragé­ die ? Structure qu'il resserre encore en la combinant avec une extrême subti­ lité , et dont le troisième acte est le meilleur exemple : sommet du roman, au zénith de la deuxième journée, il reproduit la figure du jeu de la Loi, en se dessinant lui-même comme une tra­ gédie entière.

Pendant que Francesco et Lucrezia cheminent l'un vers l'autre, la progression de leur amour est mon­ trée par des retours en arrière en trois tête-à-tête, ou trois actes, le rendez­ vous à la caverne étant le quatrième acte de cette tragédie interne; le cin­ quième la rencontre postérieure où tout se défera.

La rencontre elle-même a lieu sur fond de pêche au trabucco, métaphore de ce que Francesco croit devoir faire à donna Lucrezia : la pren­ dre, la pêcher, ce à quoi se substituera un tendre dénouement (de Frances­ co/de l'action).

S'ajoute la densité obte­ nue par les images ou par les thèmes qui traversent le texte : thème des objets toujours associés à un person­ nage (fauteuil de don Cesare ; blouse de toile blanche couvrant la nudité de Mariette, image initiatrice du roman) ; thème du greffoir, décrit, utilisé, annoncé et prolongé par un homo­ nyme ou par un contexte différent (greffe de la prison, greffe chirurgicale pcmr effacer la marque de Matteo Bd­ gante) ; thème du regard, omniprésent, qui fait parfaitement sentir l'étouffe ­ ment de ce lieu où chacun sait tout de tous ; thème de la loi enfin, rappel à chaque page du titre du roman.

Cette densité tend vers l'envoûtement par les rappels de la chaleur, des parfums entêtants, des chants trouvant leur apothéose dans celui de Mariette qui s'élève au cœur de la nuit entouré de la passion silencieuse de tous, dans ce · monde où tout tourne, les jeunes gens pour la passegiata, les robes autour des tailles des filles, les hommes autour du trabucco, et les regards , les conversa­ tions, les envies , autour de Mariette.

Certes, dans le roman coffime dans. »

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