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VERHAEREN Émile : sa vie et son oeuvre

Publié le 11/11/2018

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VERHAEREN Émile (1855-1916). L’huilerie de son oncle, jouxtant la maison familiale, et le large Escaut contrasté des abords d'Anvers constituent, dès l’enfance du poète, les assises des deux grands pôles imaginaires, cosmiques et industriels qui se partageront l’œuvre à venir. Les premières années de Verhaeren, qui naît à Saint-Amand (Sint-Amands) s’y immergent tout entières. Elles se déroulent à l’ombre d’un monde familial aisé — mais moins policé que celui de nombre de ses futurs pairs — et dominé par les femmes. A quatorze ans, l’adolescent entre au collège Sainte-Barbe de Gand; il y côtoie Georges Rodenbach et écrit ses premiers vers. L'huilerie familiale ne l’intéressant guère, il entame en 1875 des études de droit à Louvain, où il rencontre notamment Albert Giraud et Iwan Gilkin, en compagnie desquels il collabore à une revue estudiantine, la Semaine des étudiants. C’est de la fusion de cette revue, sabordée par les autorités ecclésiastiques, avec son homologue bruxellois, la Jeune Revue littéraire, où écrivait Max Waller, que naîtra la Jeune-Belgique. Sa devise : « Soyons nous », entendait déjà affirmer la nécessité d’une indépendance des arts... Docteur en droit en 1881, Verhaeren devient stagiaire chez l’avocat Edmond Picard, dont les idées socialisantes achèvent la transformation idéologique du poète, entamée à Louvain. Dès cette époque, son intérêt pour la peinture s’affirme et s’exprime dans le Journal des beaux-arts et de la littérature, où ses positions détonnent. Il se lie d’amitié avec Khnopff et James Ensor, auxquels il consacrera les premières monographies importantes, ainsi qu’avec Théo Van Rysselberghe, qui immortalisera plusieurs fois les traits du poète. Cette connivence procède de l’extraordinaire capacité visuelle de Verhaeren. Pour l’exprimer librement, celui-ci passe en 1882 à la revue l'Art moderne, que dirige Edmond Picard. Cette collaboration ne l’éloigne toutefois pas des Jeune-Belgique, que des positions strictes en matière de perfection formelle opposeront souvent aux partis pris d’engagement et de lisibilité défendus par Picard. Nouvel exemple de la double nature, oscillatoire et non contradictoire, du futur poète des Forces tumultueuses et de la Multiple Splendeur...

 

Sa vie se confond désormais avec les phases successives de sa production littéraire. A noter toutefois que le mariage du poète, en août 1891, avec le peintre Marthe Massin, une Liégeoise, contribue largement à l’apaisement de l'homme, à son éloignement des zones mortifères du symbolisme, à son engagement progressiste envers la cité nouvelle et la célébration du monde. Ce rôle salvateur de sa femme, essentiel psychanalytiquement, ne se démentira plus jusqu’à sa mort. Il l’amène même, en 1894, à renoncer à la passion qui le porte vers Marie Van Rysselberghe, la future « petite dame ». Alors que sa réputation nationale et internationale s’accroît, le poète se fixe dans la simplicité, en 1899 à Saint-Cloud et au « Caillou-qui-bique », dans le sud du Hainaut. Devenu l’apôtre d’une culture humaniste de l’enthousiasme généreusement ouverte au monde mais enracinée jusqu’à l’exaltation, Verhaeren reçoit de plein fouet le camouflet de l’agression allemande du 2 août 1914. Cette mise à mort du rêve de l’internationalisme ouvrier, auquel le poète avait voulu donner son âme, comme la désolation sinistre qui triomphe sur sa Flandre natale ravivent la vieille anxiété dont il avait pu se croire libéré et l’engagent plus que jamais dans l’adhésion pathétique à sa patrie martyre, dont il devient véritablement le barde. Sa mort accidentelle en gare de Rouen, où il est happé le 27 novembre 1916 par l’express de Paris qu’il s’efforçait de prendre en marche pour rejoindre Marthe, n’est pas sans évoquer le sort tragique des héros rebelles de son théâtre qui s’offrent à l’holocauste dans un mélange aveugle d'espoir absolu et de désespoir. Du petit cimetière de Wulveringen (près de Fumes) où elle avait été déposée durant la guerre, la dépouille mortelle de Verhaeren fut solennellement transférée, le 7 octobre 1927, dans son village natal, où, ultime possession mythique, elle repose au bord de l’Escaut : sobre et solennelle comme l’antique passeur d’eau dont il avait voulu fixer la forte — et désormais illusoire — présence.

verhaeren

« l'exaltation, Verhaeren reçoit de plein fouet le camouflet de 1' agression allemande du 2 aoOt 1914.

Cette nùse à mort du rêve de l'internationalisme ouvrier, auquel le poète avait voulu donner son âme, comme la désolation sinistre qui triomphe sur sa Flandre natale ravivent la vieille anxiété dont il avait pu se croire libéré et l'enga­ gent plus que jamais dans 1 'adhésion pathétique à sa patrie martyre, dont il devient véritablement le barde.

Sa mort accidentelle en gare de Rouen, où il est happé le 27 novembre 1916 par l'express de Paris qu'il s'efforçait de prendre en marche pour rejoindre Marthe, n'est pas sans évoquer le sort tragique des héros rebelles de son théâtre qui s'offrent à l'holocauste dans un mélange aveugle d'espoir absolu et de désespoir.

Du petit cime­ tière de Wulveringen (près de Furnes) où elle avait été déposée durant la guerre, la dépouille mortelle de Verhaeren fut solennellement transférée, le 7 octobre 1927, dans son village natal, où, ultime possession mythique, elle repose au bord de l'Escaut : sobre et solennelle comme l'antique passeur d'eau dont il avait voulu fixer la forte -et désormais illusoire-présence.

Entre les deux termes, presque superposés, de cette boucle scaldienne, Verhaeren a donné plus de vingt recueils, quatre pièces et de nombreuses proses.

Dans un premier temps, le code parnassien enserre des croquis visuels qui égrènent leur truculence charnelle dans les Flamands (1883) et leur austère âpreté dans les Moines (1886).

La Belgique conformiste s'émeut de ces visions naturalistes, peu coutumières du jardin des Muses, où le jeune auteur parcourt en fait, à ciel ouvert, les deux versants de son héritage culturel, paillard et mystique.

Suivent les grands recueils noirs qui coïncident avec une grave crise morale et le décès des parents du poète.

Les Soirs ( 1887), les Débâcles ( 1888) et les Flambeaux noirs ( 1891) opèrent dans l'œuvre un formidable saut qualita­ tif : non seulement ils libèrent le vers mais ils cessent d'être purement descriptifs pour devenir visionnaires.

L'enlisement sublime d'une subjectivité menaçant folie s'y rythme en vers saccadés et haletants, truffés de néo­ logismes, au sein d'images rurales littéralement halluci­ nées.

Si le ressassement thématique apparente alors Verhaeren aux symbolistes, son martèlement plastique sc révèle déjà expressionniste.

Cette synthèse instable domine le troisième mouvement de l'œuvre, où le poète met en acte et transfigure, d'un côté, la mort des campa­ gnes et de leurs croyances, de l'autre, la potentialité transformatrice du monde industriel.

Cela donnera les Campagnes hallucinées ( 1893) scandées par les «Chan­ sons de fou », et les Villages illusoires (1895), plus nos­ talgiques, où resurgit à tout jamais la Flandre scaldienne, ainsi que le lyrisme progressiste des Villes tentaculaires ( 1895), tendues vers le futur.

Le premier drame de Verhaeren, les Aubes (1898) -que Meyerhold mettra en scène en 1921 -cherche à synthétiser ce passage révolutionnaire capable d'abattre l'ancien monde.

Mais la puissance tourbillonnante de l'écriture, son adaptation souple aux spectacles de masse concernent étrangement la vieille part de folie des campagnes perdues, alors que le triomphe de la cité nouvelle se profère dans une métri­ que classique empêtrée de considérations humanistes qui sclérosent la pièce.

A la même époque, Verhaeren ana­ lyse avec acuité la peinture et le destin maudit de Rembrandt.

Préparé par les Heures claires (1896) et illustré par les Visages de la vie (1899), un mouvement s'achève; les deux nouveaux domiciles du couple le concrétisent.

La contradiction tragique de la révolte va désormais faire place à une double célébration où l'accent Verhaeren se reconnaîtra à une certaine hypertrophie.

D'un côté, 1 'exaltation prophétique de 1' a venir de 1' homme, capable de dominer le monde -et non d'être dominé par ses forces obscures -donne les Forces Tumultueuses ( 1902), la Multiple Splendeur ( 1906) et les Rythmes sou­ verains (1910).

L'obsession du poète de posséder l'hori­ zon y rejoint le vaste mouvement de mondialisation de la société occidentale, qu' i 1 transpose et idéalise.

De l'autre -contrepoint de l'universalisation -, Verhae­ ren célèbre en cinq recuei 1 s, échelonnés de 1904 à 1911 et rassemblés sous le titre générique Toute la Flandre, le singulier pays qui sous-tend son imaginaire : la Flandre scaldienne des plaines et des « villes à pignon ».

C'est le moment où il donne une excellente étude sur Ensor ( 1908) et un bien médiocre essai consacré à un autre peintre flamand, Rubens ( 1910).

Ces vastes cycles d'exa­ cerbation optimiste du monde sont toutefois compensés par des drames historiques comme le Cloître ( 1900), Philippe II (1901) et Hélène de Sparte (1909), qui sont scéniquement faibles mais entretiennent dans l'œuvre la veine névrotique des poèmes hantés par la folie.

De leur côté, les Heures d'après-midi ( 1905) et les Heures du soir (1911) assurent à l'écrivain son autre site d'enraci­ nement -apaisant, cette fois - : le culte de Marthe.

L'ultime période de l'œuvre voit Verhaeren exalter sa patrie mise à feu et à sang : c'est l'heure de la Belgique sanglante et des Ailes rouges de la guerre (1916).

Le cycle s'achève ainsi, dans un fléchissement stylis­ tique certain, sur l'image nodale du martyre et sur l'ef­ fondrement des illusions.

Maintes traces de cette hantise sont visibles dans l'œuvre- et particulièrement dans le théâtre, où la figuration dramatique dévoile clairement les obsessions parricides du héros et leur lien au besoin de purification; la volonté d'instaurer une fratrie capable de restaurer la tendresse et la miséricorde maternelles, et la nécessité pour l'impur héraut de la révolte de disparaî­ tre et de laisser à autrui le soin d'achever sans lyrisme la stabilisation du sursaut.

Une telle structure explique le type d'engagement qui fut celui de Verhaeren et éclaire le parcours de cette œuvre qui «régressa)> peu à peu vers un classicisme stylistique pour lequel elle n'était pas faite, au lieu d'accentuer dans la langue les secousses transformatrices qu'elle y avait esquissées.

Elle s'ac­ corde sans doute assez adéquatement à 1' esthétique expressionniste, dont Verhaeren est un des rares repré­ sentants en langue française.

Elle a d'autre part trouvé dans le paysage scaldien des abords de 1' embouchure de quoi alimenter en permanence sa hantise d'un horizon fuyant où disparaître et se posséder en même temps; et, dans l'écoulement vaste et sournois du fleuve, de quoi étayer et enraciner, tout au long des recueils, les angois­ ses du poète.

C'est sur cette profonde unité imaginaire, servie par un rythme accumulatif courant vers l'horizon, que se déploient les valeurs de miséricorde attachées aux mon­ des qui meurent.

Et aussi ces valeurs de transfiguration accordées à l'univers que la justice sociale était censée lever miraculeusement.

Dans cette perspective, l'exalta­ tion de l'énergie et de l'enthousiasme, plus liée qu'il n'y paraît au dynamisme capitaliste de l'époque, supplée aux «bavures» formelles que Verhaeren suspecta d'autant moins que la cause était noble et juste.

[Voir aussi BELGI­ QUE.

Littérature d'expression française].

BIBLIOGRAPHIE Éditions.

-Œuvres, Paris, Mercure de France, 1912-1913, Genève, Slatkine Reprints, 1977, 3 vol.

Les Campagnes hal/uci­ nüs.

les Villes tentaculaires, Gallimard, «Poésie>>, Paris, 1982 (éd.

M.

Piron); Sensations d'art, Paris, Séguie r, 1989 (éd.

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Dey ro lle ).

On se reportera à J.M.

Culot, Bibliographie de E.

Verhaeren, Bruxelles, Palais des Académies.

1954.

A consult.er.

-L.-Ch.

Baudouin, le Symbole chez Verhaeren, Genève, Mongenet, 1924: R.

Bodart, Verhaeren hier et aujour­ d'hui, Tournai, Unimuse, 1966: H.

Fre ts , l'Élément germanique dans /"œuvre de Verhaeren, Genève, Slatkine, 1975; E.K.

J osef­ son, la Vision citadine et sociale dans l'œuvre de Verhaeren, Lund, Gle eru p, 1982; S.I.

Kalinowska, les Motifs décadents dans les poèmes d'E.

Verhaeren, Varsovie, 1967; P.E.

Knabe et. »

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