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La Curée fâcher avec son fils, cesser de le voir.

Publié le 11/04/2014

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La Curée fâcher avec son fils, cesser de le voir. Le jeune veuf, riche de la dot de sa femme, alla vivre en garçon, dans un petit hôtel de l'avenue de l'Impératrice. Il avait renoncé au conseil d'Etat, il faisait courir. Renée goûta là une de ses dernières satisfactions. Elle se vengeait, elle jetait à la face de ces deux hommes l'infamie qu'ils avaient mise en elle; elle se disait que, maintenant, elle ne les verrait plus se moquer d'elle, au bras l'un de l'autre, comme des camarades. Dans l'écroulement de ses tendresses, il vint un moment où Renée n'eut plus que sa femme de chambre à aimer. Elle s'était prise peu à peu d'une affection maternelle pour Céleste. Peut-être cette fille, qui était tout ce qu'il restait autour d'elle de l'amour de Maxime, lui rappelait-elle des heures de jouissance mortes à jamais. Peut-être se trouvaitelle simplement touchée par la fidélité de cette servante, de ce brave coeur dont rien ne semblait ébranler la tranquille sollicitude. Elle la remerciait, au fond de ses remords, d'avoir assisté à ses hontes, sans la quitter de dégoût; elle s'imaginait des abnégations, toute une vie de renoncement, pour arriver à comprendre le calme de cette chambrière devant l'inceste, ses mains glacées, ses soins respectueux et tranquilles. Et elle se trouvait d'autant plus heureuse de son dévouement qu'elle la savait honnête et économe, sans amant, sans vices. Elle lui disait parfois dans ses heures tristes: Va, ma fille, c'est toi qui me fermeras les yeux. Céleste ne répondait pas, avait un singulier sourire. Un matin, elle lui apprit tranquillement qu'elle s'en allait, qu'elle retournait au pays. Renée en resta toute tremblante, comme si quelque grand malheur lui arrivait. Elle se récria, la pressa de questions. Pourquoi l'abandonnait-elle, lorsqu'elles s'entendaient si bien ensemble? Et elle lui offrit de doubler ses gages. Mais la femme de chambre, à toutes ses bonnes paroles, disait non du geste, d'une façon paisible et têtue. Voyez-vous, madame, finit-elle par répondre, vous m'offririez tout l'or du Pérou que je ne resterais pas une semaine de plus. Vous ne me connaissez pas, allez!... Il y a huit ans que je suis avec vous, n'est-ce pas? Eh bien, dès le premier jour, je me suis dit: « Dès que j'aurai amassé cinq mille francs, je m'en retournerai là-bas; j'achèterai sa maison à Lagache, et je vivrai bien heureuse...» C'est une promesse que je me suis faite, vous comprenez. Et j'ai les cinq mille francs d'hier, quand vous m'avez payé mes gages. Renée eut froid au coeur. Elle voyait Céleste passer derrière elle et Maxime, pendant qu'ils s'embrassaient, et elle la voyait, avec son indifférence, son parfait détachement, songeant à ses cinq mille francs. Elle essaya pourtant encore de la retenir, épouvantée du vide où elle allait vivre, rêvant malgré tout de garder auprès d'elle cette bête entêtée qu'elle avait crue dévouée, et qui n'était qu'égoïste. L'autre souriait, branlait toujours la tête, en murmurant: - Non, non, ce n'est pas possible. Ce serait ma mère, que je refuserais... J'achèterai deux vaches. Je monterai peut-être un petit commerce de mercerie... C'est très gentil chez nous. Ah! pour ça, je veux bien que vous veniez me voir. C'est près de Caen. Je vous laisserai l'adresse. Alors Renée n'insista plus. Elle pleura à chaudes larmes quand elle fut seule. Le lendemain, par un caprice de malade, elle voulut accompagner Céleste à la gare de l'Ouest, dans son propre coupé. Elle lui donna une de ses couvertures de voyage, lui fit un cadeau d'argent, s'empressa autour d'elle comme une mère dont la fille entreprend quelque pénible et long voyage. Dans le coupé, elle la regardait avec des yeux humides. Céleste causait, disait combien elle était contente de s'en aller. Puis, enhardie, elle s'épancha, elle donna des conseils à sa maîtresse. PARTIE VII 155 La Curée Moi, madame, je n'aurais pas compris la vie comme vous. Je me le suis dit bien souvent, quand je vous trouvais avec M. Maxime: « Est-il possible qu'on soit si bête pour les hommes! » Ça finit toujours mal... Ah! bien, c'est moi qui me suis toujours méfiée! Elle riait, elle se renversait dans le coin du coupé. C'est mes écus qui auraient dansé! continua-t-elle, et aujourd'hui je m'abîmerais les yeux à pleurer. Aussi, dès que je voyais un homme, je prenais un manche à balai... Je n'ai jamais osé vous dire tout ça. D'ailleurs, ça ne me regardait pas. Vous étiez bien libre, et moi je n'avais qu'à gagner honnêtement mon argent. A la gare, Renée voulut payer pour elle et lui prit une place de première. Comme elles étaient arrivées en avance, elle la retint, lui serrant les mains, lui répétant: Et prenez bien garde à vous, soignez-vous bien, ma bonne Céleste. Celle-ci se laissait caresser. Elle restait heureuse sous les yeux noyés de sa maîtresse, le visage frais et souriant. Renée parla encore du passé. Et, brusquement, l'autre s'écria: J'oubliais, je ne vous ai pas conté l'histoire de Baptiste, le valet de chambre de monsieur... On n'aura pas voulu vous dire... La jeune femme avoua qu'en effet elle ne savait rien. Eh bien, vous vous rappelez ses grands airs de dignité, ses regards dédaigneux, vous m'en parliez vous-même... Tout ça c'était de la comédie... Il n'aimait pas les femmes, il ne descendait jamais à l'office quand nous y étions; et même, je puis le répéter maintenant, il prétendait que c'était dégoûtant au salon, à cause des robes décolletées. Je le crois bien, qu'il n'aimait pas les femmes! Et elle se pencha à l'oreille de Renée; elle la fit rougir, tout en gardant elle- même son honnête placidité. Quand le nouveau garçon d'écurie, continua-t-elle, eut tout appris à monsieur, monsieur préféra chasser Baptiste que de l'envoyer en justice. Il parait que ces vilaines choses se passaient depuis des années dans les écuries... Et dire que ce grand escogriffe avait l'air d'aimer les chevaux! C'était les palefreniers qu'il aimait. La cloche l'interrompit. Elle prit à la hâte les huit ou dix paquets dont elle n'avait pas voulu se séparer. Elle se laissa embrasser. Puis elle s'en alla, sans se retourner. Renée resta dans la gare jusqu'au coup de sifflet de la locomotive. Et, quand le train fut parti, désespérée, elle ne sut plus que faire; ses journées lui semblaient s'étendre devant elle, vides comme cette grande salle où elle était demeurée seule. Elle remonta dans son coupé, elle dit au cocher de retourner à l'hôtel. Mais, en chemin, elle se ravisa; elle eut peur de sa chambre, de l'ennui qui l'attendait; elle ne se sentait pas même le courage de rentrer changer de toilette, pour son tour de lac habituel. Elle avait un besoin de soleil, un besoin de foule. Elle ordonna au cocher d'aller au Bois. Il était quatre heures. Le Bois s'éveillait des lourdeurs du chaud après-midi, le long de l'avenue de l'Impératrice, des fumées de poussière volaient, et l'on voyait, au loin, les nappes étalées des verdures que bornaient les coteaux de Saint-Cloud et de Suresnes, couronnées par la grisaille du mont Valérien. Le soleil, haut sur l'horizon, coulait, emplissant d'une poussière d'or les creux des feuillages, allumait les branches PARTIE VII 156

« \24 Moi, madame, je n'aurais pas compris la vie comme vous.

Je me le suis dit bien souvent, quand je vous trouvais avec M.

Maxime: « Est-il possible qu'on soit si bête pour les hommes! » Ça finit toujours mal...

Ah! bien, c'est moi qui me suis toujours méfiée! Elle riait, elle se renversait dans le coin du coupé.

\24 C'est mes écus qui auraient dansé! continua-t-elle, et aujourd'hui je m'abîmerais les yeux à pleurer.

Aussi, dès que je voyais un homme, je prenais un manche à balai...

Je n'ai jamais osé vous dire tout ça.

\24 D'ailleurs, ça ne me regardait pas.

Vous étiez bien libre, et moi je n'avais qu'à gagner honnêtement mon argent.

A la gare, Renée voulut payer pour elle et lui prit une place de première.

Comme elles étaient arrivées en avance, elle la retint, lui serrant les mains, lui répétant: \24 Et prenez bien garde à vous, soignez-vous bien, ma bonne Céleste.

Celle-ci se laissait caresser.

Elle restait heureuse sous les yeux noyés de sa maîtresse, le visage frais et souriant.

Renée parla encore du passé.

Et, brusquement, l'autre s'écria: \24 J'oubliais, je ne vous ai pas conté l'histoire de Baptiste, le valet de chambre de monsieur...

On n'aura pas voulu vous dire...

La jeune femme avoua qu'en effet elle ne savait rien.

\24 Eh bien, vous vous rappelez ses grands airs de dignité, ses regards dédaigneux, vous m'en parliez vous-même...

Tout ça c'était de la comédie...

Il n'aimait pas les femmes, il ne descendait jamais à l'office quand nous y étions; et même, je puis le répéter maintenant, il prétendait que c'était dégoûtant au salon, à cause des robes décolletées.

Je le crois bien, qu'il n'aimait pas les femmes! Et elle se pencha à l'oreille de Renée; elle la fit rougir, tout en gardant elle- même son honnête placidité.

\24 Quand le nouveau garçon d'écurie, continua-t-elle, eut tout appris à monsieur, monsieur préféra chasser Baptiste que de l'envoyer en justice.

Il parait que ces vilaines choses se passaient depuis des années dans les écuries...

Et dire que ce grand escogriffe avait l'air d'aimer les chevaux! C'était les palefreniers qu'il aimait.

La cloche l'interrompit.

Elle prit à la hâte les huit ou dix paquets dont elle n'avait pas voulu se séparer.

Elle se laissa embrasser.

Puis elle s'en alla, sans se retourner.

Renée resta dans la gare jusqu'au coup de sifflet de la locomotive.

Et, quand le train fut parti, désespérée, elle ne sut plus que faire; ses journées lui semblaient s'étendre devant elle, vides comme cette grande salle où elle était demeurée seule.

Elle remonta dans son coupé, elle dit au cocher de retourner à l'hôtel.

Mais, en chemin, elle se ravisa; elle eut peur de sa chambre, de l'ennui qui l'attendait; elle ne se sentait pas même le courage de rentrer changer de toilette, pour son tour de lac habituel.

Elle avait un besoin de soleil, un besoin de foule.

Elle ordonna au cocher d'aller au Bois.

Il était quatre heures.

Le Bois s'éveillait des lourdeurs du chaud après-midi, le long de l'avenue de l'Impératrice, des fumées de poussière volaient, et l'on voyait, au loin, les nappes étalées des verdures que bornaient les coteaux de Saint-Cloud et de Suresnes, couronnées par la grisaille du mont Valérien.

Le soleil, haut sur l'horizon, coulait, emplissant d'une poussière d'or les creux des feuillages, allumait les branches La Curée PARTIE VII 156. »

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