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-- Douze ou quatorze, peu importe.

Publié le 30/10/2013

Extrait du document

-- Douze ou quatorze, peu importe. Il y en aura assez pour tout le monde. Vous n'avez pas faim ? Ou soif ? -- Faim ? Soif ? Vous parlez sérieusement ? Le vieillard s'inclina comiquement, balayant le sol de son perron d'un ample salut d'imaginaire chapeau :  Monsieur le ministre, mon colonel, le petit déjeuner est servi ! ans l'escalier, ce fut la ruée. Des gosses ! La classe est finie. En récré pour la vie ! Au portillon ouvert sur la terrasse, ils s'arrêtèrent d'un coup, saisis de stupeur. Un petit déjeuner ? Le vieux monsieur cultivait l'euphémisme. Sur une grande table longue ornée d'une nappe à carreaux, des pyramides d'élégants sandwiches fort joliment dressées, de fines tranches de jambon écarlates en corolles sur d'immenses plats, des bols d'olives noires, des assiettes en tout genre, cornichons, oignons au vinaigre, tomates et oeufs durs alternant en rondelles, anchois en rosaces, fromages de chèvre soigneusement grattés, juste ce qu'il faut, mais pas trop, bouquets de saucissons, pâtés en terrines de grès, des bouteilles débouchées partout, des verres sur un plateau, cigarettes, cigares, allumettes et, dans un coin, le vieux marc, escorté de ses verres ballon. -- Vous êtes vraiment tout seul ? balbutia le colonel, recouvrant le premier la parole. -- J'ai toujours aimé organiser des buffets. Je trouve cela plaisant à regarder. À six heures cinq, je vous ai vus filer d'en bas. Je m'y suis donc attelé aussitôt. Vous me pardonnerez, il me manque deux ou trois choses. Je voulais faire une crème fouettée, mais vous êtes arrivés plus vite que je ne le pensais. Vous vous passerez d'entremets, voilà tout. -- Nom de Dieu ! dit soudain le colonel, qu'est-ce que c'est que ça ? Il désignait un jeune homme affalé dans un coin, les jambes écartées, la tête pendante, que la nappe tombant jusqu'au sol leur avait d'abord caché. Longs cheveux sales, jeans et baskets, il était parfaitement immobile. Une tache rouge sur sa oitrine, autour d'un petit trou bien net, ne laissait aucune illusion sur son état.  C'est vous ? demanda seulement le colonel.  C'est moi, répondit le vieillard en inclinant la tête. Je ne pouvais plus supporter ce qu'il disait. Dans une guerre, même erdue, il faut bien quelques morts, sinon ce n'est pas honnête. J'ai agi comme vous, en bas. Ma petite guerre à moi. Sans llusion mais pour le plaisir. C'est drôle, dit-il considérant le cadavre, je l'avais complètement oublié. -- Il y a longtemps ? -- Hier au soir. -- Il faut le virer de là avant qu'il pue, dit simplement le colonel. On va vous en débarrasser. Ce fut toute l'oraison funèbre du jeune homme. -- Et maintenant, à table ! proclama le ministre. Monsieur Calguès, je bois à la santé du Village ! Et il ajouta, sur un ton faussement sérieux : -- Ministre de la Culture, cela vous plairait ?  -- N'oublions pas la base stratégique, fit le colonel. Vous ! - il s'adressait à un homme du commando de marine - uisque vous avez sauvé votre clairon, sonnez la soupe, ça va leur en boucher un coin ! uand on connaît les paroles qui forment le thème de cette sonnerie, on peut considérer qu'éclatant dans le ciel occidental, lle prit des accents prophétiques. XXLVI La France a cédé. L'irrémédiable est accompli. Aucun retour au passé n'est désormais possible, malgré quelques rares aménagements locaux négociés çà et là quand le rapport des forces morales s'y prêtait. Il reste au monde entier, qui retenait son souffle, à l'apprendre à son tour et en tirer profit, ou en supporter les conséquences, selon la division des camps. À dire vrai, il sort de mon propos de dresser un panorama complet de notre planète en ébullition ce jour du lundi de Pâques. C'est de l'histoire contemporaine, il y faudrait des volumes et, d'ailleurs, à quoi bon ? Mon coeur est resté au Village. Et si je trouve la force d'ajouter quelques pages à ce récit, lequel m'a coûté beaucoup de larmes en dépit d'une certaine bouffonnerie crevant à chaque instant la tristesse des faits - car tout cela était bouffon, n'est-ce pas ? - c'est au Village seulement que je les consacrerai. Tout au plus puis je dessiner, à traits grossiers, la conclusion de quelques scènes essentielles à l'intelligence de ce récit - Mon Dieu ! me suis-je bien fait comprendre ? Ai-je décrit comme il le fallait l'inexorable processus de dégradation ? - et laissées en suspens d'un chapitre à l'autre, un peu comme des bombes à retardement. Elles ont éclaté partout à la fois. Sur les rives du Limpopo, à Paris, Londres, New York... La France des lumières olontairement à genoux, aucun gouvernement, désormais, n'osera signer seul le crime de génocide. Le flot noir monte à entral Park : vingt-deux étages en une heure. « Black is beautiful et tous les asticots sont blancs. « On n'entend rien, comme chante ce poète de Harlem, « que le bruit de la lance enfoncée dans la moelle de l'oppresseur «. Au vingtinquième étage, le docteur Norman Haller mesure la marche du temps : deux étages seulement séparent le passé de 'avenir. La voix du maire de New York, au téléphone, lui parvient presque apaisée : « J'ai de la chance, Norman, ce sont rois familles de Harlem. Des enfants délicieux. Ils ne m'ont même pas craché dessus. J'en ai un sur les genoux et il joue vec mon revolver. Évidemment, j'avais enlevé le chargeur ! Norman, que pouvait-on faire d'autre ? «... On négocie, au 10 owning Street. Le Non European Commonwealth Committee a pris possession de Londres de la façon la plus courtoise. imple question de statistique. On fait les comptes et on compare. Vraiment, quelle imprudence ! On n'imaginait pas qu'ils ussent aussi nombreux... Personne, évidemment, ne se souciait plus de l'Afrique du Sud. Même la haine qu'elle inspirait à ous était devenue superflue. Comme une plage sous la marée qui franchissait le Limpopo, elle disparut de la carte en tant ue nation blanche, avec, pour seule consolation, l'écroulement simultané de ses pairs qui l'avaient si longtemps ésavouée. Aux Philippines, à Djakarta, Karachi, Conakry et encore Calcutta, tous ces ports étouffants du tiers monde, 'autres flottes immenses appareillaient pour l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Europe. La grande migration déroulait son apis. Et si l'on veut bien se pencher sur le passé des hommes, ce n'était certes pas la première. D'autres civilisations, agement étiquetées dans les vitrines de nos musées, avaient déjà subi le même sort. Mais l'homme écoute rarement les eçons du passé... u chapitre de la petite histoire, signalons une dernière anecdote exemplaire : le départ de Manille du paquebot géant rançais Normandie, avec son équipage métropolitain au complet, consentant puisque « lassé de servir de larbins «, selon es proclamations syndicales tant de fois publiées, « aux oisifs privilégiés «, et accueillant de son mieux cinq mille pauvres ères philippins. Hélas ! l'euphorie fraternelle ne passa pas le cap de la première nuit. Pour réussir des banquets de pauvres, l y faut la longue expérience des « Petits-Frères « ou de l'Armée du salut, une retenue raisonnable dans le don, assortie de a docilité des pauvres indispensable à l'exercice sans danger de la charité-soupape. Ce fut catastrophique. Non que les éserves du bord n'aient suffi à les rassasier, ce serait faire injure à notre regrettée « Transat « ! Mais, quand les Philippins es bidonvilles de Manille découvrirent la débauche de boissons et de victuailles gentiment préparées sur d'immenses uffets, à tous les ponts, ils se jetèrent tous ensemble dessus comme des fous. Ils mangeaient et buvaient, certes. Mais plus récisément, ils pillaient les buffets et c'était exactement ce qu'ils voulaient. Puis ils pillèrent les cuisines. Et après les uisines, les soutes alimentaires, les caves, même les chambres froides ouvertes sous la menace. Tout le navire y passa. Une ornade ! Les coursives jonchées de vaisselle et de bouteilles brisées, les élégantes cabines transformées en taudis, les rands panneaux laqués des salons, orgueil du Normandie, mutilés, maculés. « Finalement «, avait conclu le barman des premières avant de rendre son tablier, puis son âme, un couteau planté dans son dos, « finalement j'aime mieux les riches. Au moins, quand ils dégueulaient, ils prenaient le temps d'aller jusqu'aux toilettes ! « Il aurait fallu y penser plus tôt... Mais revenons aux choses sérieuses et, curieusement, en dépit de toute la désolation qui se dissimule derrière cet adjectif, je ne parviens pas à l'écrire sans sourire. Sérieux ! Au nom du ciel ! est-ce que tout cela présentait une quelconque apparence de sérieux ? La façon dont le monde apprit, sur les ondes françaises, la nouvelle du débarquement et de la non-résistance de a France, en offre l'ultime illustration : n se souvient qu'à RTZ, au matin du lundi de Pâques, Boris Vilsberg avait assez bien jugé la foule surexcitée qui s'entassait dans le grand studio devenu presque irrespirable. La dernière parole sensée qu'il put prononcer et qu'on écouta ut : « Mais ouvrez la fenêtre, bon Dieu ! sans quoi on va tomber comme des mouches ! « La phrase, d'ailleurs, passa sur 'antenne et donna aussitôt le ton de l'émission. Il avait conservé sa place devant l'un des micros de la grande table ronde, e père Agnellu à son côté. Essayant bravement de faire front, il avait tenté de conserver l'initiative, déclenchant d'un signe e main vers la cabine de régie son indicatif personnel, suivi de la phrase consacrée dite par un speaker tremblant : « Boris ilsberg commente l'événement... ! « Qu'avait-il osé dire, le malheureux ! On ne s'entendait plus, dans le studio. Un hahut monstre ! La ruée vers les micros des sectateurs du verbe. Des voix criaient un peu partout : « Boris Vilsberg ne commente rien du tout ! C'est le peuple des affamés désormais, qui commente ! « Comme il n'y avait pas moins d'une dizaine de micros répartis autour de la grande table ronde et une demi-douzaine d'orateurs déchaînés vociférant à chaque micro, on peut imaginer le résultat. Notons qu'à ce moment-là, à l'autre bout de Paris, Marcel et Josiane se regardent en silence devant leur transistor allumé. Ils ont compris. Josiane dit : « Vas-y tout de suite, cela vaudra mieux pour nous. «

« XXLVI La France acédé.

L’irrémédiable estaccompli.

Aucunretouraupassé n’estdésormais possible,malgréquelques rares aménagements locauxnégociés çàetlàquand lerapport desforces morales s’yprêtait.

Ilreste aumonde entier,quiretenait son souffle, àl’apprendre àson tour eten tirer profit, ouensupporter lesconséquences, selonladivision descamps.

Àdire vrai, ilsort demon propos dedresser unpanorama completdenotre planète enébullition cejour dulundi dePâques.

C’est de l’histoire contemporaine, ilyfaudrait desvolumes et,d’ailleurs, àquoi bon ? Moncoeur estresté auVillage.

Etsije trouve laforce d’ajouter quelquespagesàce récit, lequel m’acoûté beaucoup delarmes endépit d’une certaine bouffonnerie crevantàchaque instantlatristesse desfaits –car tout cela était bouffon, n’est-cepas ? – c’est auVillage seulement quejeles consacrerai.

Toutauplus puisjedessiner, àtraits grossiers, laconclusion dequelques scènes essentielles àl’intelligence decerécit –Mon Dieu ! mesuis-je bienfaitcomprendre ? Ai-jedécrit comme ille fallait l’inexorable processusdedégradation ? – et laissées ensuspens d’unchapitre àl’autre, unpeu comme desbombes à retardement. Elles ontéclaté partout àla fois.

Surlesrives duLimpopo, àParis, Londres, NewYork...

LaFrance deslumières volontairement àgenoux, aucungouvernement, désormais,n’oserasignerseullecrime degénocide.

Leflot noir monte à Central Park :vingt-deux étagesenune heure.

« Black isbeautiful ettous lesasticots sontblancs. » Onn’entend rien, comme chantecepoète deHarlem, « quelebruit delalance enfoncée danslamoelle del’oppresseur ».

Auvingt- cinquième étage,ledocteur Norman Hallermesure lamarche dutemps : deuxétages seulement séparentlepassé de l’avenir.

Lavoix dumaire deNew York, autéléphone, luiparvient presqueapaisée : « J’aidelachance, Norman, cesont trois familles deHarlem.

Desenfants délicieux.

Ilsnem’ont même pascraché dessus.

J’enaiun sur lesgenoux etiljoue avec monrevolver.

Évidemment, j’avaisenlevélechargeur ! Norman,quepouvait-on faired’autre ? »...

Onnégocie, au10 Downing Street.LeNon European Commonwealth Committeeapris possession deLondres delafaçon laplus courtoise. Simple question destatistique.

Onfait lescomptes eton compare.

Vraiment, quelleimprudence ! Onn’imaginait pasqu’ils fussent aussinombreux...

Personne,évidemment, nesesouciait plusdel’Afrique duSud.

Même lahaine qu’elle inspirait à tous était devenue superflue.

Commeuneplage souslamarée quifranchissait leLimpopo, elledisparut delacarte entant que nation blanche, avec,pourseule consolation, l’écroulement simultanédeses pairs quil’avaient silongtemps désavouée.

AuxPhilippines, àDjakarta, Karachi,Conakry etencore Calcutta, touscesports étouffants dutiers monde, d’autres flottesimmenses appareillaient pourl’Australie, laNouvelle-Zélande, l’Europe.Lagrande migration déroulaitson tapis.

Etsil’on veut biensepencher surlepassé deshommes, cen’était certespaslapremière.

D’autrescivilisations, sagement étiquetées danslesvitrines denos musées, avaientdéjàsubi lemême sort.Mais l’homme écouterarement les leçons dupassé... Au chapitre delapetite histoire, signalons unedernière anecdote exemplaire : ledépart deManille dupaquebot géant français Normandie , avec sonéquipage métropolitain aucomplet, consentant puisque« lassédeservir delarbins », selon ses proclamations syndicalestantdefois publiées, « auxoisifsprivilégiés », etaccueillant deson mieux cinqmille pauvres hères philippins.

Hélas !l’euphorie fraternellenepassa paslecap delapremière nuit.Pour réussir desbanquets depauvres, il yfaut lalongue expérience des« Petits-Frères » oudel’Armée dusalut, uneretenue raisonnable dansledon, assortie de la docilité despauvres indispensable àl’exercice sansdanger delacharité-soupape.

Cefutcatastrophique.

Nonqueles réserves dubord n’aient suffiàles rassasier, ceserait faireinjure ànotre regrettée « Transat » ! Mais,quand lesPhilippins des bidonvilles deManille découvrirent ladébauche deboissons etde victuailles gentimentpréparéessurd’immenses buffets, àtous lesponts, ilssejetèrent tousensemble dessuscomme desfous.

Ilsmangeaient etbuvaient, certes.Maisplus précisément, ilspillaient lesbuffets etc’était exactement cequ’ils voulaient.

Puisilspillèrent lescuisines.

Etaprès les cuisines, lessoutes alimentaires, lescaves, mêmeleschambres froidesouvertes souslamenace.

Toutlenavire ypassa.

Une tornade ! Lescoursives jonchéesdevaisselle etde bouteilles brisées,lesélégantes cabinestransformées entaudis, les grands panneaux laquésdessalons, orgueil du Normandie, mutilés, maculés.

« Finalement », avaitconclu lebarman des premières avantderendre sontablier, puissonâme, uncouteau plantédanssondos, « finalement j’aimemieuxlesriches. Au moins, quandilsdégueulaient, ilsprenaient letemps d’aller jusqu’aux toilettes ! » Ilaurait falluypenser plustôt... Mais revenons auxchoses sérieuses et,curieusement, endépit detoute ladésolation quisedissimule derrièrecetadjectif, je ne parviens pasàl’écrire sanssourire.

Sérieux ! Aunom duciel ! est-ce quetout cela présentait unequelconque apparence de sérieux ? Lafaçon dontlemonde apprit,surlesondes françaises, lanouvelle dudébarquement etde lanon-résistance de la France, enoffre l’ultime illustration : On sesouvient qu’àRTZ, aumatin dulundi dePâques, BorisVilsberg avaitassez bienjugélafoule surexcitée qui s’entassait danslegrand studio devenu presque irrespirable.

Ladernière parolesensée qu’ilputprononcer etqu’on écouta fut : « Mais ouvrezlafenêtre, bonDieu ! sansquoi onvatomber comme desmouches ! » Laphrase, d’ailleurs, passasur l’antenne etdonna aussitôt leton del’émission.

Ilavait conservé saplace devant l’undesmicros delagrande tableronde, le père Agnellu àson côté.

Essayant bravement defaire front, ilavait tentédeconserver l’initiative, déclenchant d’unsigne de main verslacabine derégie sonindicatif personnel, suividelaphrase consacrée diteparunspeaker tremblant : « Boris Vilsberg commente l’événement... ! » Qu’avait-ilosédire, lemalheureux ! Onnes’entendait plus,danslestudio.

Un chahut monstre ! Laruée verslesmicros dessectateurs duverbe.

Desvoix criaient unpeu partout : « BorisVilsberg ne commente riendutout ! C’estlepeuple desaffamés désormais, quicommente ! » Commeiln’y avait pasmoins d’une dizaine demicros répartis autourdelagrande tableronde etune demi-douzaine d’orateursdéchaînésvociférant àchaque micro, onpeut imaginer lerésultat.

Notonsqu’àcemoment-là, àl’autre boutdeParis, Marcel etJosiane seregardent en silence devantleurtransistor allumé.Ilsont compris.

Josianedit :« Vas-y toutdesuite, celavaudra mieuxpournous. ». »

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