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Le personnage principal : Meursault

Publié le 13/01/2020

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la conception du personnage de Camus hérite de celle qu'on trouvait dans les romans de Joyce ou de Faulkner, d'où disparaissait le créateur tout-puissant qui organise et hiérarchise les êtres et les choses ; elle anticipe sur la conception que développeront plus tard les théoriciens du « nouveau roman ».

UN PERSONNAGE DE « NOUVEAU ROMAN »

Dans les années 1950, Alain Robbe-Grillet s'en prendra à la critique traditionnelle suivant laquelle « un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. S'il a des biens, cela n'en vaudra que mieux. Enfin, il doit posséder un \"caractère\", un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr ». Et Robbe-Grillet constate, citant notamment L'Étranger, qu'« aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond sur ce point aux normes de la critique1 ».

Il est vrai que Meursault ne répond guère aux caractéristiques du « personnage » tel qu'on le rencontre chez Balzac. S'il a un nom, il n'a pas de prénom (on ignore comment Marie l'appelle) : les deux syllabes qui suffisent à le désigner y gagnent une valeur symbolique plus forte. On sait qu'il n'a guère de « biens » : cette pauvreté contribue à faire de lui une victime de la société. Sa profession est à peine évoquée : employé de bureau, il s'occupe de « connaissements » (p. 43), c'est-à-dire des récépissés du chargement des marchandises transportées par bateau ; il travaille donc dans une compagnie maritime et apparaît, jusque dans son métier, de manière peut-être symbolique, comme un homme de la mer. Son aspect physique ne se devine qu'à son dégoût pour les gens qui ont la peau blanche. De son passé (études interrompues, vie avec sa mère), nous savons très peu de chose. On apprend au passage qu'il a, « dans un temps », séjourné à Paris (p. 70).

« restreint la conscience et l'expérience que Camus peut avoir du monde.

Ce rôle joué par son personnage a_ été mis en valeur par Sartre dans son « Explication de L 'Étranger ,, : « Entre le personnage dont il parle et le lecteur, il (Camus) va intercaler une cloison vitrée.

Qu'y a-t-il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre ? Il semble qu'elle laisse tout pas­ ser, elle n'arrête qu'une chose, le sens de leurs gestes.

Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de !'Étranger.

C'est bien, en effet, une transparence : nous voyons tout ce qu'elle voit.

Seulement on l'a construite de telle sorte qu'elle soit transparente aux choses et opaque aux significations 1• » Meursault est sensible au monde, c'est-à-dire vulnérable à l'ombre et à la lumière, attentif aux réactions de son entou­ rage, sensuel dans ses relations amoureuses.

Mais il ne cher­ che pas à interpréter ses sensations et ses perceptions.

Vécues à l'état brut, c;elles-ci prennent plus de force que chez un être qui les passerait au filtre de sa réflexion.

Sans le savoir, Sartre reprend, avec l'image de la vitre, un symbole dont Camus s'était déjà servi dans ses Carnets : « La femme qui vit avec son mari sans rien comprendre.

Il parle un jour à la radio.

On la met derrière une glace et elle peut le voir sans l'entendre.

Il fait seulement des gestes, c'est tout ce qu'elle sait.

Pour la première fois.

elle le voit dans son corps, comme un être physique, et aussi comme un pantin qu'il est 2• n Les gestes apparaissant à la femme en eux-mêmes, et non plus accompagnant des paroles, son mari lui est révélé dans son apparence physique.

indépendamment du sens qu'elle donne d'ordinaire à leur relation.

Dans L'Étranger, en voyant le monde à travers la conscience de Meursault, nous découvrons des situations et nous accédons à des percep­ tions coupées du sens qu'elles prennent pour nous dans la vie.

La réflexion des Carnets a d'abord une valeur morale : la situation insolite de l'épouse révèle à celle-ci l'inauthenticité de sa vie conjugale ; dans L 'Étranger, de même, la conscience brute de Meursault démasquera la comédie de la vie, en par­ ticulier lors du procès, où les acteurs deviennent eux aussi des « pantins n.

La réflexion de Sartre va plus loin ; d'ordre non seulement moral, mais littéraire, elle montre comment 1.

Publié dans J.-P.

Sartre, Situations I (p.

106-1071.

2: A.

Camus.

Carnets.

1 (Ëd.

Gallimard, 1962, p.

156-157), noté par Camus pendant l'année 1939, c'est-à-dire pendant la rédaction de L ·~tranger.

29. »

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