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Balzac et la création d’un monde

Publié le 14/01/2018

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balzac

Les « Scènes de la vie privée » Les Scènes de la vie privée, publiées

 

en 1830, comprenaient plusieurs contes : La Paix du ménage, Le Bal de Sceaux, Gobseck, La Maison du Chat-qui-pelote, La Vendetta, Une Double Famille. C'en était fini des péripéties du roman noir ou de la pure analyse des états d'âme. Balzac venait de découvrir la vie réelle. Il situait ses personnages ; il présentait les premières images de Paris. Gobseck pouvait évoquer encore le protecteur de Pixérécourt ; c'était surtout un usurier de 1830. Balzac entreprenait de raconter l'histoire de crimes légaux. Les conflits du roman noir devenaient des rivalités d'intérêts. M. Guillaume, le commerçant de la rue Saint-Denis, était la silhouette réaliste d'un de ces bourgeois de 1830 que Balzac s'était exercé à peindre dans ses chroniques journalistiques ; c'était aussi une figure représentative de son temps à la manière des personnages de Walter Scott. Au-delà de ce pittoresque satirique, Balzac déployait son génie. Il prodiguait les détails de la vie familière, il entrait dans l'intimité des drames privés, il étudiait les causes et les conséquences de mauvais mariages, il apercevait l'importance de l'argent. Il découvrait l'union du personnage et de son milieu. Il écrivait, dans Une Double Famille : « S'il est vrai, d'après un adage, qu'on puisse juger une femme en voyant la porte de sa maison, les appartements doivent traduire son esprit avec encore plus de fidélité ». La description devenait une explication des caractères. Le portrait, celui de Gobseck, cherchait à saisir, au-delà de l’exactitude pittoresque, l'expression fugitive de sa vie profonde.

 

Les personnages de ces premières Scènes n'agissent guère : ce sont des portraits plutôt que des personnages de roman. Il y a quelque chose de statique dans le Gobseck de 1830 ; c'est seulement dans les enrichissements qu'il lui a apportés plus tard que Balzac l'a fait vivre. Dès 1832, la publication de la seconde série des Scènes de la vie privée marquait une évolution de l'art du conteur vers l'art du romancier. Qu'il s'agît de la peinture d'une figure de femme (La Femme de trente ans, La Femme abandonnée) ou du récit mouvementé d'une lutte judiciaire (Le Curé de Tours, Le Colonel Chabert), le

La structure d'Eugénie Grandet présente un des schémas les plus courants de la composition balzacienne. C'était déjà celle du Curé de Tours : une lente exposition, une vaste partie centrale, une phase dramatique plus rapide. La description de Saumur ou de la maison des Grandet n'a pas seulement une valeur pittoresque ; elle aide à comprendre. Grâce au procédé du retour en arrière, l'exposition gagne de la profondeur ; en permettant de confronter des images du passé à celles du présent, elle donne du relief au personnage. Le passé est évoqué, le présent est suivi de près : la durée pénètre ainsi le roman. Tout le passé pèse sur le présent. Donner les tenants et les aboutissants, pour Balzac, ce n'est pas seulement faire le point des circonstances, ou procéder à un état des lieux avant que ne débute l'action ; c'est rendre le lecteur sensible à la qualité d'une existence qui a modelé à son image l’espace dans lequel elle s'est accomplie. Il y a, dans l'atmosphère d'une maison, l'empreinte d'une vie, comme il y a, sur les traits d'un visage, le poids des années.

 

Balzac, dans la partie centrale d’Eugénie Grandet, parvient à donner de l'importance à des détails minuscules. L'intensité du drame repose sur des riens. Grandet fait régner dans sa maison la terreur ; la vieille Nanon souligne, par son affolement, l'audace des pauvres initiatives d'Eugénie en faveur de son cousin. Maurice Bardèche a montré les effets d'opposition qui constituent l'agencement esthétique de la matière romanesque : opposition entre les demandes d'Eugénie et la distribution des provisions par son père ; entre la conversation serrée de l'avare avec son notaire et la prévenance avec laquelle Eugénie arrange le repas ; entre la frivolité de Charles gobant ses mouillettes et la frugalité du père Grandet. La réalité fictive, parce qu'elle est ici mise en acte et tissée de détails, prend sa consistance. Nous sommes entraînés, dit Maurice Bardèche, « par un courant de petites choses vers les tempêtes du drame >>. Mais aussi vers la signification qu'il comporte, et qui repose sur l'opposition d'Eugénie et de son père : celle-ci, âme pure et généreuse, tout occupée d'abord des affaires du cœur, et bientôt des choses du ciel ; celui-là, plein d'avidité, brûlé par l'âpre passion de posséder les biens de ce monde.

 

On trouverait, en comparant Eugénie Grandet à La Recherche de l’Absolu, une opposition significative des deux directions dans lesquelles Balzac devait s'engager tour à tour dans l'édification de La Comédie humaine, le roman d'une crise et le roman d'une vie. Il y a, dans Eugénie Grandet, une lutte brève, qui ne s'étend que sur quelques semaines ; la partie centrale du roman, dans ce cas, présente les escarmouches qui conduisent au conflit de deux caractères. Dans La Recherche de l’Absolu, au contraire, Balzac décrit une lente évolution, il raconte l'histoire de toute une vieillesse ; la partie centrale est alors constituée par les paliers d'une déchéance qui, peu à peu, achemine au drame. Mais comment prétendre résumer en quelques mots les procédés de

Le retour des personnages devenait aussitôt un système. Balzac n’eut de cesse qu’il ne transformât, à chaque réédition, ses ouvrages antérieurs pour les intégrer à l’ensemble. Son œuvre prenait ainsi son unité. Elle bénéficiait d’une composition organique, non d’un développement artificiel. Balzac parvenait à constituer un monde avec ses médecins, ses policiers, ses avoués, ses financiers, ses coquettes, ses dandys, ses commerçants. Le moindre épisode ouvrait maintenant sur l’ensemble. La réalité du tout l’emportait sur celle des parties. Là où bien des romanciers n’eussent réussi qu’à reproduire des noms, Balzac a su tirer des effets de perspectives. Tout se passe, dit excellemment André Maurois, « comme dans la vie, que nous découvrons baignée d’ombre ». Mme de Beauséant est une belle figure de la douleur dans La Femme abandonnée ; elle donne la mesure de sa fierté et de son courage dans Le Père Goriot. il faut, pour atteindre sa vérité, lire ces deux œuvres. Dans La Fille aux yeux d’or, de Marsay est un dandy ; dans Le Contrat de mariage, c’est un ami précieux; on le voit conduire élégamment une rupture dans Autre Étude de femme. Son vrai visage apparaît quand on confronte ces diverses images. Grâce au procédé balzacien, on possède, du même homme, des images différentes, prises sous des angles différents, à différents moments de sa destinée. Le personnage est toujours au-delà de chacun de ses avatars. Balzac, avant Proust, avait inventé à sa façon ce que M. Bardèche appelle la << troisième dimension » du personnage imaginaire.

 

une structure complexe. — Nous connaissons la cellule initiale d’où est sorti Le Père Goriot ; c’est une note d’un album où Balzac enregistrait ses projets : << Un brave homme — pension bourgeoise — 6oo francs de rente — s'étant dépouillé pour ses filles qui toutes deux ont 50 ooo francs de rente — mourant comme un chien ». Balzac a écrit, dans une lettre à Mme Hanska, qu’il avait voulu peindre << un sentiment si grand que rien ne l’épuise ». Comment douter, dès lors, que son premier dessein ait été de centrer son livre sur la figure du père Goriot, Rastignac n’étant qu’un témoin lucide qui assiste douloureusement à ce drame horrible ? L'œuvre, sous sa forme définitive, continue à faire la part belle au père Goriot : on le suit depuis ses débuts jusqu’à sa mort, l’ouvrage se termine sur ses obsèques. On voit s’accomplir son destin « d’homme ruiné par une passion généreuse et meurtrière ».

 

Pourtant le récit du Père Goriot n’est pas linéaire comme celui d’Eugénie Grandet ou de La Recherche de l’Absolu. Les épisodes qui concernent Vautrin n’entretiennent guère de rapport avec la passion malheureuse du vermicelier. Rastignac défiant Paris des hauteurs du Père-Lachaise, c’est la conclusion de ce qui précède, c’est aussi la promesse de tout un avenir. A côté du drame d’un vieillard ruiné par ses filles, Balzac nous conte celui d’un forçat arrêté par la police, celui d’une grande dame abandonnée par l’homme qu’elle aime, celui d’un jeune homme tenté par le démon de l’ambition. Le roman, à chaque instant, s’ouvre sur un nouveau drame. Le romancier ne nous conte plus seulement une aventure domestique. C’est la vie entière qu’il veut étreindre. Il se sent de taille à faire vivre un monde. Il ne nous donne pas le sentiment d’une hésitation sur le cheminement de son récit, comme une ancienne critique a pu le prétendre ; mais plutôt celui d’une sorte d’accès aisé à la complexité d’une réalité fictive. Avec Le Père Goriot, Balzac, dans

balzac

« de jeunesse :« ]'a i écrit sept romans comme simple étude : un pour apprendre le dialogue, un pour apprendre la description, un pour grouper les personnages, un pour la composition )).

Les choses ont-elles été aussi simples ? En tout cas, ses premières œuvres lui ont permis de faire son apprentissage de romancier.

Il lui restait à déco uvrir que le savoir-faire ne suffit pas ; que l'expérience technique reste subordonnée à une expérience humaine, et que le génie est une aventure où l'être tout entier se trouve engagé.

De r825 à r82 9, Balzac paraît abandonner le roman.

Ses biographes le montrent absorbé dans une entreprise commerciale malheureuse.

Elle eut le mérite de lui faire découvrir le monde réel.

En même temps, il subissait l'i nfluence du roman historique.

Après Les Chouans, le succès de la Ph ysiologie du mariage, qui opposait les réalités de l'amour physiologique aux élans éthérés des amours romantiques, n'a pas peu contribué à l'orienter vers le réalisme de la peinture des mœurs : le problème du mariage était la question centrale des Scènes de la vie privée, qui bénéfic iaient aussi de l'engouement du public pour les dessins d'Henri Monnier ou les prestes croquis de journa­ listes habiles à saisir la vie des bourgeois et du peuple.

Les « Scèn es de la vie privée » Les Scènes de la vie privée, publiées en 1830, comprenaient plusieurs contes : La Paix du ménage, Le Bal de Sceaux, Gobseck, La Maison du Chat-qui-pelote, La Vendetta, Une Double Famille.

C'en était fini des péripéties du roman noir ou de la pure analyse des états d'âme.

Balzac venait de décou vrir la vie réelle.

Il situait ses personna ges ; il présentait les premières images de Paris.

Gobseck pouvait évoquer encore le protecteur de Pixérécourt ; c' était surtout un usurier de 1830.

Balzac entreprenait de raconter l'histoire de crimes légaux.

Les confl its du roman noir devenaient des rivalités d'intérêts.

M.

Guill aume, le commer çant de la rue Saint-Denis, était la silhouette réaliste d'un de ces bourgeois de 1830 que Balzac s'était exercé à peindre dans ses chroniques journalistiques ; c'éta it aussi une :figure représentative de son temps à la manière des personna ges de Walter Scott.

Au-delà de ce pittoresque satirique, Balzac déployait son génie.

Il prodiguait les détails de la vie familière, il entrait dans l'intimité des drames privés, il étudiait les causes et les conséq uences de mauvais mariages, il apercevait l'importance de l'argent.

Il décou vrait l'union du personnage et de son milieu.

Il écrivait, dans Une Double Famille : « S'il est vrai, d'après un adage, qu'on puisse juger une femme en voyant la por te de sa maison, les appartements doivent traduire son esprit avec encore plus de :fidélité )).

La description devenait une explication des caractères.

Le portrait, celui de Gobseck, cherchait à saisir, au-delà de l' exactitude pittoresque, l'expression fugitive de sa vie profonde.

Les personnages de ces premières Scènes n'agissent guère : ce sont des portraits plutôt que des personna ges de roman.

Il y a quelque chose de statique dans le Gobseck de 1830 ; c'est seulement dans les enrichissements qu'il lui a apportés plus tard que Balzac l'a fait vivre.

Dès 1832, la publication de la second e série des Scènes de la vie privée marquait une évolution de l'art du conteur vers l'art du romancier.

Qu'il s'agît de la peinture d'une figure de femme (La Femme de trente ans, La Femme abandonné e) ou du récit mouve­ menté d'une lutte judiciaire (Le Curé de Tours, Le Colonel Chabert) , le. »

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