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CRITIQUE D'ART & LITTERATURE

Publié le 22/11/2018

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CRITIQUE D'ART. « Peinture désigne à la fois la voûte de la Sixtine et le modèle de la plus basse chromo. Or, ce qui pour nous fait de la peinture un art n’est pas une disposition de couleurs sur une surface, mais la qualité de cette disposition. Peut-être possédons-nous un seul mot parce que l’existence de la mauvaise peinture n’est pas très ancienne; il n’y a pas de mauvaise peinture gothique ». Cette réflexion de Malraux dans les Voix du silence permet de mieux comprendre l’apparition tardive de la critique d’art parmi les genres littéraires. Dans les civilisations de foi, les variables du talent individuel de l’artiste s’estompent devant l’unité d’attitude, de fonction et de réception de l’art : Giotto et les Gaddi œuvraient aux mêmes fins, leurs fresques étaient reçues pareillement par l’humble tisserand et par l’opulent drapier. A partir de la Renaissance, il n’en ira plus de même. On voit se développer le mécénat, puis la mercantilisa-tion de l’art. La commande sociale revêt un caractère différé, aléatoire; le public cesse d’être une communauté de fidèles, s’éparpille en consommateurs individuels; l’œuvre d’art cesse d’être une médiation vers le surnaturel et s’interroge sur ses propres finalités. L’art devient l’affaire de privilégiés qui détiennent le « goût » et les moyens. Qu’ils aient les moyens et pas encore le « goût » (qu’il s’agisse de bourgeois de la première génération, de princes étrangers encore rustiques, perdus dans les landes de Poméranie ou sur les rives de la Néva, abonnés à la Correspondance littéraire de Grimm, bientôt acheteurs d’État), et l’on voit apparaître le critique d'art, truchement intellectuel entre le peintre et sa clientèle virtuelle, attaché à promouvoir dans l’opinion les artistes dont les valeurs s’apparentent aux siennes.

 

Deux problèmes frontaliers s’imposent à quiconque veut traiter de critique d’art dans un dictionnaire de littérature. Le premier a trait à la littérarité de cette critique, aux raisons de ranger Baudelaire, Zola et Huysmans du côté de la littérature durable, Gustave Planche, Théodore Silvestre et Thoré-Bürger (qui eurent autant de lucidité et plus d’influence qu’eux) du côté du journalisme éphémère. Il n’existe pas de discriminant infaillible fondé sur l’écriture des chroniques d’art, et seules la notoriété ou la gloire acquises dans des genres voisins expliquent la survie privilégiée des uns par rapport aux autres. Tout en ratifiant pragmatiquement les consécrations de la postérité, il faudra se garder d’accorder aux écrivains un crédit excessif quant à la sûreté et à l’influence de leurs jugements. Adolphe Thiers a plus fait pour Delacroix que Baudelaire, Zola a méconnu Cézanne, et Valéry s’y entend moins en art qu’Élie Faure.

 

Le second problème consiste à distinguer la critique d’art de ce qui lui ressemble sans être elle : certains récits de voyages, l’histoire de l’art et des artistes, l’esthétique et la philosophie de l’art. Au sens strict, la critique d’art est une intervention à caractère journalistique portant sur l’actualité de la production esthétique. Elle n’existe qu’en étant à l’affût de ce qui n’existait pas l’année dernière ou le mois précédent. Subjective, engagée, combative, partiale, elle est comme une écume sur la vague mouvante du renouvellement perpétuel des formes, comme le cliquetis de leurs batailles. C’est dire que la critique d’art est conjecturale et non pas rétrospective, que la considération des œuvres légitimées du patrimoine culturel ne la concernerait qu’accessoirement. Toutefois, ce distinguo utile est souvent spécieux en raison de l’imbrication du savoir et des jugements sur le passé et le présent : tantôt la critique réactualise le passé, tantôt elle lui emprunte critères et canons pour mesurer l’inédit. On ne nous pardonnerait donc pas de nous en tenir à une définition étroite et de passer sous silence les genres voisins que nous avons énumérés.

 

Le récit de voyage

 

Tout voyageur se trouve confronté à des productions indigènes en matière d’ornementation, de peinture, de sculpture ou d’architecture, tantôt intégrées à sa propre culture (Rome, la Grèce, le Proche-Orient), tantôt exotiques (le reste du monde), et se sent appelé à les décrire, voire à livrer son sentiment et son jugement. Depuis les origines de notre littérature, on rencontre, dans les récits des ethnographes amateurs, des passages courts ou amples, rares ou abondants, naïfs (la description émerveillée de Sainte-Sophie de Constantinople par Robert de Clari) ou savants (celle de Saint-Marc de Venise par Michel Butor), consacrés aux « œuvres d’art », au sens que nous donnons à ce terme, que l’« art » existe de façon autonome dans la culture considérée (vestiges, temples, monuments, musées et galeries) ou qu’il soit inséparable de son contexte magique (tatouages, fétiches, crânes surmodelés, mâts totems, amulettes, empreintes et fresques propitiatoires, etc.). Une liste exhaustive serait interminable. On se bornera à signaler les « Voyages en Italie » qui sont presque des rituels initiatiques de la culture occidentale, avec leur tournée des ruines, églises, palais et collections : Montaigne, Journal de voyage en Italie par la Suisse et l'Allemagne (1580-1582; lre édition en 1774); Montesquieu, Voyages (1728-1729; lre édition en 1894); Charles de Brosses, Lettres familières écrites d'Italie (1739-1740; lre édition en 1836); Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe (1850); Stendhal, Rome, Naples et Florence (1817), Promenades dans Rome (1829); Théophile Gautier, Voyage en Italie (1852); Taine, Voyage en Italie (1866); André Suarès, le Voyage du condottiere (1932); Jean Giono, Voyage en Italie (1953). Le « Voyage en Orient », autre pèlerinage culturel, ne le cède pas au précédent en stations obligées : Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811); Lamartine, Voyage en Orient (1851); Flaubert (voir sa Correspondance). La Grèce (Maurras, le Voyage d'Athènes, 1896-1898; Barrés, le Voyage de Sparte, 1905), la Rhénanie (Hugo, le Rhin, 1842), l’Espagne (Gautier, Voyage en Espagne, 1843), la Russie (Gautier, Voyage en Russie, 1867; Custine, Lettres de Russie, 1839), l’Inde (Henri Michaux, Un Barbare en Asie, 1933), l’Afrique (Michel Leiris, l'Afrique fantôme, 1934), le Pacifique (Gauguin, Loti, Ségalen), la Chine et le Japon (Ségalen, Stèles, 1912; Claudel, Connaissance de l'Est, 1907), les pérégrinations planétaires de Valéry Larbaud, Paul Morand, Malraux, Butor, les circumnavigations de Bougainville, Dumont d’Urville, Arago offrent à des sensibilités l’occasion de maintes observations aux confins de l’anthropologie et de l’esthétique.

« l'Abrégé de la vie de peintres de Roger de Piles (1699).

Donnons en exemple Stendhal (Histoire de la peinture en Italie, 1817), Michelet (pages de son Histoire de France sur le Moyen Age, la Renaissance, Dilrer, Jean Goujon, Rembrandt, Puget.

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), Edmond et Jules de Gon­ court (l'Art au XVIff siècle, 1859-1875), Eugène Fromen­ tin (les Maîtres d'autrefois, 1876) , Huysmans (Trois Pri­ mitifs, 1892), Edmond de Goncourt (Outamaro, 1891; Hokusai, 1896), Romain Rolland (Vie de Michel-Ange, 1905), Philippe Soupault (William Blake, 1929; Paolo Uccello, 1929), Valéry (Degas, danse, dessin, 1937), Claudel (L'œil écoute, 1946), Antonin Artaud (Van Gogh, le suicidé de la société, Œuvres complètes, t.

Xlii, Gallimard), Malraux (Saturne, essai sur Goya, 1950), Aragon (l'Exemple de Courbet, 1952), Georges Bataille (Manet, 1955 ), Aragon et Cocteau (Entretiens sur le musée de Dresde, 1957), Michel Butor (les Mots dans la peinture, 1969).

Lorsque la réflexion théorique se mêle à l'approche intuitive ou historienne, la ligne de partage est parfois incertaine ave:: la rubrique suivante.

Esthétique et philosophie de l'art La France n ·a pas eu de grands théoriciens tels que Kant.

Hegel, Croce.

Panofsky ou Adorno, mais l' appro­ che conceptuelle a parfois tenté ses écrivains.

Mention­ nons l'abbé Jean-Baptiste Dubos (Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, 1719), Diderot (article BEAU de l'Encyclopédie, 1752.

réédité à partir de 1772 sous le titre Traité du beau; Essai sur la peinture, écrit en 1766 et publié en 1796; Pensées détachées sur la peinture, écrit en 1776-1781, publié en 1798), Baudelaire (De 1 'es­ sence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, 1855.

repris avec les Salons dans les Curiosi­ tés esthétiques, 1868), Taine (Philosophie de l'art, 1865), Proudhon (Du principe de l'art et de sa destina­ tion sociale, 1865), Alain (Vingt Leçons sur Les beaux­ arts, 1931), Paul Valéry [voir VALÉRY], Élie Faure (l'Esprit des formes, 1927), Henri Focillon (la Vie des formes, 1934\ Malraux (la Temation de l'Occident, 1926; les Voix du silence.

et la suite), Georges Bataille (l' Érotisme, 1957), Roger Caillois (Esthétique généra­ lisée, 1962), René Huyghe (Sens et destin de 1 'art, 1967, et autres ouvrages).

La critique d'art stricto sensu Si nous revenons maintenant à la définition étroite de la critique d'art formulée plus haut, nous constaterons qu'elle s'est pendant plus d'un siècle (1750-1880 envi­ ron) exercée en France autour d'une manifestation annuelle, Je « Salon », créé par Colbert, où ne figurent que des œuvrE-s sélectionnées par un jury de profession­ nels des beaux-arts.

Lorsque le divorce entre le goût officiel et les recherches des créateurs devint criant, on vit apparaître des manifestations dissidentes : exposi­ tions personnt:lles (Courbet opposa son propre pavillon à l'Exp ositior.

universelle de 1855, qui l'avait refusé; Manet fit de même en 1867), Salon des refusés, exposi­ tions collectives des impressionnistes, Salon de la Société nationale des beaux-ans (fondé en 1890), Salon d'automne (fondé en 1903), Salon des indépendants, Salon des surindépendants ...

accueillirent successive­ ment les dissiJents.

A partir de 1918, le rôle des salons diminua, celui des galeries et des expositions particuliè­ res prit le relais.

A travers ces manifestations se joua le sort (c'est-à-dire la légitimation culturelle) des grandes tendances de l'art moderne : peinture sentimentale, moralisante et pathétique de la fin du xvm< siècle; art néo-classique sous la Révolution et l'Empire; peinture romantique sous la Restauration; peinture réaliste sous le second Empire; et, depuis la fin du x1x< siècle jusqu'à nos jours, peinture impressionniste,. »

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