Le roman sentimental avant « L'Astrée »
Publié le 23/03/2018
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d) il est probable que certains romanciers, sensibles à ces dissonances sans savoir les exprimer, goûtaient, outre l'émerveillement naïf dont nous avons parlé plus haut, un plaisir beaucoup moins naïf à l'irréalisme de leurs histoires et à l'obscurité de leur langage affecté. Dans un· roman de Des Escuteaux, les Avantureuses fortunes d'Ipsilis et d'Alixée (1602), la princesse Alixée a compris que ses parents l'autorisaient à aimer le prince Ipsilis (c'est un des passages trop rares où le style gourmé et les formalismes de la politesse recouvrent une finesse réelle de sentiment); elle écrit donc au prince une lettre en un obscur galimatias où elle lui dit qu'il a bien tort de placer son amour si bas, modestie qui équivaut sans doute à un discret encouragement. Le prince reçoit la lettre, il la baise, baise les caractères, la signature, finalement il la lit, mais elle est si contournée qu'il n'en comprend pas un mot; il se demande « s'il doit vivre ou mourir, espérer ou craindre », « il s'arreste fanta,stiquement sur ce que la belle veut entendre » jusqu'au moment où un visiteur vient le distraire de sa perplexité. Des Escuteaux n'est donc pas dupe de son propre amphigouri. Un peu plus de lucidité et d'adresse, et il rendrait . sensibles d'un même coup l'ambiguïté des âmes et l'ambiguïté de l'œuvre d'art, ce jeu du mensonge et de la vérité auquel se plaît l'esthétique baroque.
Je vois un groupe sur la mer.
Quelle mer? Celle de mes larmes.
Mes yeux mouillés du vent amer
Dans cette nuit d'ombre et d'alarmes
Sont deux étoiles sur la mer,
quand on lit ceux-ci (# d'ailleurs détestables », dit G. Reynier, trop sévère) que N ervèze a mis dans une lettre de Méléagre à Florigène;
Mes vœux vont costoyant les rives de la mort
Sur la mer de mes pleurs, tes yeux servans d'estoilles :
Et pour pousser ma nef à ce tenebreux port,
Mon deuil fournit les vents, et ton voile les voiles ! ...
«
d'une fiction sentimentale, élémentaire et banale (inébranlable fidélité de deux
amants, que n'altèrent ni les obstacles ni les séparations), ils groupent régulièrement
deux sortes d'épisodes : des voyages et des combats.
Voyages sur terre (avec leurs
difficultés, leurs dangers, leurs rencontres imprévues) [ ...
] voyages sur mer [ ...
]
avec leurs suites presque obligées, tempêtes, naufrages, abordages par des galères
ennemies, enlèvements par des pirates barbaresqu es.
-Combats : en tous pays,
contre les chrétiens et contre les infidèles [ ...
].
Que l'on joigne à cela quelques
déguisements, des cavaliers (( sous la robe pélerine •>, des jeunes filles empruntant
le costume masculin pour suivre ou pour ramener un amant et déf endant énergique
ment leur vertu contre les femmes qui se méprennent sur leur sexe ou contre les
hommes qui le devinent : l'on aura à peu près tous les éléments ef-sentiels de ces
romans d'aventures ».
Quelques autres s'inspirent des romans grecs, mais la
description qu'en donne un peu plus loin G.
Reynier ne diffère pas beaucoup de la
précédente : moins de combats et de travestis, mais, en compensation, des suppo
sitions d'enf ants, des jugements, des supplices, de fausses morts, de doubles ou
triples reconna issances.
Le plus grand nombre sont des romans sentimentaux,
que le même érudit oppose aux premiers et qu'il juge plus conformes aux aspira
tions de l'époque : l'amour qui y est dépeint est pudique, chaste, fidèle ; la personne
aimée, ou plutôt adorée, est une jeune fille, « il faudra attendre longtemps, jusqu'à
La Princesse de Clè ves, pour retrouver un roman de femme mariée »; l'amour est
malheureux, non pas parce qu'il est une passion dévorante (encore que la.
»
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