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VERSET BIBLIQUE (problèmes du)

Publié le 12/11/2018

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VERSET BIBLIQUE (problèmes du). La conception du verset biblique à l’occasion de traductions (par exemple, en français) est un des meilleurs exemples qui soient de la projection du regard occidental, de son histoire, sur un objet extérieur à sa culture, et qui n’a pu être vu ensuite qu’à travers la grille dont il était recouvert.

 

Dès son entrée dans le monde grec, la Bible est vue à travers les catégories littéraires et rhétoriques de la Grèce, c’est-à-dire l’opposition entre la prose et la poésie, les discours non métriques et les discours métriques. Philon, Flavius Josèphe, saint Jérôme cherchent des analogues aux mètres grecs, à la fois pour faire comprendre aux Grecs, puis aux Romains, le caractère des textes sacrés et pour permettre à ceux-ci de rivaliser avec les grands poèmes grecs.

 

Cette recherche d'une métrique hébraïque s’est poursuivie jusque dans la première moitié du xxc siècle. La philologie du XIXe, qui l’a portée à sa perfection, a fait ressortir sa négation systématique de la tradition même (massôrâh) qui a fait le texte. Car il fallait sans cesse qu’elle le refasse pour le faire correspondre à ses théories métriques. Cette recherche a connu au Moyen Âge, dans le contact, dès le Xe siècle, avec les Arabes, essentiellement quatre conceptions. Pour l'une, les mètres originaux étaient perdus. Pour l’autre, les chants de la Bible avaient des mètres, qui étaient l’origine des mètres arabes. Pour Juda Ha Levi, il n’y avait pas de mètres, mais une organisation du chanté par les accents bibliques. Pour d’autres, enfin, passant à une conception rhétorique — et non métrique — de la poésie, était poésie ce qui était figure.

 

Après des siècles d’échec des tentatives métriques, l’évêque anglais Robert Lowth, en 1753, dans Praelec-

« tiones de sacra poesi Hebraeorum, proposa la théorie qui régit encore actuellement la conception générale du verset biblique.

Puisqu'il n'y avait pas de mètres, mais que, rhétoriquement, il était impossible qu'il n'y eût pas une poésie et une prose, il fallait que la définition de la poésie fût rhétorique.

Lowth proposa comme critère du poétique, dans la Bible, le parallelismus membrorum, organisation duelle et symétrique du verset, selon trois types : le parallélisme synonymique, où un second mem­ bre répète le premier en changeant les termes, par exemple: Et il jugera entre les nations, et il sera l'arbitre pour des peuples nombreux (Isaïe, Il , 4); le parallélisme antithétique, où le second dit le contraire du premier : Car le Seigneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méc han ts se pe rd (Ps.l, 6); le parallélisme synthétique, où le second membre expli­ cite le premier : Tu dresseras devant moi une ta b le , face à mes ennemis, tu as parfumé d'huile ma tête, ma coupe déborde (Ps.

XXIII, 5).

Bien que le troisième type ait été souvent critiqué pour son caractère composite, le parallélisme comme structure fondamentale du verset biblique passe encore pour sa nature autant dans la vulgarisation courante que dans la plupart des travaux spécialisés.

Le structuralisme littéraire, avec Roman Jakobson, s'en est même saisi pour généraliser le parallélisme et en faire une loi du poétique.

Seul, et le premier, un livre récent, celui de James Kugel, en faisant l'histoire des notions à travers lesquel­ les a été vu le verset biblique, a montré, à la fois, que la typologie ternaire du parallélisme méconnaissait la diversité d'organisation des versets, où il décèle onze types, et que le parallélisme était non une découverte, mais une invention de Robert Lowth, une stratégie pour faire entrer les discours de la Bible dans la bipartition hellénistique, qui est la nôtre, entre le vers et la prose.

Cependant, James Kugel, qui modifie la notion du paral­ lélisme par une analyse structurale, loin d'y renoncer, la maintient.

Or, il est remarquable que jamais l'exégèse juive n'a parlé du parallélisme, non plus que la Bible elle-même ne contient aucun terme équivalant à ceux de la tradition grecque, pour la métrique, ou la poésie, ou la prose, encore moins le parallélisme.

Deux éléments interviennent pour miner le parallé­ lisme du verset biblique.

Le premier est que sa concep­ tion de la synonymie est doublement inconsistante : d'un point de vue général, celui d'une linguistique du dis­ cours, où même une reprise de l'identique n'est plus 1' identique, puisqu'il y a renforcement; du point de vue de l'exégèse juive, placée devant un texte d'inspiration divine où tout a un sens, et qui, maîtrisant la concordance du texte comme nulle autre, n'a cessé de montrer la différenciation du sens.

Quand il y a ressemblance, c'est qu'il y a différence.

La fécondité des commentaires est la démonstration empirique de la non-synonymie, même là où il y a, rhétoriquement, des parallèles.

Ce ne sont pas les parallèles qu'il y a lieu de nier là où il y en a, mais à la fois leur statut de loi du verset et leur statut différenciateur d'une poésie et d'une prose.

Le second élément est l'omniprésence d'une rythmi­ que inscrite dans le texte, et dont la notation, contempo­ raine et solidaire de la fixation même du texte et de sa vocalisation, est la transmission d'une tradition orale ancienne, comme le prouvent les noms de certains accents qui indiquent une chéironomie -des mouve- ments de mains et de doigts pour diriger la lecture, l'into­ nation montante ou descendante.

Un manuscrit de la Sep­ tante du ne siècle avant notre ère porte des espacements, qui montrent que cette rythmique était la seule ponctua­ tion du texte.

Cette rythmique, composée d'accents dis­ jonctifs et conjonctifs, hiérarchisés entre eux, a une valeur de groupement et de dégroupement, qui est une valeur pausale; une valeur sémantique; et une valeur mélodique, celle de la cantillation.

Elle fait donc, insépa­ rablement, le sens et la lecture du verset, ce qu'indique le nom de ces accents, te 'amim, de ta 'am, à la fois « saveur » et « sens » - sens du discours, non des mots.

Cette rythmique régit la totalité des textes bibliques.

Elle efface donc toute possibilité d'opposer une prose à une versification.

La seule différenciation qui intervient est purement technique et mélodique : elle porte sur les trois textes de Job, Proverbes et Psaumes, aux versets plus courts, qui ont d'autres accents que les vingt et un autres livres de la Bible.

Cette rythmique ne montre aucune différence avec les passages donnés explicite­ ment comme des « chants » (comme celui de Moïse, Exode, xv).

On voit qu'elle ne correspond pas non plus aux distinctions traditionnelles entre livres « poétiques» et «historiques» ...

D'autre part, cette rythmique, cette cantillation, ne cesse de brouiller et de contrarier les oppositions rhétoriques privilégiées par Je parallélisme.

Ainsi l'histoire et la théorie du verset biblique appa­ raissent indissociables, et plus que jamais l'effet de l'histoire du regard occidental sur la Bible.

Qui se carac­ térise ici par l'occultation massive et encore actuelle des te 'arnim.

Occultation qui a valeur de symptôme.

D'où il ressort une incompatibilité radicale entre le ver­ set biblique selon Lowth, ou selon Juda Ha Levi.

Elle illustre l'opposition entre le primat du rythme comme sens, qui est celui des te 'arnim, et la méconnaissance du rythme par J'entrée dans le dualisme hellénistique.

Ce qui situe l'importance centrale, et l'actualité, du pro­ blème du verset biblique pour la poétique.

[Voir aussi BIBLE].

BIBLIOGRAPHIE James L.

Kuge1, rhe /dea of Biblical Poerry, Paral/elism and ITs HisTory, Yale University Pre ss, 1981; Henr i Meschonnic, les Cinq Rouleaux, Gallimard, 1970; id., Jona eT le signifiant erranT, Ga lli ma rd , 1981; id., Cririque du ryThme, Anrhropologie hisTori­ que du langage, Verdier, 1982.. »

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