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Vous paraît-il légitime d'opposer ainsi la démarche du journaliste à celle de l'historien ?

Publié le 11/01/2020

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Analyse du sujet

Partie du programme abordée : Le XXe siècle.

Analyse du sujet :

—Thèmes : le journaliste et l'historien : l'information, les médias, etc. ; les rapports du journaliste avec la vérité.

' — Points d'histoire littéraire : connaître le nom de quelques écrivains qui furent aussi journalistes (Zola, etc.).

Conseils pratiques : Discussion «classique» qui vaudra surtout par la qualité des exemples. '

Nature du sujet : de synthèse.

Difficulté : * *

Les rapports qu'entretiennent les journalistes avec la vérité, le mensonge - et le tragique en général - ne sont pas simples ! Et l'on aurait tort d'imaginer que le journalisme tout entier puisse se ramener à je ne sais quel commerce(1) courtois, modeste et «scientifique» entre une réalité inoffensive, tenue à distance, et son observateur impartial. Le couple est bien plus infernal, plus passionnel que cela ! Plus tragiquement pressé par le temps, aussi, que ne peut l'être le placide historien commerçantœ avec ses archives et recoupant ses sources dans la tiédeur de son bureau. (...)

S'il doit vaincre le temps, le journaliste, terriblement solitaire au plus chaud de l'événement, doit également lutter contre la pression diffuse, amicale mais constante, de sa propre rédaction qui le somme de fournir une interprétation intelligible de l'histoire alors même que celle-ci n'est pas encore jouée. Tous les correspondants en poste à Moscou aujourd'hui confessent les difficultés qu'ils éprouvaient jusqu'à une date récente avec le «desk»<2) de leur journal. À Paris, en effet, habitude bien française, on inclinait à vouloir interpréter idéologiquement - et hâtivement - l'œuvre de Mikhaïl Gorbatchev. (Est-il sincère ? A-t-il une chance de réussir ? La perestroïka n'est-elle pas une simple ruse ?) Les rédactions n'acceptaient donc pas sans résistance les dépêches beaucoup plus ouvertes et empiriques envoyées de Moscou, dépêches moins soucieuses d'interpréter que de décrire cet événement prodigieux : un dirigeant communiste chevauchant l'imprévisible cyclone qu'il avait lui-même fait naître. Cette pression idéologique des rédactions, de l'entourage, des lecteurs eux-mêmes que doit affronter le journaliste de terrain était d'autant plus forte hier qu'on tenait le fait brut pour un résidu encombrant et, donc, le reporter pour un gêneur.

Pis que cela : le personnage du journaliste lui-même n'était pas flatté par la mémoire collective. L'aurait-on oublié ? Dans la littérature française, de Balzac à Nerval en passant par Maupassant, la presse traîne une image peu glorieuse ; corrompue, gangrenée, mafieuse (3), peuplée de ratés...

Dans notre pays a perduré - jusqu'à une date très récente - une conception dévalorisante du journalisme. Conception dont témoignaient mille habitudes ou petits travers moins subalternes qu'on ne le croit. Un recrutement et une formation inorganisés, une docilité spontanée, une pratique paresseuse de l'information institutionnelle, un penchant irrésistible pour la glose H> et l'éditorial, une manière spontanément révérencieuse de quêter une respectabilité d'emprunt en s'amalgamant au milieu qu'on est chargé de couvrir (classe politique, institution culturelle, entreprises, etc.). Milieu dont on respectera bien sûr les codes, et surtout les silences. Pour résumer le tout, une façon étrange de pratiquer un métier, théoriquement fondé sur l'insolence, en ne dissimulant jamais sa hâte d'en sortir. Ah, le syndrome funeste du «journaliste-qui-devient-ministre» ou ambassadeur !

Sans vouloir simplifier outre mesure l'histoire, observons que tout a notablement changé voici une quinzaine d'années. Déconfiture des idéologies, fin de la «guerre civile froide», triomphe de l'audiovisuel : voilà que tout conspirait soudain à faire du journaliste, ce galeux d'hier, une manière de héros philosophique pour temps incertains.

C'est ce qu'il advint ces dernières années. On parut disposé, brusquement, à reconnaître la validité d'une démarche journalistique empirique et fureteuse assez comparable, sur le plan de la vérité, à celle des Médecins sans Frontières ou d'Amnesty International sur le plan de la solidarité. Puisque les idées devenaient floues, on pouvait s'intéresser plus naturellement aux faits qui, eux, n'ont que l'inconvénient d'exister. Mieux que cela : on idéalisa si abusivement le journaliste qu'il vit ainsi fondre sur lui un .prestige bien lourd à assumer. La presse française redécouvrit en tous cas les vertus du journalisme d'investigation et s'habitua à ce que les reporters ne s'arrêtent plus forcément aux silences d'un ministre. (Au demeurant, l'affaire du Watergate, lancée en 1974 par deux localiers

La question du mensonge, certes, ne fut pas réglée pour autant. Et si les journalistes français (on dit maintenant le «pouvoir médiatique») paraissent vivre, intellectuellement, un âge d'or, le journalisme est toujours en quête d'un statut plus clair.

Jean-Claude Guillebaud, Le Nouvel Observateur (26 octobre - 1“ novembre 1989).

Notes

(1) Commerce : relation qu'on entretient avec quelqu'un ou quelque chose ; d'où quatre lignes plus bas le verbe commercer.

(2) Desk : ici, bureau directeur.

(3) Mafieux : dont les comportements ressemblent à ceux d'une mafia.

(4) Glose : commentaire vide et bavard.

(5) Localiers : correspondants locaux d'un journal à diffusion nationale.

Jean-Claude Guillebaud distingue le journaliste du «placide historien commerçant avec ses archives et recoupant, ses sources dans la tiédeur de son bureau».

Vous paraît-il légitime d'opposer ainsi la démarche du journaliste à celle de l'historien ?

Les relations entre le journaliste et l'information, le vrai et le faux, sont plus complexes qu'on ne le suppose : subjectives, tendues, soumises aux contraintes du temps, tout ce à quoi échappe l'historien.

En outre, le journaliste doit lutter contre ses employeurs, son public même, trop vite tentés d'exiger de lui qu'il interprète les événements vécus à chaud, qu'il transforme immédiatement en «Histoire» ce qui, pour l'heure, ne peut être que raconté. Qui plus est, le journaliste traîne derrière lui (depuis le xix® siècle) une mauvaise réputation qui prévalait encore naguère : l'opinion publique le prétendait volontiers «aux ordres», ou donneur de leçons, ou arriviste forcené. Mais depuis quelques années, le métier de journaliste a repris son prestige : la fin des idéologies, la primauté de l'audiovisuel, en réhabilitant les faits, ont réhabilité la profession. Le journaliste, redevenu enquêteur sans préjugés, devient même plus agressif à l'égard du pouvoir ; mais ses rapports avec le vrai et le faux ne sont pas clarifiés pour autant.

« Session de juin 1990 éprouvaient jusqu'à une date récente avec le "desk». »

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