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La généalogie de l'angoisse chez Sartre

Publié le 20/01/2014

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Sartre reconnaît une double paternité pour la constitution d'une phénoménologie de l'affectivité : Husserl et Heidegger. Avec Husserl, on comprend que l'affectivité a pour source la conscience transcendantale. Après la mise entre parenthèses du monde, les émotions se livrent comme phénomènes transcendantaux purs dont l'essence est un type organisé de conscience. Avec Heidegger, il dégage la spécificité de l'interrogation propre à la psychologie. Elle porte sur la réalité humaine que nous sommes. Ce qui est une entrave pour la psychologie positiviste, la proximité absolue entre le sujet et l'objet, devient pour la phénoménologie le lieu même de l'édification d'une nouvelle étude de l'affectivité. En effet, c'est parce que l'être de cet existant est mien que la signification de l'affectivité est inséparable de la compréhension que le sujet en a. Exister pour l'homme, c'est se jeter dans des possibilités affectives qui sont toujours siennes et qui se donnent à travers la compréhension comme mode d'être se rapportant à son être.

     Pour Sartre, la psychologie doit puiser sa source dans une anthropologie et dans une herméneutique de l'existence, alors que pour Heidegger elle doit trouver son origine dans l'élucidation de la question de l'être. Ce qui ne signifie pas, et pour l'un et pour l'autre, qu'il faille attendre la constitution de ces disciplines pour que la psychologie se réalise. Néanmoins, ils entendent orienter la psychologie du côté de la phénoménologie en interrogeant la signification ou l'être des faits psychiques.

     La psychologie phénoménologique se réalise en purifiant le champ transcendantal. Il retrouve sa transparence originelle. Il est néant puisqu'il est libéré de tous objets psychiques, physiques, psycho-physiques. Mais précisément parce qu'il n'est rien, il est tout, en ce sens que toute conscience est conscience de ces objets. Les sentiments, les états ne sont plus à l'intérieur de la conscience, ils sont l'objet pour une conscience. De même, ils cessent d'être la propriété exclusive du sujet. La phénoménologie abolit la distinction entre l'objectivité des choses spatio-temporelles et la subjectivité des états de conscience. Dans la Transcendance de l’Ego, Sartre écrit : « La phénoménologie est venue nous apprendre que les états sont des objets, qu'un sentiment en tant que tel (un amour ou une haine) est un objet transcendant et ne saurait se contracter dans une unité d'intériorité d'une “conscience”. «[1] Les objets psychiques ont le même statut que les choses mondaines. Toute Erlebnis peut être portée à la réflexion. La psychologie existentielle se fonde sur la description phénoménologique et prétend renouveler profondément les études psychologiques. Seule la conscience est irréductible à un objet, sous peine d'être détruite comme conscience. Par là elle échappe à la psychologie pour devenir la matière de la phénoménologie.

 


[1] La Transcendance de l'Ego, « Esquisse d'une description phénoménologique «, 1936, Introduction, notes et appendices de S. Le Bon, Vrin, Paris, 1981, p. 75-76.

 

     Nous le savons, la réception de la philosophie sartrienne s’est faite sous l’égide de l’angoisse. Il faut rappeler que l'angoisse a été perçue comme étant au cœur de l'existentialisme en général et de l'existentialisme sartrien en particulier. C’est pourquoi l’angoisse a été, lors de l’accueil de L’Être et le Néant, sinon le thème, du moins l’une des thématiques les plus débattues de la pensée de Sartre, tant par ses zélateurs que par ses détracteurs. Cependant, fait d’autant plus étrange, suite à la première vague de gloses, de pamphlets, d’interprétations, l’angoisse se voit éradiquer au fur et à mesure des mouvements successifs de commentaires. Certes, nombreux sont les commentateurs du philosophe qui ont proposé une réflexion critique sur l’angoisse, mais ils lui ont consacré un paragraphe ou, au mieux, un chapitre sans vraiment l’analyser dans sa genèse. C’est cette lacune que nous voudrions combler.

 

     L'angoisse est certainement le concept le plus approprié pour cerner l'évolution de la pensée sartrienne, y compris dans les textes tardifs où l'angoisse n'apparaît plus avec la même force comme la Critique de la raison dialectique. L'idée de départ, que l'on se propose d'étayer, est que pas plus Sartre ne s'est contenté de transposer sur un plan moral l'angoisse kierkegaardienne, pas plus Sartre ne s'est confiné dans un reprise à peine aménagée de l'angoisse heideggérienne. Ce qui nous conduira à rejeter l'idée que Sartre n'éclairait la position heideggérienne qu'au prix de la caricature.

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« Nous le savons, la réception de la philosophie sartrienne s’est faite sous l’égide de l’angoisse.

Il faut rappeler que l'angoisse a été perçue comme étant au cœur de l'existentialisme en général et de l'existentialisme sartrien en particulier.

C’est pourquoi l’angoisse a été, lors de l’accueil de L’ Être et le Néant , sinon le thème, du moins l’une des thématiques les plus débattues de la pensée de Sartre, tant par ses zélateurs que par ses détracteurs.

Cependant, fait d’autant plus étrange, suite à la première vague de gloses, de pamphlets, d’interprétations, l’angoisse se voit éradiquer au fur et à mesure des mouvements successifs de commentaires.

Certes, nombreux sont les commentateurs du philosophe qui ont proposé une réflexion critique sur l’angoisse, mais ils lui ont consacré un paragraphe ou, au mieux, un chapitre sans vraiment l’analyser dans sa genèse.

C’est cette lacune que nous voudrions combler.

L'angoisse es t certainement le concept le plus approprié pour cerner l'évolution de la pensée sartrienne, y compris dans les textes tardifs où l'angoisse n'apparaît plus avec la même force comme la Critique de la raison dialectique.

L'idée de départ, que l'on se propos e d'étayer, est que pas plus Sartre ne s'est contenté de transposer sur un plan moral l'angoisse kierkegaardienne, pas plus Sartre ne s'est confiné dans un reprise à peine aménagée de l'angoisse heideggérienne.

Ce qui nous conduira à rejeter l'idée que Sar tre n'éclairait la position heideggérienne qu'au prix de la caricature.

Notre objectif est de montrer, en procédant à une généalogie de l'angoisse dans ses œuvres de jeunesse en remontant jusqu'à son essai d'ontologie phénoménologique, que Sartre avait de s vues singulières et des idées bien arrêtées sur l'angoisse.

Sartre a intégré certaines perspectives de l'angoisse heideggérienne pour constituer sa phénoménologie de l'angoisse sans modifier pour autant son tracé initial.

Il faut, lorsqu'on interroge le rapport Heidegger/Sartre quant à l'angoisse, tenir compte de l'évolution de l'angoisse dans la pensée sartrienne de La Nausée (1931/1934) et l'Esquisse d'une théorie des émotions (1938) à L'existentialisme est un humanisme (1945), en passant par la Transcendance de l'Ego (1934), sans se cantonner à l' Être et le Néant (1943) 1.

1.

La découverte de Heidegger Dans Les Carnets de la drôle de guerre , Sartre entreprend de cerner son rapport à Heidegger.

Sa première rencontre avec Heidegger date de l'année 19 30.

« J'avais lu sans comprendre en 1930 Qu'est -ce que la métaphysique ? dans la revue Bifur.

» 2 Le fait est que dans la revue Bifur , dans laquelle Sartre a publié La légende de la vérité, on trouve une traduction d'un passage de Was ist Metaphysik ? qui porte essentiellement sur la Grundstimmung d’angoisse.

Sartre n'a vraiment eu accès au grand ouvrage de Heidegger qu'en 1938, au plus tôt.

Sartre connaissait la traduction proposée par H.

Corbin d'un certain nombre de textes de Heidegger parus en 1938 sous le titre Qu'est -ce que la métaphysique ? Ce recueil comprenait, outre la conférence de 1929, Vom Wesen des Grundes , une cinquantaine de pages de la deuxième section de Sein und Zeit , la conclusion de 1 Les dates entre parenthèses sont celles de la rédaction des textes cités.

2 Les Carnets de la drôle de guerre , XI, (novembre 1939-mars 1940), Gallimard, Paris, 1983, note 1, p.

225.

2. »

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