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Les Fleurs bleues de Raymond Queneau : Signification du titre

Publié le 11/01/2020

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Français qui, « joyeux, candides, gracieux et bien-aimés ont pris pour symbole et emblème la plus blanche de toutes les fleurs : le lis ». Pour Rabelais, le bleu fait passer de la terre au ciel, et il résume en quelques mots cette signification, comme s’il était désireux d’aller vite sur ce point : « Et diray en un mot que le bleu signifie certainement le ciel et choses célestes, par mesmes symboles que le blanc signifiait joye et plaisir. »

Ainsi, le rouge, le vermeil, évoque le sang répandu et se charge d’une valeur sacrificielle. Mais c’est aussi la couleur du feu. L’armure peut être vermeille. Et, dans la symbolique des pierres précieuses, le rouge du rubis est complémentaire du vert de l’émeraude.

GLISSEMENTS

L’expression « les fleurs bleues » apparaît trois fois dans le roman : dans le titre, dans le chapitre 1 et dans le dernier chapitre, dont elle constitue les derniers mots. On aurait tort de mettre les trois occurrences sur le même plan.

Quand elle naît de la conversation entre le duc d’Auge et Sthène, Queneau procède encore par le recours à l’approximation, cet-à-peu-près qui lui est cher et sur lequel il compte pour amuser son lecteur. C’est à Baudelaire qu’il faut revenir encore une fois, à un poème des Fleurs du Mal, « Moesta et errabundaB », qui invite au voyage, à l’éloignement : « Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos pleurs ! »

La citation est reprise, à une variante près : le glissement phonétique de pleurs vers fleurs. En même temps, l’invitation au voyage tourne à l’invitation au cliché : fleurs pourrait appeler « Fleurs du Mal », mais le mot appelle, moins littérairement, « fleurs bleues ». L’effet est d’autant plus plaisant que c’est le cheval parlant qui ajoute l’épithète, tout en faisant preuve d’agacement. [Le duc] — Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos fleurs. [Sthène] — ... bleues, je le sais. Mais encore ?

« Qye penser, en définitive, de cette mystérieuse symbiose du blanc et du noir ? Qyelle sénéfiance, à la fois essentielle et obscure, se dissimule sous ces notations rapides et apparemment sans influen­ ce sur le déroulement du récit2 ? Avec le titre " Les Fleurs bleues ,, on peut penser au dahlia bleu qui fleurit, ainsi que la tulipe noire, au pays rêvé, désiré par Charles Baudelaire dans la version en prose de " L'invitation au voyages ».

Pour cela peut-être n'est-il pas nécessaire d'aller loin au bout du monde, ou même " N'importe où hors du monde4 ».

On pourrait penser, banalement, que les fleurs bleues éclosent dans la boue, comme d'autres, selon Baudelaire, peuvent éclore du mai 5 ou comme, toujours selon Baudelaire, l'alchimiste peut faire de l'or à partir de la boue6.

La dernière phrase du roman orientera vers une considération de ce genre.

Mais surtout, les fleurs (bleues ou non) meurent, pourriront, se transforment en boue.

Il en va de même pour nos rêves, pour nos aspirations, qui se dégradent en boue.

Mais, bien avant Baudelaire, c'est de nouveau la référence à Rabelais qui s'impose.

On trouve dans Gargantua toute une dissertation, le chapitre 10, sur " De ce qu'est signifié par les couleurs blanc et bleu? "· Rabelais, à dire vrai, s'attardait bien davantage sur le blanc, qui signifie " joye, soulas et liesse ,, Ooie, bonheur et allégresse), ou encore " plaisir et délectation "· Le lis est la fleur blanche par excellence, la fleur des rois de France et des 2.

Jacques Ribard, Le Moyen Age.

-Littérature et symbolisme, Champion, 1984, p.

43.

Il s'agit du Perlesvans, ou Haut Livre du Graal.

3.

Le Spleen de Paris, posthume, 1868 ; le recueil est aussi connu sous le titre Petits poèmes en prose, Éd.

de Robert Kopp, Poésie/Gallimard, 1973, p.

61-64:" Moi, j'ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu ! / Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allé­ gorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu'il fau­ drait aller vivre et fleurir ? " 4.

"Any where out of the World "•titre d'un autre des Petits poèmes en prose.

5.

Sur la signification du titre choisi par Baudelaire pour son recueil de poèmes en vers (1857-1861), on pourra consulter Pierre Brunel, Les Fleurs du Mal entre« fleurir" et • défleurir'" Éd.

du Temps, 1999, p.

55-60.

6.

"J'ai pétri de la boue et j'en ai fait de l'or"• l'un des "Vers retrouvés "de Baudelai­ re.

Voir ses Œuvres complètes, t.

I, Éd.

Claude Pichois, Gallimard, coll." Bibliothèque de la Pléiade '" 1975, p.

188.

7.

Éd.

cit.

des œuvres de Rabelais, p.

68-72.

PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 47. »

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