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France Quéré et «l’incertitude de l’avenir»

Publié le 11/01/2020

Extrait du document

Analyse du sujet

Parties du programme abordées : Problèmes de sociétés du xxe siècle.

Analyse du sujet :

Thèmes : - La jeunesse et la société.

- Pessimisme et optimisme.

- Faut-il avoir peur de l’avenir ?

- Le rôle amplificateur des médias.

Points d'histoire littéraire : l’épicurisme ; les illusions perdues (thème de nombreux romans) : problèmes d’adolescence.

Conseils pratiques : Le texte, clair et nettement structuré, se prête assez bien à la contraction.

La discussion, orientée vers des problèmes très actuels - et directement liés à l'adolescence - appelle explicitement une réflexion personnelle. Le texte constitue un bon point de départ qu’il convient d’utiliser (pour aller au-delà, bien entendu).

Ne pas oublier les exemples (même si le libellé ne les évoque pas).

Nature du sujet : Classique

Difficulté du sujet : * *

Les nouvelles générations auraient les épaules chargées d’un préjudice aussi affreux qu’inédit : l’incertitude de l’avenir.

Ces platitudes, tant de fois entendues, entretiennent une mystification à la fois déloyale et funeste. À quoi sert-il de se lamenter sur une sorte de fatalité que nos savants analystes s’appliquent à décrire comme imparable et dont ils n’essaient par conséquent jamais de nous délier? Au contraire, ils semblent enliser à plaisir la jeunesse dans son malheur. La crainte de ne pas trouver d’emploi, disent-ils avec le plus grand sérieux, dissuade les jeunes de s’appliquer à leurs études ; l’éventualité du divorce les empêche de se marier. Oui, sous ces banalités perce une équivoque complicité. En sciences humaines, les analyses ne sont jamais neutres ; elles prennent parti, quand elles ne prétendent que décrire.

En expliquant la paresse par le découragement, nos raisonneurs reproduisent et donc confortent le discours du paresseux, qui a existé de tout temps : on est paresseux par tempérament, et non pour avoir conclu à l’inutilité de l’effort. Mais la crise aujourd’hui fournit un prétexte honorable au fainéant qui s’abrite derrière sa condition de victime. L’absurdité de l’argument saute aux yeux. Comme le chômage frappe surtout ceux qui sont dépourvus de qualification professionnelle, il devrait plutôt stimuler ceux qui le redoutent, et c’est probablement ce- qu’il fait. Les observateurs seraient mieux avisés de donner des conseils d’énergie au lieu de gémir vainement sur une fatalité dont ils affectent aussi scandaleusement le mariage. L’instabilité des unions, que l’on sache, dépend au premier chef de ceux qui les dénouent. C’est sottise de l’évoquer sur le mode de la passivité, comme si les couples n’étaient pas les mieux placés pour remédier à leurs propres maux. De fait, beaucoup vivent dans l’illusion que leur vie amoureuse est subie, et non agie : on le leur dit, donc ils le disent.

Les discours actuels, commandés par le postulat que plus c’est triste, plus c’est profond, commettent cependant deux erreurs, une sur la jeunesse, l’autre sur l’avenir.

Interrogeons les adolescents sur ce qu’ils pensent du futur. Nous entendrons des réponses si variées qu’elles nous interdisent de conclure à un défaitisme général : certains sont désespérés, d’autres plus nombreux, semble-t-il, témoignent d’une confiance ingénue, beaucoup sont indifférents, ou n’y songent pas, C’est nous qui leur prêtons, avec cet effroi supposé, des réflexes de vieux, qui ne leur ressemblent guère.

Croire en l’avenir, quand on a vingt ans, et croire en soi sont à peu près la même chose. L’existence les embrase ; qu’est-ce que douter auprès de cette énergie qui les déborde ? Ils ont la vitalité de l’herbe qui se remet à pousser entre les gravats d’une ville écroulée. Qu’ils vivent avec intensité autorise-t-il à dire que le pré- 45 sent est leur refuge ? Pourquoi leur refuge ? Tant de forces en eux, tant de biens autour d’eux, comment la plupart ne donneraient-ils pas la priorité au temps de la possession sur le temps de la préparation ? Le futur est incertain, voilé, abstrait ; le présent, comme l’arbre du jardin, est séduisant à voir et bon à manger. Temps 50 entre tous royal, puisque chargé de fruits : beaucoup préfèrent ce faste à l’austérité que requiert tout avenir.

Il faudrait enfin modérer nos cantilènes® sur l’incertitude de l’avenir comme si c’était une disgrâce réservée à cette génération. Dès l’origine, le tragique blesse l’existence. Sous les jeunes deux, 55 Caïn a tôt levé son bras sur son frère. Quelle vie ne s’expose au virus, au croc des prédateurs, à la haine, à la mort, quelle histoire ne se déroule dans le risque ? [...] La différence entre nos aînés et nous, c’est qu’il ne leur serait pas venu l’idée de réclamer des garanties à l’avenir. Quelle disposition, quelle charte, quelle signa- 60 ture au bas de quel papier feront tourner le futur à notre gré ?

Il y a bien de la confusion dans les têtes. Nous voudrions que l’avenir obéisse à la règle du passé, qu’il soit tout fait avant que d’être, et que le temps ne soit qu’une mécanique qui nous renvoie sous forme de réalités ce que nous avons déposé sous forme de 65 désirs. Nous demandons appui au futur, qui, par définition, n’existe pas ; et sur nous-mêmes, en qui palpitent sang et forces, nous ne comptons pas •? Étrange fuite. . ... .

France Quêré, La Famille, 1990.

Les discours actuels sur le malheur des jeunes face à «l’incertitude de l’avenir» irritent l’auteur de cette page ; elle réplique : «Ces platitudes, tant de fois entendues, entretiennent une mystification à la fois déloyale et funeste. » Vous direz ce que vous pensez de ce point de vue de France Quéré.

Résumé

Certains prétendent que les jeunes craindraient l’avenir : banalité et mensonge, qui les entretiennent dans le doute et l’idée d’une fatalité au lieu de les en délivrer. En leur prédisant d’inévitables infortunes sentimentales et professionnelles, ces analyses ont un effet pernicieux.

On justifie ainsi le fainéant caractériel dont le vice est désormais trop bien compris. Or c’est absurde : mieux vaudrait les inciter au travail, au courage, que de pleurnicher sur un prétendu destin qui les conduirait inexorablement au divorce et au chômage !

Mais nos beaux discoureurs se trompent doublement : d’abord les jeunes ne sont pas tous si inquiets qu’ils l’affirment ; beaucoup conservent un intense désir de vie et se soucient peu de l’avenir. Pourquoi ne préfèreraient-ils pas un présent à déguster pleinement ? D’autre part l’avenir, par définition, fut toujours incertain ! Toute vie implique le danger, qu’aucun « contrat d’assurance » ne saurait éliminer...

Quelles contradictions enfin dans les esprits ! Le futur n’est pas une machine à réaliser nos désirs ; et, paradoxalement, nous aimons mieux nous appuyer sur l’avenir, naturellement inexistant, que sur l’essentiel : nous-mêmes... Bizarre aveuglement !

« Session de iuin 1991 décrire comme imparable et dont ils n'essaient par conséquent jamais de nous délier? Au contraire, ils semblent enliser à plaisir la jeunesse dans son malheur.

La crainte de ne pas trouver d'emploi, disent-ils avec le plus grand sérieux, dissuade les jeunes de 10 s'appliquer à leurs études ; l'éventualité du divorce les empêche de se marier.

Oui, sous ces banalités perce une équivoque compli­ cité.

En sciences humaines, les analyses ne sont jamais neutres ; elles prennent parti, quand elles ne prétendent que décrire.

En expliquant la paresse par le découragement, nos raisonneurs 15 reproduisent et donc confortent le discours du paresseux, qui a existé de tout temps : on est paresseux par tempérament, et non pour avoir conclu à l'inutilité de l'effort.

Mais la crise aujourd'hui fournit un prétexte honorable au fainéant qui s'abrite derrière sa condition de victime.

L'absurdité de l'argument saute aux yeux.

20 Comme le chômage frappe surtout ceux qui sont dépourvus de qualification professionnelle, il devrait plutôt stimuler ceux qui le redoutent, et c'est probablement ce qu'il fait.

Les observateurs seraient mieux avisés de donner des conseils d'énergie au lieu de gémir vainement sur une fatalité dont ils affectent aussi scandaleu- 25 sement le mariage.

L'instabilité des unions, que l'on sache, dépend au premier chef de ceux qui les dénouent.

C'est sottise de l'évo­ quer sur le mode de la passivité, comme si les couples n'étaient pas les mieux placés pour remédier à leurs propres maux.

De fait, beaucoup vivent dans l'illusion que leur vie amoureuse est subie, 30 et non agie : on le leur dit, donc ils le disent.

Les discours actuels, commandés par le postulat que plus c'est -~ triste, plus c'est profond, commettent cependant deux erreurs, une 1 sur la jeunesse, l'autre sur l'avenir.

Interrogeons les adolescents sur ce qu'ils pensent du futur.

35 Nous entendrons des réponses si variées qu'elles nous interdisent de conclure à un défaitisme général : certains sont désespérés, d'autres plus nombreux, semble+il, témoignent d'une confiance ingénue, beaucoup sont indifférents, ou n'y songent pas.

C'est nous qui leur prêtons, avec cet effroi supposé, des réflexes de 40 vieux, qui ne leur ressemblent guère.

Croire en l'avenir, quand on a vingt ans, et croire en soi sont à peu près la même chose.

L'existence les embrase ; qu'est-ce que 18. »

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