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Malheur dans le tragique

Publié le 17/02/2016

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Dans la littérature, la notion de malheur revient fréquemment mais est toujours exploitée différemment. Alain, dans son œuvre de 1931 Vingt leçons sur les beaux-arts dit «  Le tragique n’est pas le malheur réel et imprévu […] mais au contraire dans le malheur attendu, dont on entend les pas, qui arrivera, qui est déjà arrivé, qui fera son entrée comme un acteur. ». Nous allons voir comment cette citation d’Alain nous permet de mieux comprendre pourquoi Phèdre de Racine et Frankenstein de Mary W. Shelley sont en relation avec le monstrueux. Tout d’abord, Alain explique ce qu’est, d’après lui, le tragique mais aussi ce qu’il n’est pas. D’après le Petit Larousse de 1906, le tragique vient des tragédies grecques et est le caractère de ce qui est terrible. Mais ici, le plus important est la notion de malheur qui vient du latin malum et signifie l’idée de destin et de fatalité. Le malheur est similaire aux expressions « mauvaise heure », « mauvais moment » ou encore « heure du mal ». Alain oppose l’évènement spontané et la continuité du malheur dans sa citation. Nous remarquons qu’au moment où il donne sa définition nous trouvons différents temps verbaux : le passé, le présent et le futur. Cela rappelle la continuité du mal. Notre objectif est de mettre cette analyse en relation avec nos œuvres et le monstrueux. Le monstrueux vient du latin monstrum soit un avertissement des Dieux ou chose bizarre mais vient aussi de monstrare qui signifie montrer, exposer. La notion de monstruosité revient dans les deux œuvres que nous allons mettre en relation : Phèdre de Racine, 1677 et Frankenstein de Mary W. Shelley, 1818. Dans Frankenstein, la monstruosité se trouve dans la création d’une créature et la mort incessante. Dans l’œuvre de Racine, c’est Phèdre qui est un monstre moral mais nous retrouvons aussi une mort sans limite. Tout au long de l’analyse nous comparerons ces deux œuvres. Avec cette analyse du sujet nous nous demanderons : le tragique est-il, comme l’explique Alain dans sa définition, un malheur infini ou bien une multitude d’évènements monstrueux qui font sombrer les personnages dans le malheur ? Nous dirons que le tragique peut être défini comme la continuité du malheur et de la monstruosité puis que nous pouvons quand même dire que le malheur, ou heure du mal, est un instant court, et que seul un acte monstrueux peut déclencher ce malheur ; enfin nous nous demanderons si nous ne pouvons pas, plus généralement, définir le tragique comme le destin tracé d’une monstruosité absolue. Nous allons, en premier lieu, nous mettre au niveau du point de vue d’Alain et nous pouvons dire que le tragique peut être défini comme la continuité du malheur, un malheur présent tout au long de l’histoire mais aussi encré dans le passé et le futur.Cette continuité est d’abord représentée par une dégradation permanente des personnages aussi bien dans Phèdre que dans Frankenstein. Dans l’œuvre de Mary W. Shelley nous expliquerons pourquoi quand Victor Frankenstein est le narrateur, il emploie le passé pour parler du bonheur et nous pourrons comparer cette dégradation avec celle du personnage de Phèdre. Tout au long de l’histoire narrée par le docteur Frankenstein nous observons une chute continuelle de lui-même mais aussi de toute sa famille. Quand il raconte son enfance il emploie le champ lexical du bonheur, du calme et de la pureté. La première phrase de sa narration est « […] j’appartenais à l’une des familles les plus distinguées de ladite république » et nous relevons « honneur », « amitié »,  « chance », « amour », « paisible foyer » et « bondissant de joie ». Mais nous retrouvons plus tard la marque du passé pour parler du bonheur vécu étant jeune « Mon père essayait de réveiller en moi des sentiments d’affection. Il me parlait de Genève, que je reverrais bientôt, d’Elizabeth et d’Ernest, mais il ne réussissait qu’à m’arracher des gémissements de désespoir. Il m’arrivait cependant d’éprouver comme un vague désir de retrouver le bonheur […] par le désir de revoir le lac bleu et le Rhône rapide que j’avais tant aimés dans mon enfance ». Dans cette citation nous voyons, naturellement, le passé de narration mais aussi la trace du passé évoquant le bonheur et en parallèle nous remarquons la dégradation du personnage par rapport au début de l’œuvre. A la fin de l’œuvre il ne pense qu’au désespoir, à la mort. Dans Phèdre, le personnage éponyme est dans la même situation. Elle est en chute libre dès le début de la pièce. Elle apparaît seulement à la scène 3 de l’acte I et ses premières répliques sont « N’allons point plus avant. Demeurons, chère Oenone. / Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne. / […] Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi. / Hélas ! » aux vers 153 à 157. Nous remarquons qu’elle se découvre au public ou lecteur comme une âme déjà abandonnée. Le « N’ » du début de la réplique montre qu’elle emporte sa confidente dans les ...

« VETILLART LAURE Monstre et monstrueux Pour le 18/11/14 21301157 Dissertation comparée avec elle.

Plus loin dans la pièce, plus précisément dans l’acte IV à la scène 6, des vers 1307 à 1326, nous pouvons tracer une continuité du malheur dans ses répliques tragiques.

Nous retrouvons le champ lexical de la fuite, de la mort et de la monstruosité : « je fuyais », « j’évitais », « Il en mourra », « monstre exécrable », « sort déplorable », « va », « lâches », « faiblesses », « crime », « détestables flatteurs » et « colère céleste ».

Nous pouvons en déduire que le malheur la suit depuis un temps infini et sera toujours là, il s’acharne sur elle.

Pour faire une analyse plus profonde de la monstruosité nous voyons que « monstre exécrable » et « sort déplorable » sont des rimes plates étroitement liées.

Elle essaye de s’imprimer cette idée dans ses pensées, comme le fait Victor Frankenstein quand il se parle à lui-même « j’avais créé un monstre mais cela fait aussi de moi un monstre et ce sort me suivra tant que je serai en vie », « Hélas ! J’étais condamné à vivre.

», dans les œuvres nous retrouvons le mot « Hélas ! » qui suscite la pitié mais exprime aussi le désespoir des personnages.

Nous voyons donc une dégradation constante des protagonistes. Pour expliquer la continuité du malheur mais aussi de la monstruosité nous allons prendre tout au long de l’analyse l’exemple du cycle interminable.

Dans Phèdre l’avertissement des Dieux est important aux yeux de chaque personnage et nous allons nous intéresser plus particulièrement à la descente aux enfers de Thésée.

Dans Frankenstein nous allons observer une boucle constante autour des personnages qui correspond à la descente dans les ténèbres.

L’enfer et les ténèbres sont tous deux des côtés sombres de l’existence et de l’au-delà.

Ces deux lieux sont hantés de créatures monstrueuses.

C’est donc par cela que nous pouvons dire que la monstruosité peut être comme le malheur : une continuité.

Dans Phèdre la descente dans les ténèbres de Thésée est explicite alors que la descente du docteur est beaucoup plus implicite et en suspens.

Thésée raconte ouvertement sa mauvaise expérience dans l’acte III scène 5 des vers 953 à 987 et introduit un vocabulaire reposant sur l’épouvantable, le sanglant, l’atroce et l’inhumain.

Nous relevons : « horreur », « prison », « flamme », « tyran », « monstre », « cruel », « sang », « sombre », « Dieux », « terreur », « crime », « coupable ».

Thésée était emprisonné au sens propre du terme mais dans Frankenstein nous retrouvons la même situation.

Victor Frankenstein est emprisonné, à un certain moment pour un crime qu’il n’a pas commis, mais il est surtout pris au piège à partir du moment où il donne vie à sa créature.

Jusqu’à la fin de sa vie il sera poursuivi par la mort.

Les derniers mots de l’œuvre de Mary W.

Shelley sont « Il fut bientôt emporté par les vagues et se perdit au loin, dans les ténèbres.

».

Ce lecteur ne sait pas ce qu’il se passe après, l’auteure laisse libre cours à son imagination.

Mais nous pouvons penser que même dans les ténèbres, Frankenstein est plus au calme que quand il était en vie car il était enfermé dans un monde d’enfer, de malheur et de monstruosité.

Nous pouvons parler de cycle ténébreux surtout dans l’œuvre Frankenstein car elle se termine avec le mot « ténèbres » mais nous retrouvons dans l’épigraphe le même mot : « T’avais-je requis dans mon argile, Ô Créateur, / De me mouler en homme ? T’ai-je sollicité / De me tirer des ténèbres ? - » qui est un extrait de Le Paradis Perdu.

Ces paroles proviennent de la bouche de la créature et sont adressées à son créateur.

La créature y est sortie pour que finalement le créateur y plonge progressivement.

C’est un cycle sans fin.

Dans Phèdre , nous retrouvons ce mouvement cyclique quand Thésée sort des enfers, Phèdre s’engouffre dedans.

Mais la différence principale entre les deux œuvres réside dans le fait que dans Phèdre , contrairement à Frankenstein , nous remarquons le tragique évident et l’avertissement des Dieux.

Par exemple dans l’acte III, à la scène 2, Phèdre implore Vénus de s’obstiner sur Hippolyte : vers 819-82 « Hippolyte te fuit, et bravant ton courroux, / Jamais à tes autels n’a fléchi les genoux / […] Déesse, venge-toi : nos cause sont pareilles.

» Phèdre implore la pitié de la déesse de l’amour et de la beauté en essayant de se venger d’Hippolyte par l’intermédiaire de Vénus. Les Dieux ont une place importante, qui rappelle la mythologie mais aussi les originelles tragédies grecques.

Dans Frankenstein , tout repose sur la science, la logique et le réel. Maintenant nous verrons que dans Frankenstein il y a une part d’illusion et un certain avertissement.

Et dans Phèdre , plus que des avertissements célestes, nous retrouvons des conseils de certains personnages vis-à-vis de Phèdre.

Oenone est la confidente de Phèdre mais est surtout une source permanente de conseils et d’avertissements envers sa maîtresse.

Dans la scène 6 de l’acte IV Oenone, dans sa réplique du vers 1297 « Vous aimez.

On ne peut vaincre sa destinée.

» avertie explicitement Phèdre des mauvais présages qui la guette.

Ici nous observons la notion de fatalité.

Dans Frankenstein un avertissement est apparent mais du point de vue du lecteur.

Dès la préface, l’auteure nous explique comment elle a créé son œuvre : « je vis un pâle un étudiant […] agenouillé auprès de la chose qu’il avait assemblé.

[…]Il dort ; mais il est éveillé ; il ouvre les yeux ; voilà que 2. »

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