Devoir de Philosophie

Faut-il défendre la parole contre l’écriture ?

Publié le 19/03/2020

Extrait du document

ANALYSE DU SUJET

Enoncé quelque peu énigmatique si l'on ne s'efforce pas d'analyser précisément les deux notions et d'appréhender ce qui peut être impliqué dans l'acte de parole et l'acte d'écriture. Énoncé quelque peu déroutant si l’on ne connaît pas les travaux récents consacrés notamment à l’« Essai sur l’origine des langues » de Rousseau et singulièrement ceux de Jacques Derrida consignés principalement dans son livre « De la gram-matologie » (Edition de Minuit).

THÈMES DE RÉFLEXION

Notre enseignement des langues vit sur deux conceptions rigoureusement opposées et contradictoires de l’écrit et de l’oral :

D’une part, l’écrit est encore défini comme le domaine de la belle langue dont l’oral ne serait jamais qu’une dégradation ;

D’autre part, l’écrit apparaît, au contraire, comme une « traduction-trahison », réalisation médiate et inauthentique du seul acte linguistique véritable que serait l’usage oral de la langue.

Un effet de perspective peut faire apparaître comme chronologiquement postérieure la seconde définition de l’écrit, dans la mesure où, liée aux développements de la linguistique saussurienne, elle aurait fait une entrée récente dans le domaine de la philosophie et des théoriciens du langage. Cette évolution apparente ne doit pas faire illusion : il est possible de montrer comme l’a fait précisément J. Derrida, que ces deux définitions de l’écrit sont, en réalité, presque toujours co-présentes, en tout cas que la conception de l’écrit comme « traduction-trahison » de la parole est bien antérieure à Saussure (cf. le dernier chapitre de l’« Essai sur l’Origine des langues » notamment).

Les mérites de l’écrit

Sa fonction « mnémonique ». Il a été souvent énoncé que cette fonction était à l’origine de l’écriture. C’est parce qu’elle s’installe dans la durée que l’homme y fait appel pour suppléer au caractère éphémère de la parole. Il s’agit de fixer ce qui risque d’être oublié.

Sa fonction «structurante». Il s’agit de productions telles que schémas, brouillon de dissertation, plan de discours de de l’orateur. En effet parce que l’écriture est spatiale et « hors du temps » elle permet et peut faciliter l’organisation de la pensée « sauvage » non encore maîtrisée.

Sa fonction « expressive ». Ici l’écriture sert de marque d’appropriation, de marque plus ou moins durable mais enfin qui dure « un certain temps ». Il s’agit ici de marques individuelles cherchant plus à exprimer quelqu’un que quelque chose (cf. graffiti divers, ou l’activité d’un certain Jerry Jones, artiste américain, laquelle consiste à recopier de sa main la constitution américaine dans la langue du pays où il se trouve).

L’écriture une trahison de la parole (conçue comme un jaillissement libre, original, vivant, du vivant ?)

La fonction « mnémonique » serait une fonction mécanique (vivant ? ) répétitive.

Plus même que son poids écrasant d’accumulation de culture passée elle écraserait le vivant sous le mort. .

La fonction « structurante » impliquerait la reprise en main de ce qui jaillissait vivant, original, libre dans la parole, par la lourdeur des impératifs sociaux et culturels canalisateurs inclus dans une « maîtrise » acquise dans une société donnée avec ses préjugés, ses tabous, ses conventions implicites et explicites. Schématiquement le « moi profond » serait alors enfermé par le « moi social ».

Qu’en est-il alors de la fonction « expressive » ?

D’autant que le règne de l’imprimé gagne. Dans « L’Ecriture » (Delpire), Etiemble nous indique combien l’imprimé le déprime : parce qu’il n’exprime pas.

Et puis enfin, et sans doute plus fondamentalement, l’écriture ne serait-elle pas le signe de la séparation de soi avec les autres voire de soi avec soi-même en regard de la parole ?

Peut-on dire qu’il est indifférent d’écrire sa déclaration d’amour ou de la dire ? L’écriture ne serait-elle pas d’une certaine manière une façon de se rendre absent aux autres et à soi-même, la parole étant pleine présence à soi et aux autres ?

On conçoit alors la légitimité d’une interrogation sur la défense de la parole contre récriture :

La parole, lieu privilégié de la « personnalité », de l’« originalité », de la « liberté »?

On peut se demander si ce qui jaillit spontanément dans la parole ne peut être précisément les clichés les plus éculés, le bavardage vide et dérisoire, laz « jacasserie » dont parle Heidegger, les stéréotypes les plus répandus en raison même de leur spontanéité (c’est-à-dire en raison d’attitudes non critiques).

Or la mise par écrit autorise, voire exige, un travail, travail sur la « forme » mais également et corrélativement travail du « fond ». Certes un discours oral peut donner lieu aussi à un tel travail d’élaboration mais dans ce cas l’énoncé premier est lui aussi mis à distance en quelque sorte.

Il apparaît ici que la mise à distance, la séparation peuvent être des mises à distance des stérotypes, des banalités les plus ressassées, que l’expression de soi peut être gagnée par un travail de soi sur soi. L’écriture et la parole, à cet égard, n’ont pas de propriétés particulières spécifiques. L’écrit peut être lui aussi le lieu de la plus extrême aliénation et la parole peut elle aussi être travaillée, se travailler (quoique l’écriture appelle de manière privilégiée une mise en forme, un travail que le parler habituel ne recherche qu’exception-nellement).

• Au terme de cette analyse ne pourrait-on dire (ou plus précisément écrire) que le problème réel ne serait pas de défendre l’oral contre l’écrit ou l’écrit contre l’oral, mais de Se « défendre » contre les dégradations de la parole et de l’écriture, de maîtriser la parole et l’écriture et non d’être maîtrisé et saisi par eux ?

« SUPPLÉMENTS: A.

— Forme de l'énoncé. Énoncé comprenant deux concepts simplement réunis par la conjonction et, donc sujet incomplètement déterminé1.Nous le déterminerons, le moment venu, en essayant les deux interprétations possibles : soit simple comparaison dela parole et de l'écriture, soit rapport entre les deux.

La parole et l'écriture, le langage parlé et le langage écrit,constituent deux formes différentes du langage; il semble donc tout à fait naturel de les comparer l'une à l'autre, etc'est cette idée qui vient d'abord à l'esprit.

Toutefois, il n'est pas absurde de chercher s'il existe, entre ces deuxmodes d'expression, un rapport : on pourrait se demander, par exemple, en quoi l'usage de l'écriture et plus encorel'usage de l'imprimé ont contribué à fixer, à former, à régulariser, la langue parlée elle-même; on pourrait inversementchercher en quoi la possibilité de dicter et plus encore l'utilisation de la sténographie, de la sténotypie, celle dumagnétophone, en permettant de fixer par écrit sans altération ni correction des paroles effectivement prononcées,ont modifié l'art d'écrire et le style des textes écrits.

Vous pourrez, si vous en avez le temps, examiner cesquestions, et d'autres encore ; mais la première partie de notre travail et peut-être la principale est de comparerl'une à l'autre la parole et l'écriture. B.

— Comparaison. Conformément aux règles que nous avons établies pour la comparaison, nous recueillerons d'abord les traits quicaractérisent la parole et ceux qui caractérisent l'écriture, sans chercher pour l'instant à établir ni même à amorcerla comparaison; il ne faut pas que le souci de comparer risque de fausser nos analyses en accentuant soit lerapprochement soit l'opposition.

Cette enquête, nous la menons un peu au hasard, ou nous nous servons d'unquestionnaire passe-partout.

Nous nous demanderons par exemple qui parle, à qui l'on parle, quand on parle; ce quela parole permet, on ne permet pas d'exprimer; nous nous placerons à des points de vue différents : physiologique,psychologique, social, esthétique, moral; nous examinerons des obstacles et des moyens, des avantages et desinconvénients.

Nous nous demanderons de même quand on écrit, qui entreprend d'écrire et pourquoi, à qui on écrit,quelles sont les attitudes possibles d'un homme en face du texte écrit, ou du texte imprimé.Faites donc vous-même ce travail en suivant les conseils que nous vous avons donnés dans notre Première partie.Tracez deux colonnes, portez dans l'une et dans l'autre les caractères que vous apercevez, sans vous soucier nid'ordre, ni de correspondance d'une colonne à l'autre.

Ensuite seulement vous chercherez si l'on peut déterminerune correspondance; et si certains caractères, dans une colonne, n'ont pas de correspondant dans l'autre, vouschercherez pourquoi; puis vous tâcherez de grouper les indications recueillies, et de les disposer selon un ordreaussi naturel que possible.Par exemple, adoptons provisoirement le plan très simple que voici : nous comparerons la parole et l'écriture, enconsidérant d'abord les caractères qui constituent leur essence, ensuite ceux qui en résultent à titre deconséquences et que nous appellerons leurs caractères secondaires ou dérivés.

Ce n'est qu'un plan de recherche,que nous abandonnerons si nous en trouvons un meilleur.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles