Devoir de Philosophie

on ne sait.

Publié le 01/11/2013

Extrait du document

on ne sait. D'où ils sont tombés, on l'ignore. Où ils finiront, ils ne le savent pas. Parmi eux, le nombre des déclassés est considérable. Beaucoup d'étrangers, d'ailleurs. Les chemins de fer et les navires marchands les y ont jetés un peu comme des colis de rebut, et ils encombrent la voie publique, d'où la police essaye en vain de les chasser. Donc, Sarcany et Zirone, après un dernier regard jeté à travers le golfe, jusqu'au phare élevé à la pointe de Sainte-Thérèse, quittèrent le môle, prirent entre le Teatro Communale et le square, arrivèrent à la Piazza Grande, où ils flânèrent un quart d'heure, auprès de la fontaine bâtie avec les pierres du Karst voisin, au pied de la statue de Charles VI. Tous deux revinrent alors vers la gauche. En vérité, Zirone dévisageait les passants, comme s'il avait eu l'irrésistible envie de les détrousser. Puis, ils tournèrent l'énorme carré du Tergesteum, précisément à l'heure où finissait la Bourse. « La voilà vide... comme la nôtre ! « crut devoir dire le Sicilien, en riant sans avoir aucune envie de rire. Mais l'indifférent Sarcany n'eut pas même l'air d'entendre la mauvaise plaisanterie de son compagnon, qui se détirait les membres avec un bâillement de famélique. Alors ils traversèrent la place triangulaire, sur laquelle se dresse la statue de bronze de l'empereur Léopold Ier. Un coup de sifflet de Zirone, - coup de sifflet de gamin musard, - fit envoler tout un groupe de ces pigeons bleus qui roucoulent sous le portique de la vieille Bourse, comme les pigeons grisâtres, entre les Procuraties de la place de Saint-Marc, à Venise. Non loin se développait le Corso, qui sépare la nouvelle de l'ancienne Trieste. Une rue large, mais sans élégance, des magasins bien achalandés, mais sans goût, plutôt le Régent Street de Londres ou le Broadway de New-York, que le boulevard des Italiens de Paris. Grand nombre de passants, d'ailleurs. Un chiffre suffisant de voitures, allant de la Piazza Grande à la Piazza della Legna, - noms qui indiquent combien la ville se ressent de son origine italienne. Si Sarcany affectait d'être inaccessible à toute tentation, Zirone ne passait pas devant les magasins sans y jeter ce regard envieux de ceux qui n'ont pas le moyen d'y entrer. Il y aurait eu là, cependant, bien des choses à leur convenance, principalement chez les marchands de comestibles, et dans les « birreries «, où la bière coule à flots plus qu'en aucune autre ville du royaume austro-hongrois. « Il fait encore plus faim et plus soif dans ce Corso ! « fit observer le Sicilien, dont la langue claqua, comme une cliquette de malandrin, entre ses lèvres desséchées. Observation à laquelle Sarcany ne répondit que par un haussement d'épaules. Tous deux prirent alors la première rue à gauche, et, arrivés sur les bords du canal, au point où le Ponto Rosso, - pont tournant, - le traverse, ils en remontèrent ces quais auxquels peuvent accoster même des navires d'un fort tirant d'eau. Là, ils devaient être infiniment moins sollicités par l'attraction des étalagistes. À la hauteur de l'église Sant'Antonio, Sarcany prit brusquement sur la droite. Son compagnon le suivit, sans faire aucune observation. Puis, ils retraversèrent le Corso, et les voilà s'aventurant à travers la vieille ville, dont les rues étroites, impraticables aux voitures quand elles grimpent les premières pentes du Karst, sont le plus souvent orientées de manière à ne point se laisser prendre d'enfilade par le terrible vent de la bora, violente brise glacée du nord-est. En cette vieille Trieste, Zirone et Sarcany, - ces deux sans-le-sou, - devaient se trouver plus chez eux qu'au milieu des riches quartiers de la nouvelle ville. C'était, en effet, au fond d'un hôtel modeste, non loin de l'église de Santa-Maria-Maggiore, qu'ils logeaient depuis leur arrivée dans la capitale de l'Illyrie. Mais comme l'hôtelier, impayé jusqu'alors, devenait pressant à propos d'une note qui grossissait de jour en jour, ils évitèrent ce cap dangereux, traversèrent la place et flânèrent pendant quelques instants autour de l'Arco di Riccardo. En somme, d'étudier ces restes de l'architecture romaine, cela ne pouvait leur suffire. Donc, puisque le hasard tardait visiblement à paraître au milieu de rues mal fréquentées, l'un suivant l'autre, ils commencèrent à remonter les rudes sentiers, qui conduisent presque au sommet du Karst, à la terrasse de la cathédrale. « Singulière idée de grimper là-haut ! « murmura Zirone, en serrant sa cape à la ceinture. Mais il n'abandonna pas son jeune compagnon, et, d'en bas, on aurait pu les voir se hissant le long de ces escaliers improprement qualifiés de rues, qui desservent les talus du Karst. Dix minutes après, plus altérés et plus affamés qu'avant, ils atteignaient la terrasse. Que de ce point élevé la vue s'étende magnifiquement à travers le golfe de Trieste jusqu'à la pleine mer, sur le port animé par le va-et-vient des bateaux de pêche, l'entrée et la sortie des steamers et des navires de commerce, que le regard embrasse la ville tout entière, ses faubourgs, les dernières maisons étagées sur la colline, les villas éparses sur les hauteurs, cela n'était plus pour émerveiller ces deux aventuriers. Ils en avaient vu bien d'autres, et, d'ailleurs, que de fois déjà, ils étaient venus promener en cet endroit leurs ennuis et leur misère ! Zirone, surtout, eût mieux aimé flâner devant les riches boutiques du Corso. Enfin, puisque c'était le hasard et ses générosités fortuites qu'ils étaient venus chercher si haut, il fallait l'y attendre sans trop d'impatience. Il y avait là, à l'extrémité de l'escalier qui accède à la terrasse, près de la cathédrale byzantine de Saint-Just, un enclos, jadis un cimetière, devenu un musée d'antiquités. Ce ne sont plus des tombeaux, mais des fragments de pierres funéraires, couchés sous les basses branches de beaux arbres, stèles romaines, cippes moyen âge, morceaux de triglyphes et de métopes de diverses époques de la Renaissance, cubes vitrifiés, où se voient encore des traces de cendres, le tout pêle-mêle dans l'herbe. La porte de l'enclos était ouverte. Sarcany n'eut que la peine de la pousser. Il entra, suivi de Zirone, qui se contenta de faire cette réflexion mélancolique : « Si nous avions l'intention d'en finir avec la vie, l'endroit serait favorable ! - Et si on te le proposait ?... répondit ironiquement Sarcany. - Eh ! je refuserais, mon camarade ! Qu'on me donne seulement un jour heureux sur dix, je n'en demande pas plus ! - On te le donnera, - et mieux ! - Que tous les saints de l'Italie t'entendent, et Dieu sait qu'on les compte par centaines ! - Viens toujours «, répondit Sarcany. Tous deux suivirent une allée demi-circulaire, entre une double rangée d'urnes, et vinrent s'asseoir sur une grande rosace romane, étendue au ras du sol. D'abord, ils restèrent silencieux, - ce qui pouvait convenir à Sarcany, mais ne convenait guère à son compagnon. Aussi Zirone de dire bientôt, après un ou deux bâillements mal étouffés : « Sang-Dieu ! il ne se presse pas de venir, ce hasard, sur lequel nous avons la sottise de compter ! « Sarcany ne répondit pas. « Aussi, reprit Zirone, quelle idée de venir le chercher jusqu'au milieu de ces ruines ! Je crains bien que nous n'ayons fait fausse route, mon camarade ! Qui diable trouverait-il à obliger au fond de ce vieux cimetière ? Les âmes n'ont guère besoin de lui, quand elles ont quitté leur enveloppe mortelle ! Et lorsque j'en serai là, peu m'importera un dîner en retard ou un souper qui ne viendra pas ! Allons-nous-en ! « Sarcany, plongé dans ses réflexions, le regard perdu dans l'espace, ne bougea pas. Zirone demeura quelques instants sans parler. Puis, sa loquacité habituelle l'emportant : « Sarcany, dit-il, sais-tu sous quelle forme j'aimerais à le voir apparaître, ce hasard, qui oublie aujourd'hui de vieux clients comme nous ? Sous la forme de l'un des garçons de caisse de la maison Toronthal, qui arriverait ici, le portefeuille bourré de billets de banque, et qui nous

« En somme, d’étudier cesrestes del’architecture romaine,celanepouvait leursuffire.

Donc, puisque lehasard tardaitvisiblement àparaître aumilieu derues malfréquentées, l’unsuivant l’autre, ilscommencèrent àremonter lesrudes sentiers, quiconduisent presqueausommet du Karst, àla terrasse delacathédrale. « Singulière idéedegrimper là-haut ! » murmuraZirone,enserrant sacape àla ceinture. Mais iln’abandonna passon jeune compagnon, et,d’en bas,onaurait pules voir sehissant le long deces escaliers improprement qualifiésderues, quidesservent lestalus duKarst.

Dix minutes après,plusaltérés etplus affamés qu’avant, ilsatteignaient laterrasse. Que decepoint élevé lavue s’étende magnifiquement àtravers legolfe deTrieste jusqu’à la pleine mer,surleport animé parleva-et-vient desbateaux depêche, l’entrée etlasortie des steamers etdes navires decommerce, queleregard embrasse laville tout entière, ses faubourgs, lesdernières maisonsétagéessurlacolline, lesvillas éparses surleshauteurs, cela n’était pluspour émerveiller cesdeux aventuriers.

Ilsen avaient vubien d’autres, et,d’ailleurs, que defois déjà, ilsétaient venuspromener encet endroit leursennuis etleur misère ! Zirone, surtout, eûtmieux aiméflâner devant lesriches boutiques duCorso.

Enfin,puisque c’étaitle hasard etses générosités fortuitesqu’ilsétaient venuschercher sihaut, ilfallait l’yattendre sans tropd’impatience. Il yavait là,àl’extrémité del’escalier quiaccède àla terrasse, prèsdelacathédrale byzantine de Saint-Just, unenclos, jadisuncimetière, devenuunmusée d’antiquités.

Cenesont plusdes tombeaux, maisdesfragments depierres funéraires, couchéssouslesbasses branches de beaux arbres, stèlesromaines, cippesmoyen âge,morceaux detriglyphes etde métopes de diverses époques delaRenaissance, cubesvitrifiés, oùsevoient encore destraces decendres, le tout pêle-mêle dansl’herbe. La porte del’enclos étaitouverte.

Sarcanyn’eutquelapeine delapousser.

Ilentra, suivide Zirone, quisecontenta defaire cette réflexion mélancolique : « Si nous avions l’intention d’enfiniravec lavie, l’endroit seraitfavorable ! – Et sion teleproposait ?… réponditironiquement Sarcany. – Eh ! jerefuserais, moncamarade ! Qu’onmedonne seulement unjour heureux surdix, je n’en demande pasplus ! – On teledonnera, –et mieux ! – Que touslessaints del’Italie t’entendent, etDieu saitqu’on lescompte parcentaines ! – Viens toujours », réponditSarcany.Tousdeux suivirent uneallée demi-circulaire, entreune double rangéed’urnes, etvinrent s’asseoir surune grande rosaceromane, étendueauras du sol.

D’abord, ilsrestèrent silencieux, –ce qui pouvait convenir àSarcany, maisneconvenait guère àson compagnon.

AussiZirone dedire bientôt, aprèsunou deux bâillements mal étouffés : « Sang-Dieu ! ilne sepresse pasdevenir, cehasard, surlequel nousavons lasottise de compter ! » Sarcany nerépondit pas. « Aussi, repritZirone, quelleidéedevenir lechercher jusqu’aumilieudeces ruines ! Jecrains bien quenous n’ayons faitfausse route,moncamarade ! Quidiable trouverait-il àobliger au fond decevieux cimetière ? Lesâmes n’ontguère besoin delui, quand ellesontquitté leur enveloppe mortelle !Etlorsque j’enserai là,peu m’importera undîner enretard ouunsouper qui neviendra pas !Allons-nous-en ! » Sarcany, plongédanssesréflexions, leregard perdudansl’espace, nebougea pas. Zirone demeura quelques instantssansparler.

Puis,saloquacité habituelle l’emportant : « Sarcany, dit-il,sais-tu sousquelle formej’aimerais àle voir apparaître, cehasard, quioublie aujourd’hui devieux clients comme nous ?Souslaforme del’un desgarçons decaisse dela maison Toronthal, quiarriverait ici,leportefeuille bourrédebillets debanque, etqui nous. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓