Devoir de Philosophie

XXV CE QUE PEUT LA FORTUNE DANS LES CHOSES HUMAINES, ET COMMENT ON

Publié le 01/10/2013

Extrait du document

XXV CE QUE PEUT LA FORTUNE DANS LES CHOSES HUMAINES, ET COMMENT ON LUI PEUT RÉSISTER Je n'ignore pas que beaucoup ont été et sont d'opinion que les choses du monde soient de telle sorte gouvernées par la fortune et par Dieu, que les hommes avec leur sagesse ne puissent les corriger, ni même y aient remède aucun ; et par là ils pourraient juger qu'il n'y eût pas trop à s'échiner dans les choses, mais à se laisser gouverner par le sort. Cette opinion a été plus en crédit de notre temps à cause des grands changements qu'on a vus et voit chaque jour dans les choses, en dehors de toute conjecture humaine. A quoi pensant quelquefois, je me suis en partie laissé aller à leur opinion. Néanmoins, pour que notre libre arbitre ne soit aboli, je juge qu'il peut être vrai que la fortune soit arbitre de la moitié de nos actions, mais aussi que l'autre moitié, ou à peu près, elle nous la laisse gouverner à nous. Et je la compare à un de ces fleuves impétueux qui, lorsqu'ils se courroucent, inondent les plaines, renversent les arbres et les édifices, arrachent de la terre ici, la déposent ailleurs ; chacun fuit devant eux, tout le monde cède à leur fureur, sans pouvoir nulle part y faire obstacle. Et bien qu'ils soient ainsi faits, il n'en reste pas moins que les hommes, quand les temps sont calmes, y peuvent pourvoir et par digues et par levées, de sorte que, venant ensuite à croître, ou bien ils s'en iraient par un canal, ou leur fureur n'aurait pas si grande licence, ni ne serait si dommageable. Il en est de même de la fortune, qui manifeste sa puissance où il n'y a pas de force organisée pour lui résister, et qui tourne là ses assauts, où elle sait qu'on n'a pas fait de levées et de digues pour la contenir. Et si vous considérez l'Italie, qui est le siège de ces changements et qui leur a donné le branle, vous verrez qu'elle est une campagne sans levées et sans aucune digue. Que si elle se fût donné un rempart d'une force suffisante, comme l'Allemagne, l'Espagne et la France, ou cette crue n'aurait pas fait les grands changements qu'elle a faits, ou elle ne se serait pas produite. Et je veux qu'il me suffise d'avoir dit cela pour ce qui est de s'opposer à la fortune en général. Mais, me restreignant davantage aux cas particuliers, je dis qu'on voit aujourd'hui tel prince prospérer, et demain s'effondrer, sans l'avoir vu changer en rien de nature ou de caractère : ce que je crois qui naît d'abord des raisons qu'on a précédemment longuement exposées, à savoir que le prince qui s'appuie totalement sur la fortune s'effondre lorsque celle-ci varie. Je crois aussi qu'est heureux celui dont la façon de procéder répond aux caractères du temps, et que de même est malheureux celui avec les procédés de qui le temps est en désaccord. Car on voit les hommes, dans les choses qui les conduisent au but que chacun a en vue, c'est-à-dire gloire et richesses, y procéder de façons diverses : l'un avec circonspection, l'autre avec i mpétuosité, l'un par violence, l'autre avec habileté, l'un par patience, l'autre par son contraire ; et chacun avec ces diverses façons y peut parvenir. Et l'on voit aussi, de deux circonspects, l'un parvenir à ses fins, l'autre non, et de même deux prospérer également par deux manières de faire différentes, étant l'un circonspect et l'autre impétueux : ce qui ne vient de rien d'autre que du caractère des temps, qui se conforment ou non avec leurs procédés. De là vient ce que j'ai dit, que deux, agissant différemment, ont en partage le même résultat, et que deux, agissant d'égale façon, l'un parvient à son but, et l'autre non. De cela aussi dépend la variation du bien ; car si tel qui se conduit avec circonspection et patience, les temps et les choses tournent de façon que sa conduite soit bonne, il va prospérant ; mais si les temps et les choses changent, il s'effondre, parce qu'il ne change pas de façon de procéder. Et il ne se trouve pas d'homme si sage qu'il se sache accommoder à cela, soit qu'il ne se puisse écarter de ce à quoi la nature l'incline, soit encore parce que ayant toujours prospéré en cheminant par une voie on ne se puisse persuader de s'en détourner. Et c'est pourquoi l'homme circonspect, quand il est temps de passer à l'impétuosité, ne sait le faire ; d'où sa ruine ; que si l'on changeait de nature avec les temps et les choses, la fortune ne changerait pas. Le pape Jules II en toutes ses affaires procéda avec impétuosité ; et il trouva si bien les temps et les choses conformes à cette sienne façon de procéder, que tout ce qu'il fit tourna bien. Considérez la première entreprise qu'il fit, contre Bologne, quand vivait encore messire Jean Bentivogli. Les Vénitiens en étaient mécontents, le roi d'Espagne même chose, avec la France il était en discussion sur une telle entreprise ; et lui néanmoins, avec sa fureur et impétuosité, se mit personnellement en mouvement pour cette expédition. Ce mouvement fit rester en attente, sans bouger, l'Espagne et les Vénitiens, ceux-ci par peur, celle-là par le désir qu'elle avait de récupérer tout le royaume de Naples ; et de l'autre côté, il entraîna derrière lui le roi de France, car une fois que ce roi l'eut vu en mouvement, comme il désirait obtenir son amitié pour abaisser les Vénitiens, il jugea ne lui pouvoir refuser ses gens sans l'offenser manifestement. Jules, donc, mena à bien par sa marche impétueuse ce que jamais autre pontife, avec toute la prudence humaine, n'aurait mené à bien, car s'il avait attendu afin de partir de Rome avec des accords arrêtés et toutes choses en ordre, comme tout autre pontife eût fait, jamais cela n'eût réussi ; car le roi de France aurait eu mille excuses, et les autres inspiré mille craintes. Je veux laisser de côté ses autres actions, qui toutes ont été semblables et toutes lui ont réussi ; et la brièveté de sa vie ne lui a pas laissé éprouver le contraire ; car si fussent venus des temps où il eût fallu procéder avec circonspection, sa ruine s'en

« serait si dommageable.

Il en est de même de la fortune, qui manifeste sa puissance où il n'y a pas de force organisée pour lui résister, et qui tourne là ses assauts, où elle sait qu'on n'a pas fait de levées et de digues pour la contenir.

Et si vous consi- dérez l'Italie, qui est le siège de ces changements et qui leur a donné le branle, vous verrez qu'elle est une campagne sans levées et sans aucune digue.

Que si elle se fût donné un rempart d'une force suffisante, comme l'Allemagne, l'Espagne et la France, ou cette crue n'aurait pas fait les grands changements qu'elle a faits, ou elle ne se serait pas produite.

Et je veux qu'il me suffise d'avoir dit cela pour ce qui est de s'opposer à la fortune en général.

Mais, me restreignant davantage aux cas particuliers, je dis qu'on voit aujourd'hui tel prince prospérer, et demain s'effon- drer, sans l'avoir vu changer en rien de nature ou de caractère : ce que je crois qui naît d'abord des raisons qu'on a précédem- ment longuement exposées, à savoir que le prince qui s'appuie totalement sur la fortune s'effondre lorsque celle-ci varie.

Je crois aussi qu'est heureux celui dont la façon de procéder répond aux caractères du temps, et que de même est malheu- reux celui avec les procédés de qui le temps est en désaccord.

Car on voit les hommes, dans les choses qui les conduisent au but que chacun a en vue, c'est-à-dire gloire et richesses, y procé- der de façons diverses : l'un avec circonspection, l'autre avec i mpétuosité, l'un par violence, l'autre avec habileté, l'un par patience, l'autre par son contraire ; et chacun avec ces diverses façons y peut parvenir.

Et l'on voit aussi, de deux circonspects, l'un parvenir à ses fins, l'autre non, et de même deux prospérer également par deux manières de faire différentes, étant l'un cir- conspect et l'autre impétueux : ce qui ne vient de rien d'autre que du caractère des temps, qui se conforment ou non avec leurs procédés.

De là vient ce que j'ai dit, que deux, agissant différemment, ont en partage le même résultat, et que deux, agissant d'égale façon, l'un parvient à son but, et l'autre non.

De cela aussi dépend la variation du bien ; car si tel qui se conduit avec circonspection et patience, les temps et les choses. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles