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Balzac, peintre des mœurs de son temps

Publié le 14/01/2018

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Balzac, peintre des mœurs de son temps

En lisant les sèches et rebutantes nomenclatures de faits appelées histoires, qui ne s'est aperçu que les écrivains ont oublié, dans tous les temps, en Égypte, en Perse, en Grèce, à Rome, de nous donner l'histoire des mœurs ? Le morceau de Pétrone sur la vie privée des Romains irrite plutôt qu'il ne satisfait notre curiosité. Après avoir remarqué cette immense lacune dans le champ de l'Histoire, l'abbé Barthélemy consacra sa vie à refaire les mœurs grecques dans Anacharsis.

 

Mais comment rendre intéressant le drame à trois ou quatre mille personnages que présente une Société ? comment plaire à la fois au poète, au philosophe et aux masses qui veulent la poésie et la philosophie sous de saisissantes images ? Si je concevais l'importance et la poésie de cette histoire du cœur humain, je ne voyais aucun moyen d'exécution ; car, jusqu'à notre époque, les plus célèbres conteurs avaient dépensé leur talent à créer un ou deux personnages typiques, à peindre une face de la vie. Ce fut avec cette pensée que je lus les œuvres de Walter Scott. Walter Scott, ce trouveur (trouvère) moderne, imprimait alors une allure gigantesque à un genre de composition injustement appelé secondaire. N’est-il pas véritablement plus difficile de faire concurrence à l’état-civil avec Daphnis et Chloë, Roland, Amadis, Panurge, Don Quichotte, Manon Lescaut, Clarisse, Lovelace, Robinson Crusoë, Gil Blas, Ossian, Julie d’Etanges, mon oncle Tobie, Werther, René, Corinne, Adolphe, Paul et Virginie, Jeanie Dean, Claverhouse, Ivanhoë, Manfred, Mignon, que de mettre en ordre les faits à peu près les mêmes chez toutes les nations, de rechercher l’esprit de lois tombées en désuétude, de rédiger des théories qui égarent les peuples, ou, comme certains métaphysiciens, d’expliquer ce qui est ? D’abord, presque toujours ces personnages, dont l’existence devient plus longue, plus authentique que celle des générations au milieu desquelles on les fait naître, ne vivent qu'à la condition d’être une grande image du présent. Conçus dans les entrailles de leur siècle, tout le cœur humain se remue sous leur enveloppe, il s’y cache souvent toute une philosophie. Walter Scott élevait donc à la valeur philosophique de l’Histoire le roman, cette littérature qui, de siècle en siècle, incruste d'immortels diamants la couronne poétique des pays où se cultivent les lettres. Il y mettait l'esprit des anciens temps, il y réunissait à la fois le drame, le dialogue, le portrait, le paysage, la description ; il y faisait entrer le merveilleux et le vrai, ces éléments de l'épopée, il y faisait coudoyer la poésie par la familiarité des plus humbles langages. Mais, ayant moins imaginé un système que trouvé sa manière dans le feu du travail ou par la logique de ce travail, il n'avait pas songé à relier ses compositions l'une à

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« l' autre de manière à coo rdonner une histoire complète, don t chaq ue chap itre eût été un roman, et chaq ue roman une époq ue.

En apercevant ce défaut de liaison, qui d'ailleurs ne rend pas l'l't cossais moins grand, je vis à la fois le système favorable à l'ex écut ion de mon ouvrage et la pos sibilité de l'ex écuter .

Quoi que, po ur ainsi dire, ébloui par la fécond ité sur prenan te de Wa lter Scott, toujours semblable à lui-même et touj ours original, je ne fus pas désespéré , car je trouvai la raison de ce talent dans l'infinie variété de la nature humaine.

Le hasard est le plus grand romanc ier du monde : pour être fécond, il n'y a qu 'à l'étudie r.

La société française allait être l' histor ien, je ne deva is être que le sec réta ire.

En dressant l'inve ntaire des vices et des vertus, en rassemblant les princip aux faits des passions, en peignant les carac tères, en choisissant les événe ments principaux de la socié té, en composant des types par la réun ion des tra its de plusieurs ca ractères homogènes, peut-être pouvais-je arriver à écr ire l'histoire oubliée par tant d'hist oriens, celle des mœurs.

Avec beaucoup de patience et de cou rage, je réalis erais, sur la Franc e, au xrxe siècle, ce livre que nous regrettons tous , que Rome, Athènes, Tyr, Memp his, la Perse, l'Inde, ne nous ont malheureusement pas laissé sur leurs civilisat ions, et qu' à l'instar de l'abbé Barthé lemy, le cou rageux et patient Monteil avait essayé pour le Moy en Age, mais sous une forme peu attrayan te.

Ce trav ail n'était rien encore.

S'en tenant à cette repro duction rigoureus e, un écrivain pouvait devenir un pein tre plus ou moins fidèle , plus ou moins heureux, patient ou courageux des types humains, le conteur des drames de la vie intime, l'archéologue du mobilier social, le nomenc lateur des profes­ sio ns, l'enregistreur du bien et du mal; mais, pour mériter les éloges que doit ambiti onner tout artis te, ne deva is-je pas étudier les raisons ou la raison de ces effets sociaux, surprendre le sen s cach é da ns cet imme nse assemblag e de figure s, de passions et d'événe ments .

En fin, après avoir cherché , je ne dis pas trouvé , cette raison , ce moteur social, ne fallait-il pas méditer sur les principes naturels et voir en quoi les sociétés s'écarten t ou se rap prochen t de la règle éterne lle, du vrai , du beau? Malgré l'étend ue des prémis ses, qui pouvaient être à elles seu1es un ouvrag e , l'œuv re, pour être entière, voulait une conclusion.

Ainsi dépeinte, la société devait porter avec elle la raison de son mouvement .

Avant propos, r842, ibid., pp.

5 à 7·. »

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