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La fonction du langage poétique, dans l'Essai sur l'Origine des Langues et la Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques Rousseau

Publié le 13/10/2019

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langage

Jusqu'à la fin du roman, mais surtout dans la première partie, ces lettres seront des chants. \"C'est une longue romance\", dit Rousseau dans sa préface dialoguée. Tous les moyens du style sont mis au service de l'expressivité. Il n'est pas possible dans les limites de ce travail de faire une analyse stylistique du roman ; on peut lire par exemple dans la première partie les lettres 4, 5, 11 ,12 ,55. On pourrait dire de la phrase de Rousseau, ce qu'il dit de la mélodie :

 

\"Ce n'était plus une vaine suite de sons, comme dans nos récits. A chaque phrase, quelque image extrait dans mon cerveau ou un sentiment dans mon coeur ; le plaisir ne s'arrêtait point à l'oreille, il pénétrait jusqu'à l'ame; l'exécution coulait sans efort avec une facilité charmante; tous les concertants semblaient animés du même esprit... Mais quand après une série d'airs agréables, on vint à ces grands morceaux d’expression qui savent exciter et peindre le désordre des passions violentes, je perdais à chaque instant l'idée de musique, de chant, d'imitation; je croyais entendre la voix de la douleur, de l’emportement, du désespoir\".

 

(1, p. 48)

 

S'il y a moins d'émotion dans les dernières panics, ce n'est sans doute par par hasard; les plus beaux chants sont ceux où la passion s'exprime sans contrainte.

 

Tout est donc mis en oeuvre pour donner au lecteur l'illusion d'entendre une voix ; mais ce n'est précisément qu'une illusion et la lettre est le signe du malheur. \"La parole, nous a dit Rousseau dans l’Essai sur l'Origine des Langues, est propre au lieu où elle est\"; ce que nous lisons n'est jamais qu'une parole dénaturée. A la première lettre, Saint-Preux écrit parce qu’il ne peut pas parler. Explicitement, profondément la lettre est dans le roman le signe d'une séparation.. Que savons-nous des paroles des amants ? Nous ne connaissons que ce qu'ils s'écrivent. Parole dénaturée donc, mais comment cet échange aurait-il pour le lecteur valeur autrement qu'écrit. Il faut bien qu'on l'entende hors de son lieu. Sans doute les paroles des amants, si on les surprenait, seraient-elles incompréhensibles. L'homme de la société dénaturée ne peut que lire. Rousseau peut à la fois condamner la \"littérature\" et en produire, puisqu'à travers l'artifice de la langue poétique, l'homme dénaturé retrouvera peut-être l'émotion de l'homme des origines.

 

Restent ces moments imaginaires, dont il nous parle, les moments d'amour cenes, mais sunout ce temps antérieur à l'aveu où rien ne se disait, auquel il sera sans cesse fait référence, comme à un paradis perdu. De la fiction n'existe que l'écrit, ce qu'il y a avant, ou ailleurs, est exactement mythique, comme est mythique l'homme d'avant l'origine des langues.

 

Ce que nous pouvons suivre à la trace, à la lettre, c'est le cheminement des personnages qui refait celui de l'humanité ; et rien ne permet de mieux mesurer leur \"progrès en bien ou en mal\" que leur rapport au langage. On voit donc que suivre la constitution du sens dans LA Nouvelle Héloïse,

suppose déjà quelque société et des besoins que les passions ont fait naître\", mais cette écriture, celle des anciens Egyptiens par exemple, est encore celle \"des langues passionnées\". Second état, l'idéogramme, \"double convention\"; le signe ne ressemble pas à la chose. Enfin, l'écriture alphabétique. \"Ce n'est plus peindre la parole, c'est l'analyser\". Imaginée par des \"commerçante\", dit Rousseau, la trace n'est plus aucunement celle de l'émotion, mais des besoins, de l'intérêt, de la volonté de savoir.

 

Cette écriture est bien la marque d'une dégradation plus profonde, celle de la langue elle-même, et de la société toute entière ; car l'écriture, et singulièrement notre écriture alphabétique, analytique, articulée, \"qui semble devoir fixer la langue est précisément ce qui l'altère ...; elle substitue l'exactitude à l'expression. L'on rend ses sentiments quand on parie et ses idées quand on écrit\" (p. 67).

 

Mais une langue ne s'écrirait pas, ou pas ainsi, si le processus d'altération n'était déjà engagé :

 

\"Nos langues valent mieux écrites que parlées, et l'on nous lit avec plus de plaisir qu'on ne nous écoute. Au contraire, les langues orientales écrites perdent leur vie et leur chaleur. Le sens n'est qu'à moitié dans les mots, toute sa force est dans les accents. Juger du génie des orientaux par leurs Livres, c'est vouloirpeindre un homme sur son cadavre\".

 

E.O.L., XI, p. 137

 

— Si nos langues valent mieux écrites, c'est sans doute que nous avons perdu l'usage de la parole. Il n'est pas difficile d'imaginer une société humaine sans la parole, contrairement à ce que disent les théories classiques depuis Aristote ; il suffit de regarder la nôtre : d'un côté le silence des hommes de nouveau dispersés, incapables de se parler avec sincérité et simplicité, ou, autre forme de silence, la fausse parole du babil des salons : parler pour ne rien dire, ou pour ne rien se dire ; et de l'autre, l'écriture : l'écriture de la force publique. Déjà dans le Second Discours, Rousseau développait l'analogie entre l'histoire de l'humanité et celle de l'individu : le vieillard sénile perd son humanité et redevient enfant (infans : celui que ne sait pas parler) : c'est la conclusion de l'Essai :

 

\"Les sociétés ont pris leur dernière forme ; on n'y change plus rien qu'avec du canon et des écus, et comme on n'a plus rien à dire au peuple sinon \"donnez de l’argent\", on le dit avec des placarde au coin des rues, il ne faut assembler personne pour cela : au contraire, il faut tenir sujets épars\".

 

E.O.L., XX, p. 197-199

 

On voit donc que la question de l'origine n'est qu'un détour, ce qui importe, c'est l'homme et la société modernes. Le devenir des langues est \"naturel\", ce qui ne veut pas dire qu'il relève de la nécessité. Imaginer l'accident qui a présidé à leur naissance et le processus de leur dégradation, c'est se donner les moyens de renouer avec l'origine ; la pensée de Rousseau n'est pas nostalgique ; le modèle imaginaire des sociétés patriarcales, ou historique des cités antiques (\"dans les anciens temps où la persuasion tenait lieu de force publique, l'éloquence était nécessaire\", E.O.L., XX, p. 197) permet de ne pas désespérer de l'histoire et de l'humanité. Il faut se souvenir du temps, ou plutôt \"reconstruire\" ce souvenir dans une fiction, mais sans cesser de répéter qu'on ne peut que \"progresser\", mais le mot n'est chez Rousseau ni mélioratif, ni péjoratif. Toutes ses élaborations théoriques sont fondées sur cet espoir que ni l'histoire d'un individu (L'Emile) ni celle de l'humanité (le Contrat social) ne sont irrémédiablement perversion et dégradation. Voilà ce qu'il va

langage

« rq,ondra jamais.

L'origine des langues est "impensable" : on peut d&:rire, dans un discours rationnel, rorigine de l'&riture, puisque, par dUinition, f&rïture laisse une trace, forigine de l'«riture peut donc me l'objet d'un savoir.

Mais la parole originelle est aussi inconcevable, impossible à d«rire par des concepts, "qu'imm�morable", comme l'est pour l'adulte son apprentissage du langage : l'adulte sait qu'avant de parler, il existait d�jà, mais de ce qu'il �tait, il ne se souvient pas, sinon dans son inconscient Pour saisir cette origine, Roussea u aura donc recours à la fiction : récùs de la sœne primitive dans le Second Discours ou dans l'Essai, et surtout cette immense fiction où va s'�prouver toute la � de R ousseau, son roman Julie, ou lAN ou velle Hélofse.

1.

L'Essai sur l'origine des langues L a premi�re phrase de l'Essai indique nettement les deux directions que Ro ussea u veut donner à sa �flexion : "lA parole distingue fhomme entre les animaux, le langage distingue les nations entre elles".

E.OL., 1, p.

27 D'abord examiner une facult� commune à tous les hommes, et essayer de se figurer comment a pu nattre la premi�re parole, pour sonir de l'aporie devant laquelle nous plaçait le Second Discours, et ce en panant du postulat que la "parole ne doit sa forme qu'à des causes naturelles" 2(chapitre 1 à VU), et d'autre pan de d&:rire et d'expliquer les diff�rences entre les langues (chapitre VIII à XI).

Sur le premier point, les id�s essentielles sont �nonœes d� le premier chapitre: "Si nous n'avions jamais eu que des besoins physiques, nous aurions fort bien pu ne parler jamais et nous entendre parfaitement par la seule langue du geste.

Nous aurions pu établir des sociétés peu différ entes de ce qu'elles sont aujourd'hui ou qui ml nu 11111fllent 11111T'Chl mieux� kun buis''.

E.OL., 1, pp.

35-37 De plus, les sys�mes de communication des animaux sont naturels, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas acquis : ''Les animaux ont (leurs langues) en naissant, ils les ont tous et partout la mlme 3 : ils n'en changent point, ils n] font pas le moindre progris.

lA langue de convention n'appartient qua l'homme .

Voilà pourquoi l'homme fait des pro gris soit en bien soit en mal".

E.OL., p.

39 Il y a là trois i�.

qui seron t �velop� dans les paragraphes suivaniS : A -La parole natt non du besoin mais de l'�motion, B -Il y a une histoire des langues, et on peut tirer de cette histoire des conclusions paraD�les à celles que l'on tire de l'histoire g�n�rale des soci�� ce qui nous renvoie à la probl�matique duSecondDiscours.

C - Mais on peut concevoir des �tés où fon ne se parlerait pas; et peut�tre dans nœ soc� occidentales perverties avons-nous � de nous parler vraiment. »

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