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Pouvoir du langage et langage du pouvoir

Publié le 13/10/2019

Extrait du document

langage
soit incompréhensible par ses sujets. Les dirigeants doivent parler aussi la langue de tout le monde et l'ensemble des citoyens doit comprendre de piano la langue des titulaires du Pouvoir. Du moins les citoyens doivent croire qu'ils la comprennent car, hélas ! toute question un peu sérieuse montre vite la distorsion, la déperdition de sens, voire le contresens, lorsqu'on essaie de vérifier ce que signifient ces mots quotidiennement utilisés : inflation, psychanalyse ou ... quotien électoral. En principe, le langage du peuvoir fonctionne comme un ensemble de signes codifiés de telle sorte qu'ils soient perçus et décodés par l'ensemble des destinataires; d'où la nécessité d'une éducation. Celle-ci est confiée à l'armée - relativement nombreuse -de la basse intelligentsia. En font partie les universitaires (à l'exception des vedettes); les enseignants du secondaire, les artistes (ordinaires), la plupart des membres des professions libérales, les cadres scientifiques et techniques, les publicitaires et les publicistes, la masse des jo^urnalistes (titulaires de la carte), sans doute les membres des clergés, les entrepreneurs ou directeurs des établissements moyens et ceux qui concourent de façon active à la confection de l'information. En tout environ 7 à 800.000 personnes servent d'intermédiaires (en France) entre le \"public\" et les dirigeants. Il leur appartient de mettre en circulation les idées, les normes de conduite recevables par la société tout entière.
 
En prise directe avec les sujets (ou les consommateurs) ils détiennent un faible pouvoir de décision personnelle, mais ils sont collectivement, des agents indispensables de transmission. Ils constituent •ta troupe des éducateurs de niveau moyen et celle {proliférante} des \"animateurs\" agissant dans le champ socio-culturel. C'est grâce à ces vulgarisateurs que, après une période plus ou moins longue, on adopte la peinture de Picasso, la musique de jazz, la lutte anti-inflationiste ou l'idée d'alternance tranquille. Tant que les langages nouveaux n'ont pas franchi la barrière de cette\" classe moyenne\", ils ne passent pas dans l'usage courant. Les créateurs sans diffuseurs restent impuissants et confidentiels. De même (quoique de façon moins apparente), tant que la foule n'a pas réduit la résistance de ces intermédiaires, elle n'a pas droit de cité. L'astuce des créateurs consiste à faire çroire à cette foule que les mots et les modes viennent d'elle et à faire oublier l'existence de ces médiateurs. La résistance apparente que ceux-ci opposent aux innovations confirme d'ailleurs très souvent le sentiment populaire qu'ils constituent l'obstacle; la résistance des intermédiaires survit souvent à la disparition des leaders. Mais un jour arrive où, pour sauver sa part de peuvoir, la classe moyenne adopte le nouveau langage (qui n'est plus nouveau); alors le discours du Pouvoir sort de son hermétisme, et le discours du vulgaire sort de sa vulgarité.
 
Les leaders d'opinion bénéficient d'une certaine autorité. Les détenteurs du peuvoir (le sommet) les utilisent et les courtisent en raison de leur efficacité dans l'acquisition des langages et des modes. Au sein du groupe intermédiaire des changements continus dépossèdent certains d'une partie de leur pouvoir au profit d'autres catégories. Ainsi \"l'école parallèle\" ternit le prestige des enseignants traditionnels. Il faut des messages toujours plus simples, plus actuels, plus agréables. Ils vont constituer le fonds commun dans lequel qous puiserons le langage de tous les jours qui est d'ailleurs le langage commun, sauf dans le petit domaine auquel donne accès la compétence particulière de chacun.
 
Ill. Vulgarisation et normalisation
 
Tout le monde sait que ce sont les jeunes qui prennent le mieux l'air du temps, aussi est-ce la jeunesse qui adopte et fixe les innovations langagières. On a souvent l'impression (surtout à un certain âge) d'un monde à l'envers : autrefois les Anciens détenaient le pouvoir et gardaient la langue; aujourd'hui ils composent,
Si le Pouvoir manifeste son emprise sur le langage, le langage à son tour influence le Pouvoir, à tel point que l'évolution des phénomènes langagiers a une signification historique et politique considérable. Une attitude de défense linguistique signe généralement une certaine décadence politique. L'invasion du franglais traduit ainsi notre infériorité à l'égard de l'Amérique anglophone : lorsque la France était puissante on parlait français à Saint-Pétersbourg et dans toutes les ambassades. Lorsque, dans un domaine quelconque, un pays montre une vitalité remarquable, c'est lui qui impose son langage, et avec son langage beaucoup d'autres choses évidemment. Si le français et l'espagnol cèdent du terrain devant l'anglo-américain, cela marque une faiblesse que toutes les mesures protectrices risquent de combattre sans succès.
 
L'exemple de la francophonie montre qu'il n'est pas facile de sortir d'une situation de dépendance linguistique quand on n'a pas su (ou pas pu) forger une langue indépendante. Nos anciennes colonies d'Afrique pratiquent un bilinguisme de fait parce qu'elles ne possèdent pas ou ne croient pas encore posséder un instrument capable de dire le monde, et en particulier le monde industriel et technique.II est tout à fait possible que le ouolof (Sénégal) ou le sango (Centrafrique) soient aptes à cet usage mais les dirigeants actuels de Dakar et de Bangui estiment que le français est le moyen le plus économique d'accéder à un certain stade de développement.



langage

« est devenue l'immense public de la télévision.

L'homme politique craignant le distributeur d'images ou le spécialiste en communication s'en fait des alliés et - même le général de Gaulle- apprend à jouer son rôle devant les caméras.

Il ne faudrait pas croire cependant que l'accès au pouvoir médiatique (la médiocratie, si l'on veut) soit aisé.

Autrefois le milieu où s'élaborait le langage adéquat était extrêmement restreint (une cour, un Parlement), aujourd'hui il a changé, s'est élargi mais n'est pas devenu pour autant cene foire que l'on imagine parfois.

Il s'agit plutôt d'un anisanat passablement élitiste.

En font panie ceux qui savent filtrer les idées et les tendances informes de la masse : le langage effiCace ne résulte pas du hasard mais d'une sensibilité particulière; n'est pas "branché" qui veut.

En lisant les Mythologies de Banhes, on pourrait croire qu'on fabrique aisément des Louison Bobet ou des Poujade : il n'en est rien.

Et que serait un mythe politique qui durerait l'espace d'une saison 1 La gauche, le libéralisme ou Georges Pompidou som des produits élaborés lentement dans des ateliers très compétents.

Les juristes ont longtemps été les mattres de ce langage du pouvoir; on a, au XIXème siècle, attribué à la presse le "quatrième" pouvoir, les Universitaires ont régné au début du vingtième siècle, nous sommes, peut-être, à l'Age de Séguéla Les bastions les plus solides se conquièrent diffiCilement : 11nstitut d'études politiques de Paris, les grandes écoles (mais non pas toutes), quelques grands journaux, radios ou télévisions constituent des clubs plutôt fermés et ceux qui réussissent en dehors des filières habituelles sont des exceptions ...

qui confirment la règle.

Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage du Pouvoir.

D'où cet air de connivence qu'ont ceux qui possèd ent le code, quel que soit leur pani ou leur opinion.

L'un des privilèges les plus incontestables du milieu dirigeant est précisément de conserv er la langue, comme l'ont bien montré Pierre Bourdieu et J.

Cl.

Passeron dans un ouvrage désormais classique.

Le langage de la culture se confond avec celui de la classe dirigeante, si bien que l'éducation supérieure va comme un gant aux enfants issus des milieux dirigeants alors que ceux des milieux populaires souffrent d'un handicap diffiCile à surmo nter.

Le privilège du langage est d'autant plus diffiCile à détruire qu'il semble aUer de soi et parait être le résultat (et non � l'origine) d'une instruction supérieure.

Les faits de langue montrent la capacité "performative" des classes supérieures d'imposer leur prononciation, leur lexique, de déterminer la qualité des énoncés corrects.

La légitimité (la force institutionnelle) alliée à la poss ession du langage co nvenu marque les hommes du pouvojr.

Ceci est tellemen t vrai que ceux qui veulent accéder à la.

compétition pour la conquête institutionelle du pouvoir doivent faire la preuve de leur capacité langagière sur un terrain qu'ils n'ont pas choisi : M.

Marchais doit démontrer qu'il maitrise le français politique (ce qu'il fait fon bien d'ailleurs, malgré les critiques malveillan ts).

Les langages non "reçus", le basque et le breton, le "parler-croquant" ne sont tolérables que comme des parenthèses.

Les dirigeants qui parlent un fançais négligé le font avec affectation; à tout moment, ils peuvent reprendre l'usage académique et, cela, tout le monde le sait.

Quand le chanteur Renaud, fils d'un professeur à la Sorbonne et interviewer du President de la République française parle "mal", il montre ce double pouvoir que peuvent posséder seulement un très petit nombre de ses compagnons du show-business.

M.

Giscard d'Estaing à l'accordéon reste M.

Gram d'Estaing Il.

Le rôle du pouvoir intermédiaire 1 1 n'en reste pas moins que le langage étant la propriété commune de tous les hommes qui ne souffrent ni d'aphasie ni de handicap caractérisé, nul n'admet plus ce qu'admettaient encore les Japonais de 194S: que la "langue de l'Empereur". »

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