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Le fantastique dans les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam

Publié le 06/10/2018

Extrait du document

La netteté de la signification de ces trois visions nous donne un frisson terrible, parce que non seulement les visions indiquent l'existence de l'au-delà, mais encore, avec leur netteté, elles peuvent faire allusion à celle de la volonté de quelqu'un (Dieu sans doute) qui y domine.
 
En effet, la notion religieuse joue un rôle non négligeable dans ce conte. Dès le début, Villiers nous donne l'image terrible du Jugement dernier en prenant pour épigraphe des phrases des Méditations de saint Bernard. Cette épigraphe insiste sur la laideur et la futilité de l'existence terrestre de l'homme sans Dieu. Ensuite le héros se déplace vers le presbytère de l'abbé Maucombe, si bien que l'histoire se déroule dans un cadre religieux. Dans la conversation entre l'abbé et le baron, l'importance de la foi est accentuée alors que le rationalisme et le matérialisme sont niés.
 
« — Ce nonobstant, lui dis-je, nous avons l'honneur d'exister (nous, les enfants gâtés de cette Nature) dans un siècle de lumières?
 
— Préférons-lui la Lumière des siècles, répondit-il en souriant. »14 « — Eh! c'est qu'il s'agit de presque toute ma fortune! murmurai-je.
 
— La fortune, c'est Dieu! dit simplement Maucombe.
 
— Et demain, comment vivrais-je, si...
 
— Demain, on ne vit plus, répondit-il. »15
 
En outre, ce n'est pas par hasard que la figure de l'abbé se métamorphose à la lumière de
 
la bougie » et que le baron a la troisième vision juste après avoir mouillé ses paupières avec de « l'eau bénite ». Nous voyons ici la force mystérieuse de l'objet sacré. Encore, le lecteur apprend la signification symbolique du manteau de l'abbé Maucombe à la fin du conte.
 
« Il était très heureux, — disait-il à ses dernières paroles, — d'être enveloppé à son dernier soupir et enseveli dans le manteau qu'il avait rapporté de son pèlerinage en terre sainte, et qui avait touché LE TOMBEAU. »16
 
Comme nous l'avans exposé ci-dessus, la notion religieuse couvre ce conte tout entier. Au point de vue de sa fonction dans le conte, elle contribue à doter cette histoire de la cohérence et 85Le Fantastique d'après les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam
 
du ton grave et sincère, si bien qu'il y a une force de persuasion dans L'Intersigne. D'autre part, cette notion religieuse reflète les idées de Villiers. En nous montrant l'existence de l'au-delà où Dieu domine, Villiers dénonce le rationalisme et le matérialisme.
 
Troisièmement grâce à la description précise des personnages et du décor, ce conte nous donne une forte impression de réalité et de vérité.
 
«le baron Xavier de la V*** (un pâle jeune homme que d'assez longues fatigues militaires,
 
subies, très jeune encore, en Afrique, avaient rendu d'une débilité de tempérament et d'une
 
sauvagerie de moeurs peu communes) »17
 
De même que le comte d'Athol dans Véra, le duc de Portland dans
 
Duke of Portland, le comte
 
Maximilien de W*** dans Sentimentalisme et le comte Félicien de la Vierge dans L'Inconnue, le héros de L'Intersigne est une sorte d'autoportrait de Villiers. Ils portent également trois empreintes le spleen héréditaire, l'aversion contre le siècle et le tourment métaphysique.
 
Fasciné par l'horizon brillant, le héros de L'Intersigne se laisse aller à ses pensées.
 
« O toi, pensai-je, qui n'as point l'asile de tes rêves, et pour qui la terre de Chanaan, avec ses
 
palmiers et ses eaux vives, n'apparaît pas, au milieu des aurores, après avoir tant marché sous de
 
dures étoiles, voyageur si joyeux au départ et maintenant assombri, — coeur fait pour d'autres
 
exils que ceux dont tu partages l'amertume avec des frères mauvais, — regarde! Ici l'on peut
 
s'asseoir sur la pierre de la mélancolie! — Ici les rêves morts ressuscitent, devançant les moments de la tombe! Si
 
tu veux avoir le véritable désir de mourir, approche : ici la vue du ciel
 
exalte jusqu'à l'oubli. »18
 
Dans ce passage, on voit la mélancolie de Villiers : Bien qu'il soit né avec l'âme haute, il doit errer dans un monde vil. On peut trouver plusieurs exemples semblables dans la littérature


« Dans ce conte, l'intersigne émerge progresivement et infailliblement.

Avant qu'il ait un cauchemar définitif, le héros de L'Intersigne est surpris par des choses étranges.

La première chose, c'est la métamorphose du presbytère.

Lors de son arrivée, l'aspect champêtre de cette maison lui inspire «des idées de recueillement, de santé et de paix profonde »7, mais ce presbytère se transmue brusquement devant ses yeux.

«Était-ce bien la maison que j'avais vue tout à l'heure? Quelle ancienneté me dénonçaient, maintenant, les longues lézardes, entre les feuilles pâles? — Cette bâtisse avait un air étranger; les carreaux illuminés par les rayons d'agonie du soir brûlaient d'une lueur intense; le portail hospitalier m'invitait avec ses trois marches; mais, en concentrant mon attention sur ces dalles grises, je vis qu'elles venaient d'être polies, [...] et je vis bien qu'elles provenaient du cimetière voisin, — dont les croix noires m'apparaissaient, à présent, de côté, à une centaine de pas.

Et la Le Fantastique d'après les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam maison me sembla changée à donner le frisson, et les échos du lugubre coup du marteau, que je laissai retomber, dans mon saisissement, retentirent, dans l'intérieur de cette demeure, comme les vibrations d'un glas.

»8 Le deuxière étrange est la transfiguration de l'abbé Maucombe que nous avons déjà citée dans le chapitre précédent : À la lumière de la bougie, l'abbé Maucombe, qui paraît « d'une santé vigoureuse »9, se métamorphose en un agonisant.

Bien que curieuses, ces deux choses étranges peuvent être acceptées facilement par le lecteur, parce qu'il est possible d'avoir une expérience pareille dans la vie quotidienne et que l'on peut trouver une explication rationnelle : Ce n'est qu'une hallucination, soit que le baron Xavier soit très fatigué de voyager, soit que la lumière exerce une influence sur ses yeux.

Cependant, on a déjà glissé vers le monde fantastique de Villiers.

Le baron Xavier rencontre la troisième chose étrange, c'est un affreux cauchemar.

Dans son lit, le baron est réveillé en sursaut par « trois petits coups secs, impératifs »10, frappés à sa porte.

Il est au milieu de la chambre où la lumière étrange de la lune domine.

Comme je m'approchais de la porte, une tache de braise, partie du trou de la serrure, vint errer sur ma main et sur ma manche.

[...] C'était une lueur glacée, sanglante, n'éclairant pas.

— D'autre part, comment se faisait -il que je ne voyais aucune ligne de lumière sous la porte, dans le corridor? — Mais en vérité, ce qui sortait ainsi du trou de la serrure me causait l'impression du regard phosphorique d'un hibou! [...] La lueur s'éteignit : — j'allais m'approcher...

Mais la porte s'ouvrit, largement, lentement, silencieusement.

En face de moi, dans le corridor, se tenait, debout, une forme haute et noire, — un prêtre, le tricorne sur la tête.

La lune l'éclairait tout entier, à l'exception de la figure : je ne voyais que le feu de ses deux prunelles qui me considéraient avec une solennelle fixité.

[...] Tout à coup, le prêtre éleva le bras, avec lenteur, vers moi.

Il me présentait une chose lourde et vague.

C'était un manteau.

Un grand manteau noir, un manteau de voyage.

Il me le tendait, comme pour me l'offrir!...

»11 Le baron est en proie à la peur intolérable.

« je repoussai la porte de mes deux mains crispées et étendues et je donnai un violent tour de clef, frénétique et les cheveux dressés! »12 Ainsi l'étrange devient de plus en plus affreux, critique et extraordinaire.

Surtout cette troisième scène impressionnante est capable de terrifier non seulement le héros mais encore le lecteur.

Naturellement, ils essaient de justifier le mystère et de dissiper l'angoisse en oscillant entre le réel et l'irréel.

Toutefois ce fait cauchemardeux ne leur permet plus d'explication rationnelle : Examinant la serrure de la porte, le baron constate « qu'un tour de clef avait été donné en dedans, ce que je n'avais (il n'avait) point fait avant mon (son) sommeil ». À leur insu, l'au-delà commence progressivement à envahir la terre dès le début du conte, si bien que'ils arrivent à rencontrer ici une intrusion incontestable de l'irréel dans le réel.

Grâce à la construction excellente, le fantastique est magnifiquement établi dans ce conte.

D'autre part, ces trois visions nous permettent l'interprétation suivante.

La première vision, l'aspect morbide du presbytère, annonce vaguement la mort.

Ensuite la deuxième vision, la. »

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