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JACOB Max : sa vie et son oeuvre

Publié le 30/12/2018

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JACOB Max (1876-1944). Vers la fin de sa vie, Max Jacob a brossé de lui-même un sublime portrait : cravaté d’ombre comme une cathédrale, jambes et pieds ogivaux, il dit s’être désiré gothique, lui qui n’alla qu’en sabots. Et il ajoutait : « Le fond de mon ventre est un opéra-comique ». Aussi l'imagine-t-on assez bien en habit d’Arlequin. Chez ce grand frère d’Apollinaire qui influença fortement le surréalisme, la farandole et la fantaisie vont au rendez-vous d'une poésie paradoxale, dont on se plaît souvent à souligner les contrastes. Ces contrastes font, par exemple, que ce blagueur infatigable fut aussi un mystique; Max Jacob aimait le silence, mais il est également un des plus somptueux flambeurs de mots que le XXe siècle ait connus... Et si beaucoup de facéties ont roulé de son cornet à dés sur le tapis vert d’une langue essentiellement ludique, il ne faudrait pas oublier que ce genre de pratique est une des plus dangereuses qui soient : jouer avec la langue, comme Max Jacob l’a fait toute sa vie, c’est porter la crise au plus profond des fondations du sujet, ce sujet qui ne tient précisément que d’être chevillé au langage.

 

La biographie de Max Jacob est devenue tellement légendaire qu’elle a parfois occulté l’œuvre elle-même. Ce fils d’un tailleur juif émigré, qui découvre Rousseau à dix ans entre deux scénarios de Guignol, a passé son enfance à Quimper, dans une Bretagne profondément catholique et terriblement superstitieuse. Aussi, dès le départ, sa vie s’inscrit-elle sous un triple signe : déracinement, mysticisme, goût pour le mystère. Nous sommes à la fin du siècle lorsque le jeune Max décide de quitter sa province natale et de monter à Paris. Il y publie des contes pour enfants {le Roi Kaboul et le Marmiton Gau-vin, 1904) et fait un peu tous les métiers avant d’aller saupoudrer ses irrésistibles badinages sur la bohème avant-gardiste de Montmartre, que ses amis Picasso et Apollinaire lui font découvrir. C’est l’époque où les rêves bleutés et la misère noire conjuguent leurs roulis contre les planches mal jointes du « Bateau-Lavoir », cette étrange demeure que le poète évoquera dans le Roi de Béotie (1921). Pour occuper ses journées, Max Jacob peint des gouaches; mais surtout, il ébauche ses premiers poèmes en prose, qu’il empile dans une grosse malle.

 

En 1909, coup de théâtre : le Christ lui apparaît dans sa chambre, surgi brutalement d’une aquarelle accrochée au mur. Il se précipite chez un prêtre, qui se moque de lui, mais il persiste dans sa conviction. Cet épisode sera d’ailleurs suivi d’une autre rencontre avec le surnaturel, cinq ans plus tard. Fantasme, hallucination due à l’éther, parodie de religiosité, influence du mysticisme breton, singerie de cette bigoterie dont regorgeait le Quimper de son enfance? On a beaucoup épilogué sur ces visions de Max Jacob. Toujours est-il qu’elles ont provoqué un bouleversement dans sa vie : sa conversion au catholicisme. Une conversion qui donne alors à son existence une tournure toute différente : après avoir publié un

 

roman truffé de vers {Défense de Tartuffe, 1919) ainsi que les textes poétiques qui feront sa célébrité {les Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel, 1912, le Cornet à dés, 1917, et le Laboratoire central, 1921), il se retire en effet, à partir de 1921, dans une cellule quasi monacale, non loin de la basilique de Saint-Bcnoît-sur-Loire, s’astreignant uniquement à la méditation religieuse, à l’écriture et à la correspondance. Pendant cette période de repli, Max Jacob n’en continue pas moins de publier : il donne deux romans parodiques, le Cabinet noir (1922) et le Terrain Bouchaballe (1920-1923), un traité rassemblant des aphorismes sur l’Art poétique (1922), et un recueil de nouvelles, le Roi de Béotie.

 

Après six années — entrecoupées de courts voyages en Bretagne, en Italie, en Espagne — de cette retraite passée entre l’écritoire de bois et la messe du matin où on le voit se battre la poitrine, Max Jacob revient à ce Paris du dandysme qui l’avait dégoûté. Nous sommes en 1927. Dix ans passent. A nouveau lassé de sa vie factice, il aspire à retrouver la paix de Saint-Benoît. Il s’y fixe définitivement, vivant de la vente de ses gouaches. Dès lors, vers la fin des années 30, l’obsession de la guerre le tenaille, mais aussi la passion du divin. Les persécutions antijuives et la déportation de sa sœur vont le convaincre qu’il « mourra martyr ». Il est en effet arrêté par la Gestapo, le 24 février 1944, et meurt le 5 mars d'une bronchopneumonie au camp de Drançy, rejoignant ainsi ces « visages de papier brûlé » qu’Eluard chanta dans Au rendez-vous allemand. Son corps repose aujourd’hui, comme il l’avait souhaité, à Saint-Benoît-sur-Loire.

 

L’œuvre de Max Jacob s’ouvre avec deux titres qui donnent assez bien la tonalité de l’ensemble : Saint-Matorel (1911), qu’illustra Picasso, et les Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel, un recueil de poèmes que Michel Leiris place dans sa « bibliothèque idéale », auprès de Desnos et de Roussel. Trop longtemps négligés par la critique, ces livres sont de la trempe du futur Laboratoire central : le mysticisme latent s’y incurve sans cesse vers une ironie qui n’hésite pas à se plagier elle-même, et, dans un mouvement inverse, le fou rire intérieur dérape fréquemment vers une lucidité désespérée. Lucidité qui, chez Max Jacob, se métamorphose souvent enjeu : les Œuvres burlesques, en particulier, cascadent sur la rampe fortuite d’un théâtre dont le registre essentiel est le jeu verbal, entre la comptine traditionnelle et le limerick anglo-saxon. Ainsi Max Jacob passa-t-il sa vie à faire bruisser la langue comme il faisait tinter le domino dans ses récréations d’adolescent.

 

Quant à ses autres recueils poétiques, il faut les placer à l’origine de la poésie moderne avec ceux d’Apollinaire. Si la langue du poète d' Alcools est plus musicale, celle de Max Jacob joue sur des unités plus courtes, préférant ainsi le travail sur le signifiant à la modulation mélodique.

 

Publié en 1917 à compte d’auteur alors que le jeune bohème débarqué de Quimper était encore un inconnu, le Cornet à dés est sans doute le livre le plus lu et le plus important de son œuvre. Après une préface célèbre, où Max Jacob fait part de son credo esthétique en définissant la poésie à partir de la notion de « situation », le recueil rassemble deux grandes parties d’où surgissent des poèmes en prose qui évoquent plus d’une fois les tours de l’escamoteur, et même les loopings des premiers aéroplanes : dérision, goût du calembour, collages, jeux d'ombre qui rappellent un Aloysius Bertrand, fallacieuses illusions d'optique, prestiges de saltimbanque tout droit sortis de la gidouille du Père Ubu, anecdotes inspirées par les rêves, tels sont les procédés qui font de l’art un « mensonge réussi », comme l'affirmera une phrase de l'Art poétique. Un mensonge dont le ressort essentiel vient sans doute du traitement « raisonné » et systématique du hasard, comme à la roulette.

« Et c'est sur ce point que le Cornet à dés, ce journal de tous les instants, innove le plus.

Par petites phrases discrètes qui semblent jalonner le quotidien du poète comme les sortilèges d'une loterie, la réalité s'y présente de revers, offrant une vision télégraphique d'elle-même qui révèle la part d'inconnu qu'elle recèle, à la manière d'une toile cubiste.

Anamorphosée sous le jeu de loupes qui la renvoient à sa magie inquiétante, elle se déploie en corolles, faisant ainsi apparaître toutes les facettes du dé à la fois : les poussières du vécu, les lapsus, les actes manqués, les petites coïncidences qui attiseront plus tard la fantaisie surréaliste, les faits divers, la babiole, Je gag, tout cela y côtoie le tragique et la gravité sans qu'aucun filtre, aucune censure vienne privilégier un élément ou transformer le chaos en cosmos.

A n'en pas douter, de toutes les face �.

de ce dé, il en est une qui hantait souvent Max Jacob : la septième.

Celle qui se trouve dans l'en­ vers du miroir et dans la logique illogique des songes : «Je me suis appliqué à saisir en moi, de toutes les maniè­ res, les données de l'inconscient : mots en liberté, asso­ ciations hasardeuses des idées, rêves de la nuit et du jour, hallucinations, etc.».

C'est dire le régime nocturne des textes de .\1ax Jacob, dont le lyrisme tient à cette inconscience contrôlée qui fait de la poésie un «rêve inventé », comme l'a dit Marcel Béalu.

Comme au jeu de trictrac, on voit alors les poèmes du Cornet à dés résonner en rebondissant selon une combi­ natoire infinie.

dont le sens ultime est à rechercher du côté d'une esthétique « non-sensique ».

Chantre de la transcendance lorsqu'il s'agenouillait devant le taberna­ cle de Saint-Benoît, Max Jacob vide la poésie de cette même transcendance.

Il la débarrasse de ses vieux stig­ mates religieux : il démystifie et désacralise les méta­ physiques de �'in spiration, abandonnant sa plume aux règles aléatoires du signifiant, à cette mécanique d'auto­ engendrement qui désamorce le langage de sa fonction sociale et utilitaire.

Autre effraction : le Cornet à dés fait entrer dans le domaine poétique tout ce qui, jusque-là, était censuré pour trivialité, qu'il s'agisse de l'argot familier, des noms de rues ou d'enseignes, ou encore de cette quincaille:rie d'objets désuets qui passent >, dira Max Jacob, qui retourne le quotidien comme un gant et démultiplie le langage à la manière cubiste, afin de mieux faire. »

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