Devoir de Philosophie

Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain, au lieu de cette tempête grondeuse et pleureuse, je puis, à force de vouloir, espérer et croire enfin que les choses iront comme je veux ; mais elles vont leur train.

Publié le 03/11/2013

Extrait du document

Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain, au lieu de cette tempête grondeuse et pleureuse, je puis, à force de vouloir, espérer et croire enfin que les choses iront comme je veux ; mais elles vont leur train. D'où je vois bien que ma prière est d'un nigaud. Mais quand il s'agit de mes frères les hommes, ou de mes s?urs les femmes, tout change. Ce que je crois finit souvent par être vrai. Si Je me crois haï, je serai haï ; pour l'amour de même. Si je crois que l'enfant que j'instruis est incapable d'apprendre, cette croyance écrite dans mes regards et dans mes discours le rendra stupide, au contraire, ma confiance et mon attente est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme. Je prête, dites-vous, à la femme que j'aime, des vertus qui elle n'a point, mais si elle sait que je crois en elle, elle les aura. Plus ou moins, mais il faut essayer ; il faut croire. Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable, estimez-le, il s'élèvera. La défiance a fait plus d'un voleur ; une demi-confiance est comme une injure ; mais si je savais la donner toute, qui donc me tromperait ? Il faut donner d'abord. ALAIN

« Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)"Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain...

Il fautdonner d'abord." Alain Trop souvent, le réalisme invoqué par ceux qui, se satisfaisant de ce qui est, refusent tout effort pour rendrepossible l'avènement de ce qui pourrait être, sert à disqualifier l'idéal.

Trop souvent, une confusion entredéterminisme naturel et règles d'action humaines a pour effet de justifier ce qui est et de démobiliser toute volontéde progrès.

Trop souvent aussi, l'idée négative que l'on a d'une personne induit ce qu'elle prétend dénoncer, croyantainsi se confirmer elle-même alors qu'elle ne fait que désigner les effets qu'elle provoque comme des propriétés «naturelles » de l'être qu'elle juge.Le texte d'Alain, en s'attachant à bien souligner les deux distinctions (de ce qui est et de ce qui pourrait ou devraitêtre ; du déterminisme naturel et de l'action humaine), remet les choses au point avec netteté.

Et sa mise au pointa d'autant plus de portée qu'il rappelle la vanité du volontarisme là où la volonté humaine n'a pas de prise, tout enprécisant, dans la seconde partie du texte, que la volonté peut devenir à son tour facteur déterminant lorsqu'ils'agit des rapports entre les hommes.

L'examen des exemples qu'il donne suffirait, à lui seul, à montrer l'intérêt dutexte et son actualité au sens philosophique du mot.

Mais il convient de revenir sur le statut de l'idéal tel qu'il estesquissé dans le texte, en tant qu'acte de foi et croyance dont la fécondité pratique est manifeste.

Une premièreremarque, de fait, est que si les hommes s'en étaient constamment tenus à ce qui est, disqualifiant et la croyanceen un monde meilleur et la confiance en un progrès moral de l'humanité, il n'y aurait eu dans l'histoire ni évolution nipériode de progrès.

La servitude aurait été entérinée, et l'injustice consacrée comme appartenant à l'ordre deschoses.

Le statut de la croyance — et de la confiance — qui crédite les hommes de « perfectibilité » est ici en jeu.Pour Kant, le domaine de la croyance est indispensable à l'action.

Non pas, comme on l'interprète trop souvent, parle biais d'une foi aveugle figeant les normes morales en dogmes religieux.

Mais plutôt dans la position, par l'homme,d'une valeur qui dépasse peut-être les limites de son expérience présente, et constitue à ce titre une référence luipermettant de se dépasser lui-même, de progresser.

Commentant dans la Critique de la raison pure le statut desidées chez Platon, Kant fait remarquer que la fonction normative et régulatrice de l'idée (forme ou principe idéal) estirréductible, et justifie amplement son importance philosophique.

La non-correspondance entre l'idée et le réel n'estdonc pas une disqualification de l'idée, pas plus que les entorses trop fréquentes aux droits de l'homme ou à lajustice ne disqualifient ces idéaux.

Dans une perspective similaire, Rousseau écrivait que, si la force des choses tendà détruire l'égalité, le rôle de la loi et des actions humaines doit être de la restaurer.Ainsi l'acte de foi, qui est position de valeur et d'idéal, n'a rien d'illégitime lorsqu'il s'agit de l'homme ; et il seraiterroné de le confondre avec le fidéisme religieux ou avec l'obscurantisme d'une certaine croyance (« la volonté deDieu, asile de l'ignorance » selon Spinoza).

Il faut, bien sûr, admettre le présupposé d'une plasticité (Rousseau disaitd'une perfectibilité) de la nature humaine, voire aussi celui du libre arbitre qui fait que l'homme peut se choisir — laconfiance dont il fait l'objet lui permettant de faire effort sur lui-même et de progresser.

Les exemples donnés parAlain sont à cet égard très remarquables.

Leur point commun est l'importance conférée à la confiance, évoquéesous des formes multiples, dans les progrès que peut accomplir la personne qui est objet de cette confiance.

Dansla relation à autrui, cette forme d'amour et de respect qu'est la confiance mutuelle ; dans la relation éducative oul'instruction, le rôle stimulant de la confiance placée dans l'élève ; en politique, le rôle de l'estime dont le peuple faitl'objet ; enfin, en jurisprudence, dans la prévention des délits, le rôle de la confiance.

À chaque fois, c'est la forceexemplaire d'une image non pas idéale, mais meilleure, qui conduit les personnes à se dépasser elles-mêmes, àprogresser.

Ces exemples pourraient tous relever d'une même conception, à savoir l'optimisme raisonnable qui est liénon à l'idée hypothétique d'une bonté originelle de l'homme, mais à celle de sa perfectibilité.

Force est de constater,d'ailleurs, que souvent ceux qui nient la possibilité d'un progrès social et humain s'appuient sur une conceptiontotalement pessimiste, négative et déterministe, de la nature humaine.

Les mêmes personnes, dont les attitudesconservatrices sont manifestes, préfèrent la répression à la réinsertion, la haine vengeresse à la confiance, l'ordrerassurant des prisons au risque généreux de l'amélioration morale des hommes grâce à une attitude decompréhension (celle-ci n'est jamais confondue, pour ceux qui en font preuve, avec la justification, et il faut être debien mauvaise foi pour insinuer le contraire).

L'idée que le peuple a besoin de chefs relève du même type d'attitude :le mépris se conjugue ici avec la paresse qui consiste à recenser les maux et les injustices de la Terre, et à voir eneux l'expression d'un ordre immuable, inscrit dans la nature.

On sait à quelle attitude de rejet peut conduire une telleconception.

Ne voir que le négatif, et caractériser toute une personne à partir d'un acte passé est aussiinacceptable que l'attitude inverse, qui consiste à innocenter une personne sous prétexte qu'elle est « capable demieux faire ».

Il ne s'agit en l'occurrence ni d'innocenter ni d'accabler définitivement.

Il faut donc croire, donnertoute sa confiance, comme dit Alain.

Aux antipodes d'une foi obscurantiste, une telle croyance s'accorde pleinementavec la confiance philosophique dans le pouvoir de la raison, qu'il s'agit dès lors de cultiver à partir de positions quilui donnent son plein sens et précisent son enjeu existentiel.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles