Quels sens prennent dans ce roman l'ennui et le divertissement?
Publié le 05/08/2014
Extrait du document
Le titre, emprunté à une des Pensées de Pascal, et complété dans la dernière phrase du roman — « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. « (p. 244) —, met immédiatement le lecteur sur la voie d'une interprétation morale et philosophique de l'oeuvre. Mais s'agit-il encore du divertissement au sens pascalien —se détourner de la conscience des vicissitudes de la condition humaine — et pour lut¬ter contre quelles formes de l'ennui ?
(Un roi sans divertissement (1947) de Jean Giono.)
«
174
d'aventures de sa nouvelle existence, comparativement aux campagnes militaires
menées en Algérie :
« Il a fait l'Algérie.
Il était à Oran avec Desmichels et à la Macta
avec Trézel et il disait que ce n'était pas de la peau de lapin que de se faire foutre la
frottée par des arbis déguisés en femmes.
» (p.
158), et il garde même une nostalgie
du pays :
«Il y a un village du côté de Mer-el-oued, disait Langlois, c'est pareil.
-
Il
n'y a pas de neige? disait-elle.
-Non, mais il y a du soleil, disait Langlois.
»
(p.
53)
Il.
Des divertissements aux enjeux inégaux
Les distractions anodines
Pour lutter contre cet ennui, certains ont recours à des divertissements sans
conséquence, comme Delphin-Jules qui fume rituellement sa pipe
« posé sur le
fumier», Frédéric Il qui consacre plusieurs heures à réparer une petite horloge, ou les
vieux du village qui, chaque jour aux mêmes heures, jouent aux cartes et boivent un
verre au Café de la route.
La nature elle-même participe
au divertissement à chaque
printemps, lorsque la lumière et les couleurs reviennent et que l'horizon s'élargit de
nouveau.
Le spectacle
du hêtre et de sa parure multicolore, décrite au début du roman,
en est
1' illustration parfaite.
Il y a également d'autres plaisirs sans gravité, mais plus
exaltants, comme la messe de minuit au mois de décembre ou les fêtes à
Saint
Baudille organisées par Mme Tim, spécialiste du divertissement.
Saucisse, quand elle
ne cuisine pas, parle de
« la marche du monde » avec Langlois, le Procureur ou
Mme Tim.
Langlois, lui-même, ruse contre l'ennui avec certains divertissements
comme l'élégance
de ses tenues vestimentaires, ses parades à cheval, ses cigares ou -
déjà plus significatif -son labyrinthe en buis, sans parler du
« bongalove » et du
mariage, qui sont aussi pour lui des
« divertissements ».
Les plaisirs cruels
« [ ...
]les hommes s'ennuient, ils ont la capacité d'ennui.
De là, la création de
tous les vices, de là, la création de tout ce que vous pouvez imaginer, de là, les crimes,
parce qu'il
n'y a pas de distraction plus grande que de tuer; c'est admirable; la vue
du sang est admirable pour tout le monde.
» affirme Jean Giono dans le 3e entretien
radiophonique accordé en 1953 au cinéaste Jean Amrouche.
Il y a en effet dans le
roman des divertissements hors nature, qui relèvent de la pure cruauté puisque la vie
humaine y est sacrifiée.
Giono fait d'ailleurs référence à plusieurs reprises aux sacri
fices humains pratiqués par les Aztèques, à propos
de visages métamorphosés par les
ombres de
l'hiver: «Ils ont tous l'air de prêtres d'une sorte de serpent à plumes ...
»
(p.
15), ou de la nature transformée par l'arrivée de l'automne:« Chaque soir, désor
mais, les murailles du ciel seront peintes avec ces enduits qui facilitent l'acceptation
de la cruauté et délivrent les sacrificateurs de tout
remords.» (p.
37) Il s'agit bien sûr
des meurtres accomplis par M.V., sans raison aucune, de la battue au loup, avec son
cérémonial méticuleux, et du suicide de Langlois dans
« un énorme éclaboussement
d'or qui éclaira la nuit pendant une seconde.
» (p.
244) Ces morts violentes sont
annoncées par le leitmotiv du sang sur la neige, qui plonge ceux qui le contemplent -
Bergues, le loup, Langlois -dans une fascination proche de l'hypnose, forme incons
ciente de divertissement..
»
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