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LE ROMAN FRANÇAIS AVANT BALZAC : Un genre conventionnel

Publié le 14/01/2018

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balzac

Portrait des héros Ils sont dépourvus de vie vraie, ils ne

 

sont que des silhouettes aimables, leurs passions se déploient dans le décor uniforme du meilleur monde, et Bardèche était fondé à définir ce type de fiction comme une histoire sentimentale à dénouement variable entre personnes de la société. Les plus belles villes d'Europe sont le décor obligé de ces amours. Le héros appartient à l’aristocratie anglaise dans la plupart des cas ; c'est un diplomate, à moins qu'il n'ait embrassé la carrière des armes ; il tient son prestige de ce quelque chose d'impassible et de fiévreux qui lui communique un air fatal. Il n'est pas rare que, dans le cours du récit, on le voie exposer sa vie dans un combat dont il revient couvert de gloire. Sa bravoure devant le danger n'a d'égale que sa faiblesse devant l'amour : une marque de froideur de la part de celle qu'il aime suffit à le faire entrer en pâmoison. Surtout, le monde auquel il appartient n'est jamais un milieu véritable, ce n'est qu'un vague décor. L'inconsistance du personnage ne tient pas seulement à une psychologie conventionnelle et sommaire, mais aussi à quelque chose de vague et de désincarné. Le héros n'affronte aucune difficulté véritable. S'il est victime de fréquents malentendus, ce n'est pas en vertu des erreurs que chacun peut commettre sur soi-même ou sur autrui : c'est à cause des tromperies d'une personne méchante. Si nous insistons sur ces traits, c'est qu'ils permettent de mieux comprendre l'apport du roman balzacien ou stendhalien : la première vertu de leur réalisme sera d'insérer le personnage dans un milieu, de le faire se mesurer à des forces hostiles avec lesquelles il lui faut compter.

Le roman noir, qui venait de l'étranger,

 

rencontra en France un prodigieux succès à la fin du xvme siècle : jusque vers 1840, les traductions devaient se multiplier et susciter de nombreuses imitations. Le Château d’Otrante (1764) d'Horace Walpole avait été un des premiers livres qui fît de la terreur le ressort de l'intérêt, mais il passa longtemps inaperçu, et ce sont les romans d'Ann Radcliffe, L’Italien, Les Mystères d’Udolphe, qui exercèrent en France la plus profonde influence avec Ambrosio ou le moine de Lewis, sur lequel bien plus tard les surréalistes devaient attirer l'attention. Il est assez difficile de faire l'histoire de ce roman noir, qui va du roman populaire de Ducray-Duminil au Jean Sbogar de Théophile Gautier ou au Bug-Jargal de Victor Hugo. On peut distinguer1 le « roman à spectres » — celui d'Ann Radcliffe par exemple, — dans lequel interviennent des phénomènes surnaturels ; le < roman de brigands », dans lequel des attaques à main armée, des séquestrations, des disparitions mystérieuses constituent le ressort de l'intérêt ; des romans dont l'originalité (comme le Moine, de Lewis, traduit en 1797) tient au caractère monstrueux du criminel, à la dépravation de ses instincts qui conduit à de sombres histoires de sang et de folie ; enfin, des romans dans lesquels figure un personnage surnaturel, ou, à tout le moins, un personnage qui a obtenu, fût-ce pour quelques instants seulement, une puissance surnaturelle après avoir conclu un pacte avec le démon. A vrai dire, ces distinctions sont arbitraires ; il est fréquent que, dans tel ou tel roman, tous les caractères indiqués ci-dessus se trouvent réunis. Il y a, par exemple, dans le Moine, l'apparition surnaturelle de la Nonne Sanglante ; le récit d'un guet-apens tendu à d'innocents voyageurs au milieu d'une forêt ; un personnage monstrueux, Ambrosio, qui conclut avec Satan un pacte qui lui confère des pouvoirs surnaturels ; des jeunes filles séquestrées dans les souterrains d'un couvent.

 

En tout cas, le roman noir est le roman de la persécution. Le ressort de l'intérêt tient aux rapports du scélérat et de sa victime. Le héros, l'héroïne, le scélérat et le protecteur en constituent les personnages essentiels. Le criminel est souvent un hypocrite (c'est le cas d’Ambrosio dans le Moine) qui est châtié à la fin ; si le justicier arrive trop tard pour sauver la victime innocente, il arrive assez tôt pour démasquer le coupable. A côté de cela, tout un bric-à-brac de la terreur envahit toutes ces œuvres du début du siècle : des spectres, de vieux châteaux, des orages, des enfants persécutés. Au plus bas niveau, Victor ou l’enfant de la forêt (1796), Cœlina ou l’enfant du mystère (1798) : l'invraisemblance des épisodes et l'absurdité de leur enchaînement caractérisaient cette littérature mercantile. Mais les plus grands romanciers de l'époque romantique devaient s'inspirer plus d'une fois des procédés du roman noir. Hugo a commencé par là : Bug-Jargal et Han d’Islande sont ses premiers essais de romancier ; et l'auteur de Notre-Dame de Paris, et, bien plus tard, des Misérables, est resté marqué par les romans noirs qu'il lut pendant son adolescence.

ou à la définition du genre. On agitait seulement, dans les préfaces ou dans quelques traités théoriques, la question de la moralité du roman, ou l'on se contentait de déplorer les extravagances de l'intrigue. Parmi ces écrits théoriques, il faut citer : L'Essai sur les fictions de Mme de Staël, L'Idée sur le roman du marquis de Sade, la Satire des romans du jour de Millevoye, l’Introduction à l’histoire d’Adolphe et de Silvérie de Quesné, et le traité de Dampmartin intitulé : Des Romans.

 

La première chose qu'on trouve, dans ces écrits théoriques, c'est une critique des procédés auxquels avaient recours les romanciers. Par exemple, dans la Satire des romans du four (i8o2), poème d'une dizaine de pages, Millevoye se livrait à une violente critique du roman noir :

 

<< Non, je ne lirai plus que Molière et Racine.

 

C'en est trop, je suis las de ces tristes récits,

 

Gigantesques enfants de cerveaux rétrécis.

 

Loin de moi ces cachots, ces lampes sépulcrales,

 

Ces spectres échappés des rives infernales

 

Et ces châteaux affreux, noirs séjours de la mort ».

Dans les commentaires qu'il avait eu le soin d'ajouter à ses vers, Millevoye évoquait ces << tristes romans », — Ambrosio ou le moine, Les Mystères d’Udolphe, L’Abbaye de Graville — << qui se ressemblent tous et qui, tous, ne ressemblent à rien ». Il s'en prenait aussi aux romans historiques, qui osent « mêler l'Histoire avec d'absurdes fables >>, aux romans de Sade, « dégoûtant amas de lubriques fureurs ».

 

J.-S. Quesné, en 1822, regrettait qu'aucun auteur n'eût réussi à donner « des règles précises pour fonder le roman ah C'était, selon lui, une chose surprenante qu'un genre qui connaissait un si grand succès n'eût point suscité de recherches esthétiques. Aussi se proposait-il de montrer « à quels signes, à quels caractères » on pouvait « reconnaître un bon roman ». Mais, avec les meilleures intentions du monde, il s'en tenait, comme les autres théoriciens de son temps, à des considérations banales, qui, chose frappante, rappelaient les préfaces des tragédies du xviie siècle : on recommandait une action simple et unique, de la vérité dans la peinture des caractères comme dans la marche des événements, enfin le double dessein de plaire et d'instruire.

 

Pourtant certaines indications révélaient l'espoir d'un roman futur qui devait conduire loin des piètres conventions du roman noir ou du roman d'intrigue sentimentale. Mme de Staël assurait que « les romans qui peindraient la vie telle qu'elle est ( ...) seraient les plus utiles de tous les genres de fiction »h Quesné, de son côté, notait que « le bon roman ne doit avoir rien de romanesque », et il répudiait toutes les conventions en usage chez les romanciers. Il voulait que le roman devînt « la peinture naturelle des mœurs du siècle

balzac

« à cet égard, un phénomène sans précédent : non seulement son auteur conna issait une immense popularit é, mais, surtout, il proposa it à ses contemporains, par le truchement de ses héros, des leçons d'amour, de sagesse et de bonheur.

C'est avec ce livre que s'étab lit « l'em pire moderne du roman >>; c'est à pa rtir de lui que chaque génération devait demander à ses romanciers, comme l'écrit René Pomeau,. »

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