L'année 1997 dans le monde
Publié le 06/12/2018
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Ni révolution dans l'un des États où est censée s'accomplir l'Histoire, ni désastre majeur, ni disparition d'un géant, ni génocide apparent, ni création d'une monnaie continentale, ni jeux Olympiques, ni même changement de majorité aux États-Unis, la puissance qui domine désormais l'univers : de l'année 1997, rien, semble-t-il, ne ressort qui puisse marquer les annales du monde. Dans trois continents pourtant, l'Europe, l'Asie et l'Afrique, des inflexions importantes sont intervenues - par des procédures légales ici, violentes là -, qui peuvent modifier les perspectives de la fin du siècle, sans parler de disparitions qui ont provoqué une émotion à l'échelle de la planète. Deux ans avant la fin du millénaire, les mécanismes électoraux, le déchaînement de la violence à l'état brut, les lois du marché et la puissance autonome des médias auront manifesté, en ces quelques mois, leur virulence, ou leur permanence.
Convoqués devant un écran de la télévision française pour élire les dix « événements » qui en 1997 auront « fait l'histoire », ou dont on peut penser qu'ils sont porteurs d'une dynamique, voire d'une essence historique, sept historiens et journalistes - dont l'auteur de ces lignes - proposaient cette sélection, sans établir une hiérarchie particulière entre eux : le changement de majorité en Grande-Bretagne ; le phénomène symétrique (si l'on peut dire) en France ; les massacres en chaîne en Algérie ; la crise financière en cascades en Asie du Sud-Est ; la mort très médiatisée de lady Diana, princesse de Galles ; le procès Papon ; les Journées mondiales de la jeunesse, à Paris, en août ; la rétrocession de Hongkong à la Chine ; l'effondrement de Mobutu au Zaïre ; le surgissement de la pédophilie comme phénomène de société, à la suite de l'« affaire Dutroux ». Opérée à Los Angeles ou à Tokyo, une telle sélection eût probablement été fort différente. On la retiendra cependant comme instrument de travail.
C'est après dix-huit ans de prédominance des conservateurs que Tony Blair et ses partisans ont conquis le pouvoir en Grande-Bretagne, au nom de ce qu'il est bien difficile d'appeler le « travaillisme », fût-il précédé de « néo », et qui est peut-être, plus simplement, le libéralisme anglais à l'ancienne, celui que défendaient les whigs contre le conservatisme royal, devenu en Grande-Bretagne, dans les années soixante-dix, le « thatchérisme », ou dogme du profit. De quelque façon que se dévoile et se modèle le système porté au pouvoir à Londres au début de 1997 par une majorité déferlante, le monde extérieur en sera marqué par deux options de Tony Blair : l'ouverture à l'Europe et l'acceptation du dialogue avec le nationalisme irlandais. Le nouveau Premier ministre ne se présente pas comme un partisan de l'Europe aussi déterminé que son lointain prédécesseur Edward Heath (d'ailleurs conservateur), mais son approche des affaires de la Communauté, essentiellement pragmatique et conditionnelle, tranche clairement sur le rejet militant, fait d'isolationnisme claironnant, que tentait de faire prévaloir la Dame de fer. Et l'ouverture d'un dialogue entre les chefs du Sinn Fein irlandais et l'hôte de Downing Street pour tenter de mettre un terme à l'un des conflits les plus archaïques de l'Europe contemporaine est peut-être ce qui marquera la première phase du « blairisme ».
L'avènement à Matignon de Lionel Jospin est, à coup sûr, d'une portée plus
«
limitée,
compte tenu de la banalisation de ce qu'on est convenu d'appeler en
France la « cohabitation ».
Mais ce basculement apparaît néanmoins d'une
grande importance dans l'histoire de la France contemporaine, pour trois raisons
au moins.
En premier lieu, le rapport de force entre l'Élysée et Matignon est
modifié : le président a, cette fois, pris l'initiative de la manœuvre, en
contradiction avec les principes du fondateur de la v• République, hostile à la
« dissolution de confort » ; une distance nouvelle s'est ainsi instaurée entre les
chefs du néogaullisme et les institutions originelles.
La proximité entre l'élection
présidentielle et le scrutin législatif ouvre, pour la majorité élue au printemps 1997,
des perspectives de durée sans précédent.
S'il est évident qu'une nouvelle dissolution
est possible à partir de mai 1998, et que le gouvernement formé par Lionel Jospin
peut se briser sur des récifs mortels, cette ouverture sur le temps est assurément
une nouveauté, qui contribue à modifier, jusqu'en théorie, les rapports
de force entre les deux exécutifs de la République.
Enfin, c'est peut-être la
composition du cabinet Jospin qui donne à l'événement son caractère le plus neuf:
gouvernement de femmes, en effet, où plusieurs ministères clés, ceux dont l'action
est perceptible par le grand public, sont détenus par des élues, et fort repérables
comme telles, non plus comme des alibis, mais comme agents d'un pouvoir
durable.
Un phénomène historique?
Le III" Reich a inventé la « Shoah » , le stalinisme la « dékoulakisation », les
Khmers rouges l'« auto génocide ».
En Algérie, s'est développé, tout au long de
l'année 1997, un événement qui, au regard des massacres du xx• siècle, se distingue
par son opacité.
Au point que certains en sont venus à soutenir que cet anarchisme
sanguinaire, ces massacres en chaîne apparemment perpétrés par des bandes
résiduelles de la résistance « islamiste » au coup de force gouvernemental de 199 1
qui avait interrompu un processus électoral favorable au FIS, seraient le fait du
pouvoir lui-même, en vue de déshonorer aux yeux du monde l'intégrisme
musulman.
La question que soulève cette thèse est évidemment celle de l'intérêt
qu'aurait un pouvoir établi à se révéler, aux yeux de la communauté internationale,
incapable de faire régner l'ordre chez lui, premier devoir des États.
Et c'est cette
incapacité qui paraît constituer le « crime » du pouvoir militaire d'Alger, dont les
atouts ne sont pas minces et qui semble en consacrer une plus grande part à
protéger ses hydrocarbures que ses concitoyens -s'exposant, de ce fait, au
jugement du monde extérieur.
Quels qu'en soient les responsables, les massacres
d'Algérie, où se manifestent, au nom de la grande et noble religion musulmane, les
relents de sauvagerie sortis des profondeurs du Moyen Âge -et de coutumes mises
en pratique en Afghanistan, où se sont entraînés nombre de militants « islamistes »
élèves des talibans que l'on voit opérer à Kaboul -, présentent au monde
contemporain, et surtout aux voisins français, un cas limite d'illisibilité.
Il n'est pas
d'horreur, de bouleversement, de fureur totalitaire que dix docteurs ne se proposent
d'expliquer dans l'heure -sauf celle-ci, tellement proche ...
Plus propre à une première description historique semble la substitution
du pouvoir du révolutionnaire congolais Laurent-Désiré Kabila à celui du vieux
dictateur Mobutu, à Kinshasa.
Tenant le maquis depuis vingt ans, Kabila se voyait
interdire la victoire tant que les puissances occidentales -France, Belgique, États
Unis -soutenaient Mobutu.
Dès lors que l'ancien compagnon de Che Guevara,
répudiant ses amitiés compromettantes, se vit investi de la confiance de
Washington, où les experts sont moins lents que ceux de Paris à changer de
partenaire, les dés étaient jetés.
Avec l'appui de ses voisins de l'Ouganda et du
Rwanda, Laurent-Désiré Kabila, payant l'appui américain d'une part des ressources
minières du pays, devenait le maîtr e de la puissance centrale du continent noir.
On épiloguera moins sur le processus de substitution d'une dictature à l'autre que sur
l'affaissement de la prédominance française, elle-même héritière de la colonisation
belge, et cela au bénéfice des États-Unis.
Ici, l'histoire a vraiment bougé.
L'Europe
impériale du Congrès de Berlin cède le pas, après cent vingt ans d'hégémonie,
à l'entreprise américaine..
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