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ZOLA Émile (1840-1902) : sa vie et son oeuvre

Publié le 12/11/2018

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zola
VIE
1795 7 août : naissance, à Venise, de François Zola. 1819 6 févr. : naissance d’Émilic Aubert, fille de petits arti- sans beaucerons. 1820 Le lieutenant Zola quitte l’armée; docteur en mathémati- ques, il devient ingénieur. 1821 II quitte l’Italie. 1824 II est ingénieur en chef de la première ligne de chemin de fer construite en Europe, entre Linz et Budweis, en Haute-Autriche. 1831- François Zola est en Algérie, dans la Légion étrangère. 1832 1833 II ouvre à Marseille un cabinet d’ingénieur. Il met au point plusieurs projets de grands travaux : docks, port, canaux d’irrigation, etc. 1839 16 mars : mariage, à Paris, de François Zola et d’Émilie Aubert. 1840 2 avr. : naissance, à Paris, 10 bis, rue Saint-Joseph, d’Émile Zola. 1841 Janv. : le plan de fortification de Paris par forts avancés et non par ligne continue de remparts, mis au point par François Zola, est discuté au Parlement. Avr. : les Zola s’installent à Aix-en-Provence, 33, cours Sainte-Anne, puis 6, impasse Sylvacanne.
 
La ville d’Aix passe un traité avec François Zola pour la construction d’un barrage et d’un canal d’adduction d’eau potable.
 
4 févr. : début des travaux du canal.
 
27 mars : mort de François Zola, qui laisse sa famille dans une situation matérielle très difficile.
 
Oct. : Émile entre comme élève à la pension Notre-Dame. Il y a comme condisciples Marius Roux et Philippe Solari.
 
24 févr. : chute de la monarchie de Juillet. Proclamation de la république.
 
10 déc. : Louis-Napoléon Bonaparte est élu président avec 74 p. 100 des suffrages.
 
Les grands-parents Aubert s’installent à Aix, chez leur fille.
 
Mllle François Zola est à Paris pour régler la succession de son mari. Début d’une longue série de procès (qu'elle perdra en 1859) contre les actionnaires de la Société du Canal d’Aix.
 
Mars-juil. : séjour d’Émile et de sa mère à Paris. A Aix, la famille, de plus en plus endettée, va habiter des logements de plus en plus modestes.
 
2 déc. : coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte.
 
Oct. : Emile entre en septième au collège Bourbon, à Aix, comme pensionnaire. 11 s’y liera à Paul Cézanne, Jean-Baptistin Baille, Louis Marguery.
 
2 déc. : proclamation de l’Empire.
 
Mai : début de la guerre de Crimée (elle se terminera en mars 1856).
 
10 sept. : achèvement des travaux du canal Zola.
 
Nov. : pendant l’épidémie de choléra, Émile lit de nombreux romans-feuilletons (Dumas père, Eugène Sue, Paul Féval, Élie Berthet, Emmanuel Gonzalès...).
 
Oct. : il entre en troisième. Il opte pour la section des sciences.
 
11 lit Hugo, Musset, Lamartine. Il assiste à des représentations théâtrales (la Dame blanche, la Tour de Nesle).
 
Longues promenades dans la campagne aixoise avec Cézanne et Baille.
 
16 oct. : mort d'Henriette Aubert, grand-mère d’Émile. Mme François Zola se rend à Paris pour faire reconnaître ses droits dans la Société du Canal d’Aix.
 
Févr. : Émile et son grand-père viennent à leur tour à Paris La famille habite 63, rue Monsieur-le-Prince. Émile entre comme boursier au lycée Saint-Louis, en seconde. Il obtiendra le deuxième prix de narration française.
 
Mi-août-oct. : vacances d’été à Aix. A son retour, il tombe gravement malade. Il lit Michelet, Barbier, Hégésippe Moreau, Dumas fils...
Janv. : Émile entre en rhétorique. La famille emménage 241, rue Saint-Jacques.
 
Avr.-mai : il visite le Salon.
 
3 mai : début de la guerre d’Italie.
 
Août : il échoue à l’oral du baccalauréat ès sciences. Mi-août-fin sept. : séjour à Aix.
 
Nov. : échec à l’écrit de la seconde session du baccalauréat, passée à Marseille.
 
Il abandonne ses études.
Avr. : les Zola emménagent 35, rue Saint-Victor, dans une seule pièce.
 
Avr.-juin : Émile Zola travaille comme employé aux docks. Il gagne 60 francs par mois.
 
ZOLA Émile (1840-1902). L’œuvre de Zola est énorme, polymorphe et, en grande partie, mal connue sinon inconnue. Romancier, il a composé, outre les Rougon-Mac quart, deux autres séries, les Trois Villes et les Quatre Evangiles, ainsi que cinq romans publiés de 1865 à 1868. On lui doit encore des dizaines de contes, des pièces de théâtre, des livrets de drames lyriques. Il fut critique d’art, critique dramatique, critique littéraire, journaliste parlementaire. Nous connaissons enfin, à ce jour, plus de 4 000 lettres, adressées à des correspondants français ou étrangers, et traitant des sujets les plus variés.
 
Cette énorme entreprise relève tout d’abord — il ne le cache pas — d’une formidable volonté de puissance : « Je vais empiler manuscrit sur manuscrit, puis, un jour, je les lâcherai un peu dans les journaux », écrit-il à son ami le peintre Paul Cézanne dès le 29 septembre 1862 — il a vingt-deux ans. Ou encore, à Valabrègue, un autre ami de jeunesse, le 4 avril 1867 : « Je travaille beaucoup, soignant certaines œuvres et abandonnant les autres, tâchant de faire mon trou à grands coups de pioche ».
 
A un moment où se développent l’édition et la presse, il faut, en effet, se faire une place : pour gagner de l’argent — ce qui fut pour lui, au moins jusqu’en 1878, jusqu’au succès de l'Assommoir, une obsession —, mais aussi pour s’imposer dans les genres les plus divers. D’où ses efforts constants de renouvellement, ne serait-ce que pour étonner et retenir l’attention du public : le Rêve, aux apparences de conte de fées, vient s’intercaler entre la Terre et la Bête humaine — deux Rougon-Macquart parmi les plus violents — comme Une page d'amour, œuvre « un peu popote, un peu jeanjean », selon les mots mêmes du romancier, se place entre l’Assommoir et Nana. Il y a, en Zola, comme on l’a remarqué, des traits de Nantas, personnage qui donne son nom à une nouvelle publiée en 1878 : « Tout jeune, il disait être une force. [...] Peu à peu, il s’était ainsi fait une religion de la force, ne voyant qu’elle dans le monde, convaincu que les forts sont quand même les victorieux »; ou des traits d’Eugène Rougon, comme le souligne l’ami intime, Paul Alexis : « Eugène Rougon, ce chaste qui échappe à la femme et qui aime le pouvoir intellectuellement, moins pour les avantages que le pouvoir procure que comme une manifestation de sa propre force ».
 
Lejeune écrivain rêve de gloire et d’une aisance assurée : « Vous, aurait-il dit, non sans amertume, à Gustave
 
Flaubert, vous avez eu une petite fortune qui vous a permis de vous affranchir de beaucoup de choses ». A la différence de la plupart des écrivains de son temps, Zola s’est fait seul.
 
C’est probablement le 27 mars 1847 que s’est jouée sa vie. Ce jour-là mourut l’ingénieur François Zola, au moment où commençaient enfin, après des années de tracasseries, les travaux du système de barrages et du canal alimentant en eau Aix-en-Provence, canal auquel il laissa son nom. Brillant auteur de nombreux projets, parfois très audacieux, François Zola n’avait pas encore eu le temps d’assurer aux siens une aisance matérielle définitivement assise. Pour eux commence alors une longue période de difficultés, voire de misère. Enfant unique, boursier sans relations ni fortune dans une petite ville de province conservatrice, puis déraciné à Paris, où il est venu rejoindre sa mère en février 1858 — autre événement déterminant de sa vie —, Émile Zola se sent très tôt investi d’une double mission : d’abord faire reconnaître par son œuvre à lui la grandeur — méconnue — de celle de son père : « Si l’avenir est large pour moi, si ma vie devient retentissante, le premier cri que je jetterai sera un cri d’indignation contre vous », clame-t-il aux Aixois dans le Messager de Provence du 19 août 1868. « Et mon père aura alors, dans mon œuvre, la mémoire éclatante de son nom! » Ensuite, redonner à sa mère la condition sociale qu’elle a perdue avec la mort de son mari. Charge pesante, qui est une des explications des années d’incertitudes et de tiraillements qu’il vivra jusqu’à son entrée dans le jeu social comme employé, puis bientôt chef de la publicité, chez Hachette. Il a, en effet, troisième événement capital de sa vie, échoué, en 1859, au baccalauréat, tenu, en ce temps-là, pour «la sanction des études classiques et le signe visible de l’homme bien élevé » (A. Lesieur, dans Revue de l'Instruction publique, 10 avr. 1862). Il abandonne les études. Il ne peut qu’espérer un très modeste emploi dans quelque administration. Il refuse cette « vie de cheval de manège », comme il rejette les études classiques et l’avenir, souhaité par sa mère, qui l’aurait conduit à se faire « une position ». Il mène pendant deux ans — 1860-1861 — une vie de farniente et de bohème, miséreuse, mais enrichissante par tout ce qu’il a la liberté de découvrir.
 
Car, si les œuvres qu’il écrit alors (centaines de vers imités de Musset, contes en prose, qui sont autant de « longs rêves poétiques ») le montrent replié dans le souvenir idéalisé du passé et de la nature provençale, tout autre est sa vie. Il est fasciné par Paris, que les travaux d’Haussmann métamorphosent, et par le bouillonnement culturel et politique qui caractérise les années 1859-1860. Il fréquente les ateliers, reçoit ses amis, assiste aux « conférences de la rue de la Paix », fondées par des opposants à l’Empire, est un lecteur assidu du Siècle, cherche à entrer dans les équipes de journalistes républicains. Il lit beaucoup, découvre, entre autres, Michelet. En un mot, Émile Zola, qui a eu vingt ans en 1860, appartient à cette génération qui a ressenti, probablement plus que les autres, l’impression d'assister et de participer à l’enfantement de quelque chose de nouveau. Il ne milite pas, mais ses sympathies vont vers les opposants au régime et vers ceux — ce sont les mêmes — qui défendent l'« esprit nouveau ». Comme ceux de sa génération, il vit dans un véritable bain scientifique.
 
Les quatre années passées à la librairie Hachette, foyer de libéralisme et de positivisme, où il connut Taine, Littré, Émile Deschanel, Jules Simon et bien d’autres, confirmèrent ces choix.
 
Le projet zolien
 
Il a décidé de vivre de sa plume, d’être « homme de lettres ». De 1862 à 1868, il mûrit ce projet : ce sont six années d’intense activité intellectuelle, de réflexion, de recherche, d’essais, qui aboutiront, en 1867, à Thérèse Raquin, son premier grand roman, et, peu après, à la mise en place de la grande fresque des Rougon-Macquart, qu’il mettra vingt-cinq ans à écrire. Durant cette période, la réflexion critique l’emporte sur l’activité créatrice. Elle s’exprime à travers lettres et articles de journaux. Zola suit deux maîtres : Littré, pour lequel son admiration ne se démentira jamais, et Taine, auquel il reconnaît d’immenses qualités, mais dont l’esprit de système lui fait peur.
 
Il reprend à son tour la comparaison, constante à cette époque, du romancier ou du critique avec le médecin : romancier ou critique, « scalpel à la main », sont comme le médecin qui « fouille les chairs » du cadavre humain, en cherche les « ressorts avec passion »; ils font l’anatomie de la névrose qui secoue le siècle — névrose morale et névrose sociale. Comme ses contemporains, en effet, Zola a conscience de vivre dans une époque de transition où s’accélèrent, d’une part, les mutations entraînées par la révolution de 1789 et la disparition de certaines valeurs sociales, morales ou religieuses, et, d’autre part, les découvertes scientifiques et leurs applications. Le roman doit s’attacher à l’étude de cette génération d’« esprits affolés et hystériques ».
 
Mais ce recours à la physiologie ne doit pas servir à « contenter les appétits grossiers de la foule ». Il doit aider à la grande enquête scientifique sur l’homme. Zola refuse aussi bien les œuvres qui se servent de la physiologie à des fins commerciales que celles qui, à l’opposé, se développent en pleine imagination, répondant aux goûts d’un public avide « de mensonge, de vertu et de grandeurs fausses ».
 
Si le romancier doit se fier aux seuls faits, il ne doit pas se borner à les accumuler. Son but est « la recherche de la vérité à l’aide de l’analyse des êtres et des choses ». En Littré, ce n’est pas l’érudition que Zola admire, mais la méthode : la déduction, l’« outil puissant » qui « lui a permis de classer scientifiquement les matières et de marcher droit et ferme dans cette immensité vague et trouble qu’on appelle un dictionnaire ». Aussi va-t-il tenter d’appliquer cet effort de rationalisation à la production de l’œuvre d’art en général et à la production d’une œuvre romanesque en particulier.
 
Toutefois, même s’il reconnaît l’influence déterminante du moment et du milieu sur le plan général et s’il
est tenté par une énonciation mathématique du réel, il refuse, pour ce qui est de l’individu, d’en arriver aux conclusions ultimes de Taine, qui s’interdit de « parler de personnalité ». « Tempérament », « originalité »,
 
« personnalité », « individualité », « nature indivi-
 
duelle », ces termes reviennent constamment sous la plume de Zola.
 
Ce qu’il affirme, c’est le pouvoir du romancier, son rôle de constructeur. Le romancier est « un créateur qui tente, après Dieu, la création d’une terre nouvelle [...], qui essaie de nous dire ce qu’il a vu, de nous montrer dans une synthèse le monde et ses habitants. Mais il ne saurait reproduire ce qui est dans la réalité; il n’a aperçu les objets qu’au travers de son propre tempérament; il retranche, il ajoute, il modifie, et, en somme, le monde qu’il nous donne est un monde de son invention » (le Salut public de Lyon, 29 avril 1865).
 
Un tel pouvoir n’est pas illimité : « L'imagination est réglée par la vérité; elle a pour inventer le vaste champ des réalités humaines » (ibid.). Le pouvoir du romancier est celui de monter une expérience en fonction d’une hypothèse qui soit la plus générale possible, qui puisse donc rendre compte du plus de réel possible, en empruntant aux sciences la méthode expérimentale, à laquelle Zola fait référence depuis 1866. Le recours au modèle scientifique ne signifie donc pas pour lui impassibilité, objectivité, soumission aux faits, etc. Rien, au contraire, de plus voulu, de plus concerté pour Zola que la création romanesque, qui est expérience non du réel mais d’une forme nouvelle, à partir d’une analyse nouvelle des hommes, entièrement expliqués par leur physiologie et le milieu dans lequel ils vivent. L’essentiel donc, pour lui, c'est le « regard » de l’écrivain, c’est-à-dire l’intensité et l’extension de sa vision, le choix de son hypothèse de départ, le travail romanesque consistant essentiellement dans le montage et le développement d’une expérience et non dans une description, qui se voudrait fidèle, du réel. Une fois l’hypothèse choisie, le « cas posé », Zola introduit en effet la rigueur de la déduction, de l’enchaînement des causes et des effets, qui vient corroborer la justesse de l’hypothèse initiale. Il insiste sur l’analyse des mécanismes qui produisent le personnage; la logique de l'enchaînement des faits et des réactions devient un sujet constant de réflexion dans les dossiers préparatoires, car il s’agit de permettre au lecteur de comprendre, de remonter de l’effet à la cause.
 
Transposant dans le domaine de la création littéraire les théories de l’économie libérale, Zola affirme, dès 1865 : « Une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament ». Comme le note Henri Mitte-rand dans le Discours du roman, « le travail de l’énonciation est affirmé trois fois dans cette formule : dans “vu”, dans “tempérament” et dans “à travers”. C’est peut-être devant cet “à travers” que la critique d’aujourd’hui pourrait rester le plus longtemps en arrêt. Car tout tient à la structure et au fonctionnement du filtre par lequel passe la matière “naturelle et sociale”, avant de devenir “matière scripturale” ».
 
L'ambition des Rougon-Macquart
 
C’est à la fin de 1867 ou au début de 1868 que Zola songe à étudier dans une suite de romans « les fatalités de la vie, les fatalités des tempéraments et des milieux ». « Je ne veux pas peindre la société contemporaine, affirme-t-il dans ses “Différences entre Balzac et moi”, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux. [...] Ma grande affaire est d’être purement naturaliste, purement physiologiste ».
 
Aussi consacre-t-il l'année 1868 à lire de nombreux ouvrages de physiologie, parmi lesquels la Physiologie des passions de Charles Letourneau et le Traité de l'hérédité naturelle de Prosper Lucas. Il a trouvé dans l’hérédité le fil conducteur de sa fresque, l’« outil » lui permettant, à l’exemple de Littré ou de Taine, de « classer scientifiquement les matières ». L’hérédité de l’aïeule, tante Dide, se diversifie, grâce aux jeux des tempéraments et des milieux, en une infinité de possibles, qu'il explore par la construction de l’arbre généalogique de la famille dont chaque feuille deviendra un volume de la fresque [voir schéma de l’arbre généalogique].
 
On s’est beaucoup gaussé de cette « prétention » scientifique, souvent réaffirmée à travers préfaces et articles ou dans les romans eux-mêmes. Elle a souvent fait condamner l’œuvre, alors qu’elle en était un des aspects les plus neufs. Dans la mesure d’abord où, par elle, Zola s’opposait — et s’oppose — à la tradition idéaliste, qu’il ne cesse d’attaquer avec virulence, faisant de son œuvre une entreprise de vérité, de dévoilement du corps social et de ses antagonismes, une exploration des zones troubles de l’être, des états subconscients, des vertiges auxquels on cède irrésistiblement, des coups de folie de la « bête humaine » et surtout de la plus terrible de ces puissances de la nuit, celle qui est au fond de tout, l’instinct de mort, « végétation sourde du crime au fond d’un crâne d’enfant » qui transforme tout à coup Jeanlin en un « chat sauvage » ou encore cette envie brutale de « manger » un homme qui saisit Étienne Lantier; car l’instinct de mort, la folie sont toujours là, à guetter du fond des âges, pour les submerger, la raison et la lucidité.
 
En second lieu, ce savoir scientifique que Zola a accru au fil des années, lisant Claude Bernard, Darwin, Brown-Séquart, Weismann..., et qu’il fait passer dans les Rougon-Macquart, représente « à peu près l’état contemporain du savoir », comme le note Michel Serres, qui ajoute : « Je ne dis pas que la série des Rougon-Macquart, munie de son texte réflexif, constitue un ensemble de résultats purement scientifiques. Je dis seulement, mais c’est énorme, que les thèses, la méthode et l’épistémologie que je découvre ici sont fidèles à ce qu’il y a de meilleur, à ce que nous jugeons le meilleur, dans les travaux dits scientifiques de ce temps » (Feux et signaux de brume. Zola).
 
Et c’est dans le récit romanesque lui-même, et non pas dans les textes réflexifs d’accompagnement, qu’Alain de Lattre (le Réalisme selon Zola) comme Michel Serres retrouvent un système scientifique rendant compte de l’univers : modèle darwinien, en particulier, pour le premier; lois de la thermodynamique, pour le second. Ce qui rend impossible toute comparaison entre Zola et Balzac. Balzac, note Alain de Lattre, centre tout sur et dans l’individu; Zola ne décrit pas des singularités individuelles, mais « ce qui les enferme et les fabrique et les produit encore ». Le naturalisme selon Zola est autre chose qu’un réalisme compromis. Il vise « à trouver l’homme sous l’homme, et, sous chacun de ses désirs, le monde entier qui rêve ».
Un récit mythique
 
Selon une tradition qu’il a lui-même contribué à établir, la méthode de travail de Zola serait rationnelle et rigoureuse. Mais, si l’on étudie les dossiers préparatoires des œuvres, on se rend compte que l’ordre logique annoncé — documents, ébauche, plans, rédaction — n’est pas l’ordre réellement suivi : l’idée générale du roman et son ébauche préexistent aux documents et aux notes prises sur le terrain, ceux-ci servant essentiellement à authentifier celles-là. Ce qui ne signifie pas que Zola ne modifie jamais une idée initiale lorsque la documentation le nécessite : ainsi pour Germinal, dont le canevas, le rôle dévolu à Étienne et le sens du roman ont été bouleversés après le voyage fait par le romancier à
 
Anzin. C’est ainsi qu’Étienne, longtemps conçu comme un meurtrier et l’amant de Catherine, devient le porte-parole de Zola et un héros révolutionnaire...
 
Le projet scientifique rigoureux est constamment sub-verti par les modèles narratifs et les stéréotypes préexistants, en particulier ceux du roman-feuilleton et du mélodrame, ainsi que le système préconstruit de la formation idéologique de l’écrivain et ses obsessions personnelles. Dans Thérèse Raquin, par exemple, roman dans lequel Zola réaffirme constamment son projet scientifique, l’étude physiologique du « cas » médical disparaît derrière la mythologie et les hantises personnelles de l’écrivain : peur de la Femme, peur de la fêlure, des forces incontrôlées et incontrôlables qui détraquent l'homme et le conduisent à la folie, hantise de l’émiettement physique et moral, de l’engrenage et de la mort, difficile acceptation de la vie trop « bourgeoise » menée entre sa femme et sa mère, que trahit, entre autres, une étonnante obsession du chiffre 3, etc.
 
Les lectures contemporaines, usant des ressources de la psychanalyse ou de l’analyse thématique, commencent à dévoiler la richesse de cette œuvre où peut se lire le combat que mène un homme pour arriver à vivre — l’affrontement courageux de ses fantasmes, une exigence de clarté, un tâtonnement vers une guérison — : l’histoire d’un être qui choisit de « vivre le corps comme une valeur problématique, comme un bien impossible et une abomination à conjurer », attitude « difficile et courageuse », surtout à cette époque, comme le note Jean Borie dans Zola et les mythes.
 
D’un autre côté, la critique thématique et la linguistique s’attachent à déceler dans les Rougon-Macquart un répertoire complexe d’images, de symboles, de métaphores, des réseaux d’associations, des mythes, tout un jeu de corrélations lexicales, dont on peut suivre de roman en roman la récurrence et les transmutations successives, et qui révèlent une personnalité anxieuse et complexe, refusant de faire sienne la « pot-bouille » des bourgeois de la rue de Choiseul.
 
Proie de forces obscures, l’homme, dans le monde des Rougon-Macquart, est aussi écrasé par les forces que déchaînent sa raison et son intelligence : machines, grands magasins, mines, Bourse, etc. Il est la proie de ses instincts ou, comme les ouvriers de Germinal, l’esclave des instincts des autres, qu’il lui faut satisfaire.
 
La société que peignent les Rougon-Macquart est, affirme Zola dans son titre, celle du second Empire, dominée par l’esprit de luxe et de lucre, par le goût du plaisir et du pouvoir : « Orgie d’appétits et d’ambition, note le romancier. Soif de jouir par la pensée surmenée, et par le corps surmené. Pour le corps, poussée du commerce, folie de l’agio et de la spéculation; pour l’esprit, éréthisme de la pensée conduite près de la folie ».
 
Arrivé en 1858 dans un Paris livré à la spéculation, ayant travaillé quatre ans dans une entreprise d’édition en pleine expansion, Zola se fait une conception darwinienne de la société. Il la voit comme une lutte pour la vie dans l’ordre du biologique comme dans l’ordre du politique, combat des gras contre les maigres, des fauves contre les idéalistes. La société est une nature dénaturée, qui déplace les différences biologiques en inégalités de classes. Très tôt deux images apparaissent sous sa plume : celle d’une meute lancée à la curée, et celle, consécutive, de la pourriture, de la gangrène qui gagne le corps social promis à la débâcle.
 
S’il atteint, dans cette fresque, à la satire politique et à la satire sociale, Zola ne veut pas pour autant faire œuvre d’historien : « Je ne suis pas un archéologue qui dissèque les monuments, écrit-il à S. Sighele, je ne suis qu’un artiste. Je regarde et j’observe pour créer, non pour copier. Ce qui importe ce n’est pas l’exactitude pédante des détails, c’est l’impression synthétique ». 
Le jeune abbé revient dans son église, sourd aux prières d’Albine. La faute, pour Zola, est de la laisser mourir avec l’enfant qu’elle attend, car l’amour est la grande loi de la Nature.
 
Le Soleil, force de vie et source de lumière, est le personnage essentiel de ce drame, auquel il donne son rythme.
 
« Prodigieux poème hindou », selon les mots que Huysmans prête à Des Esseintes, la Faute de l’abbé Mouret, comme en marge des Rougon-Macquart, est aussi un des romans les plus personnels de l’écrivain. Il y poursuit, à travers un autre couple d’adolescents et une riche rêverie végétale, le rêve, déjà esquissé dans la Fortune des Rougon, d’un bonheur parfait parce que pur; il y révèle, face à la sensualité, à la mort, au néant, des hantises qui ne disparaîtront qu’avec la naissance de ses propres enfants.


zola

« venir idéalisé du passé et de la nature provençale, tout autre est sa vie.

Il est fasciné par Paris, que les travaux d'Haussmann métamorphose nt, et par le bouillonnement culturel et politique qui caractérise les années 1859- 1860.

Il fréq uente les ateliers, reçoit ses amis, assiste aux «conférences de la rue de la Paix », fondées par des opposants à l'E mpire, est un lecteur assidu du Siècle, cherche à entrer dans les équipes de journalistes républi­ cains.

Il lit b�aucoup, découvre, entre autres, Michelet.

En un mot, Emile Zola, qui a eu vingt ans en 1860, appartient à cetre génération qui a ressenti, probablement plus que les autres, l'impression d'assister et de partici­ per à l'enfantement de quelque chose de nouveau.

Il ne milite pas, mais ses sympathies vont vers les opposants au régime et vers ceux -ce sont les mêmes -qui défendent l'« esprit nouveau ».

Comme ceux de sa géné­ ration, il vit dans un véritable bain scientifique.

Les quatre années passées à la librairie Hachette, foyer de libé!alisme et de positivisme, où il connut Taine, Littré, Emile Deschanel, Jules Simon et bien d'au­ tres, confirmèrent ces choix.

Le projet zolien Il a décidé de vivre de sa plume, d'être «homme de lettres ».

De 1862 à 1868, il mOrit ce projet : ce sont six années d'intense activité intellectuelle, de réflexion, de recherche, d'essais, qui aboutiront, en 1867, à Thérèse Raquin, son premier grand roman, et, peu après, à la mise en place de la grande fresque des Rougon­ Macquart, qu'il mettra vingt-cinq ans à écrire.

Durant cette période, la réflexion critique l'emporte sur l'acti­ vité créatrice.

Elle s'exprime à travers lettres et articles de journaux.

Zola suit deux maîtres : Littré, pour lequel son admiration ne se démentira jamais, et Taine, auquel il reconnaît d'immenses qualités, mais dont l'esprit de système lui fait peur.

Il reprend à son tour la comparaison, constante à cette époque, du romancier ou du critique avec le médecin : romancier ou critique, « scalpel à la main », sont comme le médecin qui « fouille les chairs » du cadavre humain, en cherche les «ressorts avec passion »; ils font l'anato­ mie de la névrose qui secoue le siècle -névrose morale et névrose sociale.

Comme ses contemporains, en effet, Zola a conscience de vivre dans une époque de transition où s'accélèrent, d'une part, les mutations entraînées par la révolution de 1789 et la disparition de certaines valeurs sociales, morales ou religieuses, et, d'autre part, les découvertes scientifiques et leurs applications.

Le roman doit s'attacher à l'étude de cette génération d'« esprits affolés et hystériques >>.

Mais ce recours à la physiologie ne doit pas servir à «c ontenter les appétits grossiers de la foule >>.

Il doit aider à la grande enquête scientifique sur l'homme.

Zola refuse aussi b1en les œuvres qui se servent de la physio­ logie à des fins commerciales que celles qui, à l'opposé, se développent en pleine imagination, répondant aux goûts d'un public avide «de mensonge, de vertu et de grandeurs fausses ».

Si le romancier doit se fier aux seuls faits, il ne doit pas se borner à les accumuler.

Son but est « la recherche de la vérité à 1 'aide de 1 'analyse des êtres et des choses >>.

En Littré, ce n'est pas l'érudition que Zola admire, mais la méthode : la déduction, 1' > qui « lui a permis de classer scientifiquement les matières et de marcher droit et ferme dans cette immensité vague et trouble qu'on appelle un dictionnaire ».

Aussi va-t-il ten­ ter d'appliquer cet effort de rationalisation à la produc­ tion de l'œuvre d'art en général et à la production d'une œuvre romanesque en particulier.

Toutefois, même s'il reconnaît l'influence détermi­ nante du moment et du milieu sur le plan général et s'il est tenté par une énonciation mathématique du réel, il refuse, pour ce qui est de l'individu, d'en arriver aux conclusions ultimes de Taine, qui s'interdit de «parler de personnalité ».

«Tempéramen t>>, «originalité>>, «p ersonnalité>>, « individualité», «nature indivi­ duelle >>, ces termes reviennent constamment sous la plume de Zola.

Ce qu'il affirme, c'est le pouvoir du romancier, son rôle de constructeu r.

Le romancier est « un créateur qui tente, après Dieu, la création d'une terre nouvelle [ ...

], qui essaie de nous dire ce qu'il a vu, de nous montrer dans une synthèse Je monde et ses habitants.

Mais il ne saurait reproduire ce qui est dans la réalité; il n'a aperçu les objets qu'au travers de son propre tempérament; il retranche, il ajoute, il modifie, et, en somme, le monde qu'il nous donne est un monde de son invention » (le Salut public de Lyon, 29 avril 1865).

Un tel pouvoir n'est pas illimité:« L'imagination est réglée par la vérité; elle a pour inventer le vaste champ des réalités humaines >> (ibid.).

Le pouvoir du romancier est celui de monter une expérience en fonc tion d'une hypothèse qui soit la plus générale possible, qui puisse donc rendre compte du plus de réel possible, en emprun­ tant aux sciences la méthode expérimentale, à laquelle Zola fait référence depuis 1866.

Le recours au modèle scientifique ne signifie donc pas pour lui impassibilité, obj ectivité, soumission aux faits, etc.

Rien, au contraire, de plus voulu, de plus concerté pour Zola que la création romanesque, qui est expérience non du réel mais d'une forme nouvelle, à partir d'une analyse nouvelle des horn­ mes, entièrement expliqués par leur physiologie et le milieu dans lequel ils vivent.

L'essentiel donc, pour lui, c'est le «r egard>> de J'écrivain, c'est-à-dire l'intensité et l'extension de sa vision, le choix de son hypothèse de départ, Je travail romanesque consistant essentiellement dans le montage et le développement d'une expérience et non dans une description, qui se voudrait fidèle, du réel.

Une fois l'hypothèse choisie, le «c as posé », Zola introduit en effet la rigueur de la déduction, de l'enchaî­ nement des causes et des effets, qui vient corroborer la justesse de J'hypothèse initiale.

Il insiste sur l'analyse des mécanismes qui produisent le personnage; la logique de l'enchaînement des faits et des réactions devient un sujet constant de réfl exion dans les dossiers prépara­ toires, car il s'a git de permettre au lecteur de compren­ dre, de remonter de l'ef fet à la cause.

Transposant dans le domaine de la création littéraire les théories de l'économie libérale, Zola affirme, dès 1865 : « Une œuvre d'art est un coin de la création vu à travers un tempérament».

Comme le note Henri Mille­ rand dans le Discours du roman, « le travail de 1' énoncia­ tion est affirmé trois fois dans cette formule : dans "vu", dans "tempérament" et dans "à travers".

C'est peut-être devant cet "à travers" que la critique d'aujourd'hui pour­ rait rester le plus longtemps en arrêt.

Car tout tient à la structure et au fonc tionnement du filtre par lequel passe la matière "naturelle et sociale", avant de devenir "matière scripturale" >>.

L'ambition des Rougon-Macquart C'est à la fin de 1867 ou au début de 1 868 que Zola songe à étudier dans une suite de romans « les fatalités de la vie, les fatalités des tempéraments et des milieux >>.

« Je ne veux pas peindre la société contemporaine, affirm e-t-il dans ses "Différences entre Balzac et moi", mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux.

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] Ma grande affaire est d'être purement naturaliste, purement physiologiste ».

Aussi consac re-t-il J'année 1868 à lire de nombreux ouvrages de physiologie, parmi lesquels la Physiologie des passions de Charles Letourneau et le Traité de l'hé-. »

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