Devoir de Philosophie

L'écrivain et son mythe

Publié le 06/12/2018

Extrait du document

Mot d'écrivain ou « mot d'auteur »?

 

Le terme d’écrivain est attesté dès le xiic siècle. Avatar du mot bas latin scribanus, il dérive du latin scriba, le scribe, le secrétaire, le greffier. Primitivement, il désigne donc une qualité, une fonction : l’écrivain est « préposé aux écritures », avant de devenir, plus noblement, « préposé à l’écriture ». Le mot cependant ne s’impose pas d’emblée dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Jusqu’au XVIIIe siècle, on lui préfère souvent celui d’auteur : celui-ci définit moins l’exercice d’une activité que la responsabilité effective d’une production. L’auteur est le témoin, le garant de l’authenticité de l’œuvre. Lorsque, au xvne siècle, les deux mots rivalisent, on attribue à l’auteur l’origine des contenus, on reconnaît à l’écrivain le maniement de la langue et l’art de la mise en forme :

 

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin

 

Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

 

(Boileau, Art poétique, ch. I, v. 161-162)

 

Cette distinction est encore affinée par l’emploi, courant à cette époque, de termes plus précis qui évoquent à la fois le contenu et la manière, autrement dit le genre littéraire pratiqué : conteur, chroniqueur, tragique, rhéto-riqueur, fabuliste, philosophe...

 

C’est la professionnalisation croissante de l’activité d’écriture et l’entrée des écrivains sur la scène politique qui, à la fin du xvmc siècle et surtout au XIXe siècle, vont profondément transformer le concept d’écrivain. Au-delà du « préposé à l’écriture », celui-ci se voit investi d’une véritable fonction sociale. Le terme désigne moins, dès lors, une activité qu’une dignité, moins un emploi qu’une place dans la hiérarchie sociale et une mission créatrice.

 

L'écrivain et son mythe

 

Le livre est ingrat envers l’écrivain. D’un même mouvement, il l’exalte et le tient à l’écart. Depuis l’apparition de l’écrit, et surtout de l’imprimé, il lui réserve une place apparemment triomphale dans le circuit de la production et de la diffusion. A la différence du générique de film, la page de titre du livre occulte la « structure écrivante » qui concourt à la publication d’un ouvrage. Le nom de l’écrivain s’installe au sommet de la page, dans son « ciel », en position divine. La mention « terrestre » de l’éditeur occupe — souvent fort discrètement — la partie inférieure de la page : on vénère La Fontaine, Rousseau, Baudelaire. On oublie Barbin, Marc-Michel Rey ou Poulet-Malassis, leurs éditeurs. L’auteur (auctor) détient seul, dans l’empire de la littérature, l’autorité (auctoritas) et la légitimité du pouvoir intellectuel. Ainsi le discours commun véhicule-t-il, dans sa forme sublimée, une idéologie de l’écrivain fondée, pour reprendre le vocabulaire de Louis Althusser, sur l’« illusion d’autonomie constitutive du sujet », c’est-à-dire de l’auteur même. Cependant, en dépit de cette illusion et de la légitimité qui s’attache à l’écrivain, celui-ci demeure dans la marginalité, la dépendance, l’illégalité. Illégalité puisqu’il est longtemps, au sens propre, « hors la loi ». Dépendance née de sa douloureuse situation économique. Marginalité dans une société qu’il ne peut contester qu’en la servant.

 

L'écrivain : propriétaire-exploitant ou propriétaire exploité?

 

L’idéologie de l’écrivain paraît avoir, nécessairement, un corollaire légal : le droit d’auteur. Ce droit reste pourtant d’acquisition récente. L’Antiquité et le Moyen Age l’ignorent. 

du produit de ses terres ou de ses domaines, comme Montaigne au xvie siècle et La Rochefoucauld au siècle suivant. Il peut bénéficier de la protection — et des finances — d’un mécène, tels que furent le cardinal Jean du Bellay pour Rabelais, le duc de Guise pour Tristan l’Hermite, Nicolas Fouquet pour La Fontaine. Il peut acheter une charge d’officier (Corneille était avocat du roi au parlement de Rouen) ou obtenir, comme tant d’abbés au xviiie siècle, et, au premier chef, l’abbé Prévost, une prébende ecclésiastique. Il peut exercer un second métier rémunérateur : scribe de chancellerie, page, précepteur, régent de collège ou, comme Baudoin au xvne siècle, traducteur à la feuille. Il peut enfin — à partir de Richelieu — bénéficier du mécénat officiel : à la demande de Colbert, Chapelain établira une liste d’une centaine d’écrivains susceptibles de bénéficier des pensions royales. Il s’y ajoute des gratifications occasionnelles, ou des charges permanentes, comme celle d’historiographe du roi, occupée par Boileau et par Racine [voir Gratifications]. Enfin les membres de l’Académie française perçoivent, lorsqu’ils assistent aux séances de la compagnie, des jetons de présence.

 

La carrière de La Fontaine est, à cet égard, exemplaire : il achète à l’origine une charge de maître des Eaux et Forêts, qu’il revend par la suite. Il reçoit une pension du surintendant Fouquet en échange d’une « pension poétique » trimestrielle. Après la chute de Fouquet, il accepte une charge de « gentilhomme servant » auprès de la duchesse douairière d’Orléans, avant d’être logé et entretenu par Mme de La Sablière puis par le banquier d’Hervart. Il tentera en vain d’obtenir une pension royale, et bénéficiera seulement des indemnités de séance de l’Académie lorsqu’il y sera élu.

 

Au xvmc siècle, ce « profil de carrière » évolue. Le monde change. Sous l’influence anglo-saxonne, les préjugés tombent. Dans une société régie par la finance, gain et profit deviennent source de respectabilité. Le précepte de Boileau n’a plus cours.

« œuvre est recopiée, au besoin remaniée, et diffusée dans l e public sans que l'écrivain, s'il est vivant, puisse se plaindre du préjudice subi et revendiquer Je paiement de droits.

Seul le propriétaire de l'œuvre possède, sur celle­ ci, tous les droits.

L'appari tion du livre imprimé, la mul­ tiplication des exemplaires d'un même ouvrage et, par là, l'accroissement du profit qu'il peut engendrer vont modifier profondément les règle s du jeu.

Le système du privilège se met progressivement en place au début du xvi• siècle : Louis XII accorde successivement un privi­ lège pour l'édition des Épftres de saint Paul (1507) et pour celle des Œuvres de saint Bruno.

L'édit de Moulins, en 1566, consacre le système du privilège, que précise ensuite une ordonnance de Richelieu (1629).

Toutefois si le bénéfice de ce privilège garantit l'éditeur contre la concurrence déloyale et la contrefaçon, il n'affirme pas, pour autant, la propriété de l'auteur sur la chose écrite.

Si, au début du xvi• siècle, Marion, avocat au parlement de Paris, affirme que l'homme est maître et «s eigneur de ce qu'il fait, invente et compose », et que l'écrivain, à ce titre, «peut librement disposer» de son œuvre, cette évidence n'est que tardivement reconnue par la législa­ tion.

Pendant la seconde moitié du xvm• siècle, on admet, pour la première fois, de considérer les héritiers d'un auteur comme les seuls détenteurs du privilège d'impri­ mer, après la mort de l'écrivain.

Les petites-filles de La Fontaine furent les premières à hériter du privilège d' im press io n des œuvres de leur aïeul, en lieu et place des descendants de l'éditeur.

Il fallut toutefois attendre la Révolution française pour que ce régime du privilège d is parû t, avec tous les autres.

La loi Le Chapelier, du 1e r janvier 1791, proclame que « la plus sacrée et la plus personnelle de toutes les propriétés est l'ouvrage, fruit de la pensée d'un écrivain ».

Cette loi devait être com­ plétée, en 1793, par la loi dite de Lakanal, qui prévoit une protection de la propriété littéraire pendant toute la durée de vie d'un auteur et dix ans après sa mort.

Cette durée posthume sera portée à cinquante ans par la loi du 14 juillet 1866, durée définitivement retenue par la loi du 11 mars J 957, qui, en France, régit Je droit d'auteur et assure la protection légale des écrivains.

La conven­ tion de Berne (1886) et la Convention universelle du droit d'auteur de l'Unesco (1955) ont tenté d'organiser, dans l'espace des transactions internationales, la protec­ tion de la propriété littéraire.

La Convention de l'Unesco prévoit un copyright (« droit d'auteur ») qui s'étend seu­ lement vingt-cinq années après la mort de l'auteur.

Si la législation a tant tardé à reconnaître des droits à l'écrivain, elle lui a très tôt reconnu des devoirs : il est responsable pénalement de la teneur de ses écrits.

JI est vrai toutefois qu'il partage cette responsabilité avec l'éditeur de son ouvrage.

En effet, l'éditeur d'un livre ou le directeur d'une revue peuvent être assignés en justi ce, aux côtés de J'auteur, pour outrage à la morale publique ou atteinte à la sécurité de l'État : Poulet-Malassis, l'édi­ teur des Fleurs du mal, côtoie Baudelaire sur le banc des accusés, et Flaubert y voisine avec Pichat, le directeur de la Revue de Paris, qui publia la première version de Madame Bovary.

De la même façon, Vaughan et Clemenceau, respectivement directeur et rédacteur en chef de)'A uro re , seront entraînés dans le procès que valut à Emile Zola sa célèbre lettre ouverte, « J'accuse ».

Ainsi, la loi précise-t-elle les droits et les devoirs de l'écrivain.

Elle ne prévoit pas, cependant, les modes de jouissance ou d'exploitation d'une œuvre.

Jusqu'à une d ate récente (1957), les contrats passés entre l'éditeur et l'auteur relevaient seulement des usages de la profes­ sion.

Le plus souvent, les libraires-éditeurs rémunéraient forfaitairement les écrivains pour l'exploitation d'un texte.

Cette rémunération était le plus souvent assez fai­ ble, voire inexistante.

Il arrivait qu'un mécène subvînt aux frais de la publication ou que l'ouvrage fOt édité « à compte d'auteur», telle la première édition, chez Grasset, de Du côté de chez Swann de Marcel Proust.

Toutefois, dès le XIX e siècle, en raison de l'augmentation des chiffres de tirage, les auteur s commencèrent à obte­ nir des droits proportionnels sur .les ventes.

Ces droits, qu i, sauf dérogation, sont de règle aujo u rd'hu i, varient entre 5 % et 15 %du prix de vente hors taxe au public, selon le type de 1 'ouvrage et la notoriété de l'auteur.

L'octroi de ces droits proportionnels se trouve toutefois contourné par un système d'avances, couvrant une partie des ventes escomptées.

Ainsi, aux termes de son contrat avec Hetzel, Paulin, Dubochet et Saucbes, Honoré de Balzac devait percevoir 50 centimes pour chacun des vingt volumes de la Comédie humaine, tirés à 3 000 exemplaires, soit 30 000 francs.

Il en reçut 15 000 à titre d'à-valoir.

La somme restante devait lui être versée si les ventes excédaient les deux tiers du tirage.

On sait que Balzac du t se contenter de 15 000 francs ...

Les écrivains -et, avec eux, les éditeurs -peuvent, aux termes de la loi de 1957, trouver une autre source de revenus dans les droits dits « dérivés » : droits de traduction en langue étrangère, droits d'adaptation radio­ phonique, télévisuelle ou cinématographique.

Ces droits sont, en général, partagés également entre l'auteur et l'éditeur.

Entre celui-ci et celui-là, les rapports sont souvent ambigus : rapports de force et rapports de séduction à la fois.

Très tôt, cependant, les auteurs ont compris qu'ils devaient s'organiser pour être de taille à se mesurer avec leurs suzerains financiers : ainsi sont nés la Société des gens de lettres (1838), puis le Pen Club (1920), le Syndi­ cat national des auteurs et compositeurs (1947), et, plus récemment, le Syndicat des écrivains de langue française et l'Union des écrivains (1968).

C'est grâce aux efforts conjugués de ces différents groupements que les écri­ vains doivent de bénéficier, depuis une date récente (1977), d'un régime propre d'affiliation à la Sécurité sociale.

Le statut d'écrivain n'en reste pas moins ce qu'il est depuis l'origine : moins un état ou une profession qu'une condition ou, pour reprendre le terme aux militaires, une «d ignité».

les écrivains : photos de classes Cette condition de l'écrivain a varié au cours des siè­ cles.

La population des hommes de lettres voit se modi­ fier, d'une époque à l'autre, sa composition démographi­ que, ses origines géographiques, son appartenance sociale, ses conditions matérielles d'existence : aussi offre-t-elle un champ propice d'a nal yse à la sociologie historique.

L'écrivain est , en effet, toujours «en situa­ tion», dans le temps, dans l'espace, dans le système social.

Il est en situation dans le temps, puisqu'il apparaît, qu 'il fait carrière et qu'il vieillit pendant qu'une histoire se fait, qu'une société se transforme.

La pyramide des âges de la population des auteurs doit être rapportée à celle de la population tout entière de la nation et à un double déterminisme historique.

Avec, d'abord, des ten­ dances générales, puisque la carrière d'un écrivain suit, le plus souvent, une courbe ascendante jusqu'à la quaran­ tième ou la quara n te- cinqu ième année -date de la pro­ ductivité maximale -pour décliner ensuite jusqu'à la disparition définitive.

Avec, ensuite, des évolutions par­ ticulières, car le renouvellement du «p ersonnel litté­ raire » correspond à des événements qui modifient pro­ fondément l'équilibre de la société : fins de règnes absolutistes, comme celui de Louis XlV ou celui de Napoléon I•'; fins de périodes de guerre ou d'agitation, comme les guerres de Religion ou les Frondes.

Stabilité et autoritarisme politique contribuent, à l'inverse, au. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles