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CHAPITRE li FIGURATION DE L'INSTITUTION

Publié le 03/06/2014

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L' AUTOREPRÉSENTATION AUCTORIALE DANS HYGIÈNE DEL 'ASSASSIN Modifier le regard : c'est ça, notre grande œuvre - Prétextat Tach L'auteur « abymé» 1 L'autonomisation de l'écrivain qui s'est réalisée à la fin du XVIIIeet au début du xrx• siècle a entraîné l'apparition du personnage de romancier et, par conséquent, s'ensuit un excès de représentation qui, selon Roseline Tremblay, est devenu un trait du roman occidental contemporain2. Cette invasion de l'écrivain fictif dans le roman ·contemporain serait, selon elle, une figuration suprême du triomphe de l'individualisme et témoignerait par le fait même d'une crise du pouvoir créateur3. Comme il n'est plus sous la tutelle de l'aristocratie ou de l'État, l'écrivain, à présent autonome, est contraint de justifier son existence et sa pratique. Le personnage, et corollairement l'homme, est l'objet du roman quels qu'en soit la forme ou les thèmes, ou du moins il en subordonne les évènements. Cette affirmation est encore plus significative lorsqu'il s'agit d'un personnage d'écrivain puisqu'à ce moment il y a autoreprésentation. Frédérique Godefroy fait remarquer, dans son mémoire sur la représentation de personnage-écrivain dans Mulligan Stew de Gilbert Sorrentino, que l'accession du personnage d'écrivain à la maturité, dans sa vie comme dans son art, survenue dans la première moitié du xx· siècle, accompagnée du passage progressif de la poésie au 1 Nous pouvons définir sommairement l' auteur « abymé » comme étant la représentation dans un texte d'un auteur par un écrivain. 2 Roseline Tremblay, L 'écrivain imaginaire : essai sur le roman québécois 1960- 1995, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2004, p. 25. 3 Ibid, p. 486. 2.1 roman, a pour effet de réduire la distance entre le travail de l'auteur et celui de son personnage, selon un mouvement d'autoréflexivité croissante des œuvres4• L'autoreprésentation dépend d'une certaine redondance, mais aussi d'une corrélation entre plusieurs niveaux textuels. Amélie Nothomb choisit de concentrer ses signes autoréférentiels sur son personnage d'écrivain tout en les distribuant dans le texte au moyen de l' intertextualité et d'une mise en abyme, qui est l'oeuvre fictive de Prétextat Tach. Ces divers modes par lesquels la littérature attire l'attention sur elle signalent, selon André Belleau, non seulement son statut dans la société fictive, mais aussi, par inférence, son statut externe ainsi que la position de l'auteur5. Nous allons étudier, au cours de ce chapitre, la représentation de l'écrivain dans Hygiène de l'assassin en tant que construction langagière. Nous verrons que l'écrivain représenté témoigne dans ce texte de l'hégémonie de la condition d'être un écrivain sur la profession. Nous constaterons qu'il y a dans cette autoreprésentation du même de l'auteur, mais en même temps de l'autre. Nous tenterons de montrer que cette autoréflexivité est un questionnement sur la nature de l'institution littéraire, l'écriture, la place de l'artiste dans la société et qu'elle dévoile la création comme miroir de l'auteur. Par la mise en scène d'un personnage d'écrivain, la littérature parle d'elle-même, le discours s'autoréfère et met donc en cause le récit comme discours littéraire. André Belleau précise : « Il faudrait dire [...] qu'ils [les textes mettant en scène un personnage écrivain] le font doublement car, en fait, tout texte littéraire se désigne lui-même (par un surplus de signifiants, des figures, etc.). Il nous déclare toujours: voyez comme je suis littéraire !6 » Du moment où l'auteur accomplit cette autoréflexion, il examine les dessous de son œuvre, désireux de saisir l'en-deça de l'écriture. et l'enchaînement de ses processus. 4 Frédérique Godefroy, L'écriture impossible: représentation de personnage-écrivain dans Mulligan Stew de Gilbert Sorrentino, mémoire de maîtrise, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2000, p. 11-12. 5 André Belleau, Le romancier fictif, Québec, Éditions Nota bene, 1999, p. 115. 6 Ibid, p.23. 62 r----------- 1 1 1 --------- ---- 63 Hygiène de l'assassin met en scène un auteur, Prétextat Tach, et par ce fait le roman accomplit une réitération et même un dédoublement de l'auteur, de l'écriture et d'une idée de la littérature. Comme le signale Frédérique Godefroy dans son mémoire : « Le personnage- écrivain sert de point d'ancrage à une fiction dont le principal objet est l'écriture elle-même; il est le miroir dans lequel le processus de la création trouve son propre reflet.7 » Le fait qu'un écrivain choisisse de poser un personnage comme écrivain se révèle d'une manière intrinsèque signifiant. Ce jeu de miroir n'est pas innocent. Il met en lumière le discours du récit, son énonciation, ses mécanismes. Cette représentation fictionnelle de l'écrivain implique une mise en abyme de l'institution littéraire réelle, cette dernière s'inscrivant, en le mettant en scène, dans le texte. En effet, on s'attend à ce que l'appareil institutionnel accompagne l'écrivain dans un discours romanesque qui le pose en sujet, soit ici la presse ou la critique qui fait parler le sujet de la littérature. Ainsi, l' institution littéraire détermine dans une certaine mesure sa propre représentation. Nous pouvons donc nous faire une idée de ce qu'un écrivain pense de l'univers dans lequel il se meut. Car en plus de pousser la réflexion sur lui-même, le personnage de l'écrivain interroge la littérature et ses institutions. Alors nous pouvons cerner la position prise par l'auteure au sein de cette institution puisque, comme le confirme Frédérique Godefroy, le personnage-écrivain est en position de partager, plus qu'aucun autre, le regard de son auteur non seulement sur le processus créateur, mais également sur l'univers social et culturel dans lequel il évolue8. Fabienne Ardus résume bien la situation: « Amélie Nothomb pose un regard caustique sur l'écrivain et son public. Mais plus profondément encore, elle plonge le lecteur dans les coulisses de l'écriture et en dévoile la face cachée, son paradoxe, voire son imposture.9 » Enfin, André Belleau souligne que le personnage écrivain est un foyer privilégié pour l'observation. Par son faire, son être et son dire, il permet de constater comment le romancier joue en abyme des codes et de l'institution qui engendre son discours10. 7 Godefroy, p. 12. 8 Ibid, p. 13. 9 Fabienne Ardus, Discours de l'altérité en Belgique francophone contemporaine: Claire Lejeune, Caroline Lamarche, Nicole Malinconi .et Amélie Nothomb, thèse de doctorat, University ofSouthwestern Louisiana, 1999, p. 156. 10 Belleau, p. 126. ------- Amélie Nothomb, par l'entremise de Prétextat Tach, révèle les travers qu'elle perçoit de l'institution littéraire, de ses appareils (école, critique, prix), mais aussi du langage et du discours qui la servent. Par exemple, la plus fameuse des attaques de Prétextat Tach à l'endroit de la littérature est celle qui concerne les métaphores. L'emploi de la métaphore relèverait, d'après le romancier, de la mauvaise foi. D'abord, parce que les gens qui utilisent ce terme jouent souvent la carte du snobisme littéraire, car le dernier des illettrés peut sentir que ce mot vient du grec, nous dit Tach: «C'est un mot qui se vend bien, parce qu'il a fière allure. 11 » Ce serait également un moyen de rassurer les lecteurs. En trouvant des métaphores, ils ont le sentiment d'être moins idiots s'ils ne comprennent pas le texte. Tach expose avec érudition l'étymologie de ce mot et conclut que ce terme signifie absolument n'importe quoi, ce qui est prouvé par l'utilisation abusive qui en est faite et qui lui fait perdre tout son sens. Selon lui, il n'est pas absurde qu'un écrivain n'aime pas les métaphores, car à ce moment il lui reste les mots, qui sont « les belles matières, les ingrédients sacrés » (HA, p. 21 ), et la syntaxe. Tach voit les choses dans leur totalité. Il veut atteindre directement le réel et c'est pourquoi il exècre cette figure de style qui est « une invention qui permet aux humains d'établir une cohérence antre les fragments de leur vision. » (HA, p. 154) Or, quand cette fragmentation disparaît, les métaphores perdent leur sens. Le romancier revendique l'usage d'une métaphore où nous aurions accès à la totalité d'un évènement et non à une juxtaposition de deux réalités. Tach préconise une virginité du langage, un « no man's land où la parole est toujours vierge» (HA, p. 178), une langue qui n'existe que pour ce qu'elle est et ce qu'elle prétend. Ce pourquoi il déteste également le mot « symbole », sauf s'il est question de chimie. S'il écrit une horreur, ce n'est pas pour qu'on y voie autre chose, mais pour mettre le lecteur en face des saletés de la vie. Cela est sain, purgatif et purificateur. Mais les « métaphoriens », de mauvaise foi, vont y voir autre chose pour ne pas se salir les mains et vraiment s'immerger lors de leur lecture. La métaphore est pour Tach un scaphandrier, une combinaison de trouillard. Amélie Nothomb abonde dans le sens de son personnage à propos 11 Amélie Nothomb, Hygiène de l'assassin, Paris, Éditions Albin Michel, 1992, p. 19. Dorénavant désigné à l'aide du sigle (HA), suivi du numéro de la page. 64 de la métaphore : « On vous dit: J'écris ceci mais ce n'est pas du tout ça, en fait c'est une métaphore d'autre chose ! Alors pourquoi ne pas écrire tout de suite la réalité qui se cache derrière ?12 » Elle utilise tout de même parfois cette figure de style, mais chez elle, la métaphore a « pour enjeu d'arracher aux ordres habituels des valeurs particulières comme l'amour ou la beauté. La métaphore n'est plus une comparaison qui permet de figurer une réalité en renvoyant à une autre réalité. Elle signifie par elle-même, en elle-même. 13 » Prétextat Tach et Amélie Nothom~ luttent tous deux contre le mensonge et la mauvaise foi par l'écriture. Amélie Nothomb expose souvent ce que le monde en général, ou principalement le monde littéraire qui nous concerne ici, a d'ambivalent et de monstrueux. Par exemple, Prétextat Tach ose affirmer qu'il n'y a pas de différence entre la cour d'assise et l'Académie française (HA, p. 139). Nous pouvons y voir une critique envers l'Académie qui honore ou condamne certains écrivains selon les lois qu'elle aura elle-même dictées, se faisant dictateur de la littérature et condamnant l'objet qu'elle doit défendre et servir. Cette attaque en recoupe une autre que l'écrivain formule à l'endroit des lecteurs ou critiques qui citent toujours les quatre mêmes titres quand ils parlent de ses oeuvres (HA, p. 100), bien que Tach ait publié vingt-deux romans. Nous constatons ici un fait établi dans le monde littéraire. On retient les livres qui ont eu plus de succès ou de publicité et on mentionne rarement les autres. Ceci est une autre critique envers la consommation rapide que Tach reproche aux journalistes qui n'ont fait que lire des brochures sur lui, résumant son oeuvre, au lieu de s'en imprégner un peu, ne serait-ce qu'en lisant une dizaine de pages d'un de ses romans. D'un autre côté, Tach trouve tout autant pédants les « snobs de salon » (HA, p. 100) qui veulent avoir l'air plus cultivés en montrant qu'ils ont lu une oeuvre moins connue d'un auteur. Tach dénote à maintes reprises la fatuité des conversations qui ont cours dans ces endroits, par exemple lorsqu'il affirme à Nina que «dialectique» est le joker des salons, qu' il est le mot qu'on emploie quand on n'en a plus aucun autre en réserve. 12 Michel Zumkir, Amélie Nothomb de A à Z, Bruxelles, Grand miroir, 2003, p.ll5. 13 Laureline Amanieux, Amélie Nothomb : l'éternelle affamée, Paris, Éditions Albin Michel, 2005, p. 291 . 65 ------- -------------- - 66 Prétextat est aussi très sévère à l'endroit de l'institution scolaire, qui déformerait les bonnes dispositions des élèves. Ces « stupides apprentissages » (HA, p. 128) corrompraient, selon lui, la lecture des étudiants. Mais encore, les professeurs n'apprendraient pas les choses essentielles à leurs élèves, ce que nous pouvons remarquer par le terme «encore » dans cette réplique de Tach : « Encore une vertu que vos professeurs oublient de vous inculquer. » (HA, p. 102) Comme si ces derniers passaient la plupart du temps à côté de l'indispensable et n'étaient là que pour donner des grilles de lecture aux étudiants et déformer leur prédisposition naturelle à la lecture carnassière que Prétextat Tach exige. De plus, les étudiants ne sortent pas indemnes des critiques de Tach. Lorsqu'il est question des thèses que ces derniers ont faites sur Tach, l'écrivain les réduit à de risibles imitateurs ignares en disant : « Les sujets des thèses m'ont toujours amusé et attendri: c'est mignon, ces étudiants qui, pour imiter les grands, écrivent des sottises dont les titres sont hypersophistiqués et dont les contenus sont la banalité même... » (HA, p. 77) Enfin, par le discours des journalistes, c'est au tour de l'institution catholique d'être attaquée. Un des journalistes affirme en parlant de Prétextat Tach: « C'est certainement ce qu'il nous dirait, mais il n'est pas le pape, quand même. Nous ne sommes pas forcés d'avaler ses horreurs. » (HA, p. 81) Nous pouvons déceler ici la dénonciation envers le caractère doctrinaire de la religion chrétienne, où le catholique est obligé de croire à ce qu'on lui impose en se fermant les yeux et en ne pouvant protester. Nous pouvons donc voir que toutes les institutions sont mises à sac dans le but de dénoncer leur côté doctrinaire, où la voie monolithique est privilégiée et où le sens critique est à proscrire. 2.1.1 Du roman du code au roman de l'écriture Selon la typologie d'André Belleau, nous aurions affaire dans la première partie du roman davantage à un roman du code. Dans ce type de roman, c'est davantage de la vie littéraire qu'il est question, plutôt que de l'œuvre de l'auteur et de l'écriture en soi. Sans en être totalement un, Hygiène de l'assassin en emprunte les grandes lignes. D'ailleurs, les œuvres de Tach, hormis son Hygiène de l'assassin dont nous reparlerons, nous sont connues que de l'extérieur à titre d'adjuvant. Le roman du code nous montre quelquefois de quelle manière la littérature, pure essence, est avilie par l'institution, ce qui est le cas dans ce texte. Les quatre premiers journalistes sont davantage préoccupés de ce que Tach fait pour combler ses journées puisqu'il ne prend pas part à la vie littéraire, à ses opinions diverses sur des sujets sans lien avec la littérature, plutôt que de s' intéresser au phénomène de l'écriture, à son œuvre. Toutefois, avec l'arrivée de Nina nous assistons à un renversement. Par le sujet des questions des quatre premiers journalistes et le cadre de ces échanges, nous avons davantage affaire à un roman de la vie littéraire, où la littérature apparaît comme fonction sociale, plutôt qu'à un roman de l'écriture. Dans la première moitié du roman, Prétextat réitère dans la société intratextuelle le statut effectif de la littérature dans la société réelle, c'est-à-dire le rôle et la place que lui assigne le code social. Dans cette première partie du roman, il est peu question de la littérature en tant qu'entreprise esthétique où le langage est une fin en soi. Les quatre premiers journalistes s'intéressent principalement à la vie privée du Nobel de littérature plutôt qu'à l'écriture. Les romans du code marquent avec insistance la relation du littéraire au social. C'est pourquoi dans ce type de roman on ne nous montre pas un écrivain en situation d'écriture. Tach n'a pas écrit depuis longtemps et ce n'est que lorsque Nina arrive que nous pouvons connaître davantage les œuvres de Prétextat et percevoir quelque peu son travail de création, surtout vers la fin où il entre dans son délire de cohérence, faisant alors du texte un cartilage verbal. Toutefois, puisque Prétextat possède les caractéristiques normalement codées de l'écrivain et qu'ill'est en réalité, que ce rôle n'est pas dévolu à un autre personnage, Hygiène de l'assassin n'est donc qu'en partie un roman du code, par sa démonstration de la relation du littéraire au social. Il reste que Prétextat Tach interroge la littérature et ses institutions. Au cours du dialogue avec Nina, Prétextat se montre davantage préoccupé de questions poétiques et esthétiques. Ainsi, il nous fait basculer plus avant vers le roman de l'écriture. Le genre employé par Nothomb, où le narrateur hétérodiégétique est presque absent en raison de l'abondance des dialogues, reflète ce dépassement du roman du code. Comme l'affirme 67 -------- --- -------- --------- --------------------; ------ André Belleau à propos des narrateurs hétérodiégétiques se retrouvant en majorité dans les romans du code : « Il est concevable que la mise en relief de la liaison de la littérature non pas à l'intériorité mais à des conditions "externes" ait quelque chose à voir avec l'usage de la non-personne. 14 » Toutefois, par le dialogue, nous avons affaire à une sorte de « je » qui se relaie d'un personnage à un autre et qui permet une certaine intériorité, ou du moins un dévoilement de ce qu'est pour l'écrivain son rôle, celui des lecteurs, de la littérature, et de ses institutions. De plus, Prétextat raconte son roman pendant de longues pages, créant un récit au «je » enchâssé dans Hygiène de l'assassin, où ce dernier dévoile même certains choix formels. Au moment où il écrit, André Belleau annonce d'ailleurs un changement en train de se produire à l'ère du soupçon (à partir de 1965), celui du ROMAN DE L'ÉCRITURE qui « dépassera l'opposition, d'une part en assumant les codes littéraires et sociaux pour les jouer et aussi les déjouer, de l'autre en liant sa réussite non plus à la franchise du sujet ou à l'authenticité du vécu, mais aux exigences d'un langage.15 » Il souligne qu'est là la différence entre vivre l'écriture et écrire la vie. Ce qui rejoint une conclusion que l'on pourra tirer à la suite d'une analyse approfondie de la manière dont Hygiène de l'assassin traite de l'écriture, nous révélant par le fait même la perception qu'a Nothomb de cette dernière : la vie c'est l'écriture; vivre c'est écrire. Frédérique Godefroy nous fait remarquer que « cette intégration est bel et bien le défi relevé dans de nombreux textes de métafiction contemporains qui, par l'introduction d'un personnage-écrivain, reproduisent les conditions de leur propre mise au monde et introduisent une réflexion sur la place qu'ils occupent dans la littérature...16 » Roseline Tremblay arrive à la même conclusion : « ... le roman de l'écrivain traduit un complexe discursif essentiel à la compréhension de la vision que la littérature à d'elle-même, du rôle de l'écrivain et de l'écriture.17 »Nous constatons ici comment Amélie Nothomb nous permet par son énonciation de jouer en abyme des codes et de l'institution qui engendre son discours . 14 Belleau, p. 113. 15 Ibid, p. 83. 16 Godefroy, p. 14. 17 Tremblay, p. 539. - - - - - - - - ---- - - - - - - - - - - 68 2.1.2 Personnage écrivain : autre et double Par l'utilisation de la troisième personne, qui confère à Hygiène de 1'assassin une apparente objectivité, neutralité de point de vue, Amélie Nothomb se situe à l'écart de son alter ego, comme si elle était hors du coup. Toutefois, elle a affirmé dans différentes entrevues qu'elle s'était déguisée en son contraire, un vieil obèse très célèbre, pour affirmer ce qu'elle pense vraiment. Elle ne partage cependant pas les opinions de.l'écrivain lorsqu'il dit du mal des nègres et des Irakiens18• Michel Zumkir affirme que Prétextat Tach est« celui qui porte ses idées sur la littérature à leur paroxysme [.. .], qu'elle l'a surtout inventé comme une projection défonnée, hyperbolique, paradoxale, démoniaque d'elle-même.19 » Elle qualifie d'ailleurs Hygiène de l'assassin de « manifeste littéraire personne120 ». À plusieurs reprises elle affirmera « Tach c'est moi ! », qui est selon Hélène Jaccomard un pastiche mal déguisé du fameux « madame Bovary c'est moi21 ». Nothomb ne veut pas employer une parole doctrinaire, dont elle dénonce le danger dans les deux textes que nous étudions ici. Mis à part son discours, il y a rarement de focalisation déléguée à Tach, du moins de significative. Amélie Nothomb n'ose donc pas prendre son parti, privilégier un point de vue qu'elle imposerait au lecteur. Laureline Amanieux fait remarquer dans Amélie Nothomb : 1'éternelle affamée : « Ainsi, elle conçoit la littérature comme " un travail sur la perception ". Elle cherche à retrouver une virginité de point de vue... 22 »D'ailleurs, elle fait dire à Tach que la grande œuvre des écrivains c'est de modifier le regard, que ce serait là la finalité de la littérature (HA, p. 57). Il peut être également possible qu'elle ne favorise pas ce point de vue parce qu'elle ne s'identifie pas encore à un écrivain à part entière, avec l'image que ce statut véhicule, lors de l'écriture de ce premier 18 Thiry, Benjamin. « Entretiens avec Amélie Nothomb ». In Lycos. Site hébergé par Multimania [En ligne] http://membres.lycos.fr/fenrir/nothomb/logographe.htm (page consultée le 30 septembre 2003) 19 Zumkir, p. 138. 20 Amanieux, Amélie Nothomb : 1'éternelle affamée, p. 251 . 21 Hélène Jaccomard, « Le fabuleux destin d'Amélie Nothomb », Esprit créateur, hiver 2002, p. 46. 22 Amanieux,AmélieNothomb:l'éternelleaffamée, p.295. 69 70 roman. Comme le signale André Belleau, la question du mode et de la voix narratifs, qui pourrait être jugée assez scolaire pour certains textes, devient capitale lorsqu'on a affaire à un héros-écrivain : comment se situe 1'auteur vis-à-vis de son alter ego dans le récit? Et de plus, qui a la charge de parler de ce dernier ? 23 Michel Zeraffa cite Fortreuterdans dans Personne et personnage : « Tout récit procède d'un narrateur fictif, le seul problème étant de savoir si le romancier s'exprime personnellement à travers ce médium, ou s'il se désolidarise de lui.24 »Nothomb n'épargne certainement pas Tach en lui attribuant des travers monstrueux et en lui offrant une adversaire de taille très perspicace qui le malmène, Nina. Ces tares odieuses qu'elle impute à son personnage servent également à critiquer l'écrivain, son rôle dans une société. Prétextat est « vampirisé par son créateur, projeté dans l'arène pour y subir un procès25 », pour qu'on regarde ses travers de même que ce qu'il est. André Belleau cite Gérard Genette : « ... le reflet est un double, c'est-à-dire à la fois un AUTRE et un MÊME.26 » Amélie Nothomb doit aussi se distancier de son alter ego pour pouvoir le critiquer, analyser le rôle de l'écrivain dans une société et montrer ce que l'écrivain peut penser du monde qui l'entoure. D'ailleurs, Alain Goulet fait remarquer dans l'article L'auteur « abymé »: « L'auteur" abymé " relève bien plutôt d'un exercice d'interrogation, p...

« 2 Roseline Tremblay, L 'écrivain imaginaire : essai sur le roman québécois 1960- 1995, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2004, p.

25.

3 Ibid, p.

486.

2.1 roman, a pour effet de réduire la distance entre le travail de l'auteur et celui de son personnage, selon un mouvement d'autoréflexivité croissante des oeuvres4• L'autoreprésentation dépend d'une certaine redondance, mais aussi d'une corrélation entre plusieurs niveaux textuels.

Amélie Nothomb choisit de concentrer ses signes autoréférentiels sur son personnage d'écrivain tout en les distribuant dans le texte au moyen de l' intertextualité et d'une mise en abyme, qui est l'oeuvre fictive de Prétextat Tach.

Ces divers modes par lesquels la littérature attire l'attention sur elle signalent, selon André Belleau, non seulement son statut dans la société fictive, mais aussi, par inférence, son statut externe ainsi que la position de l'auteur5.

Nous allons étudier, au cours de ce chapitre, la représentation de l'écrivain dans Hygiène de l'assassin en tant que construction langagière.

Nous verrons que l'écrivain représenté témoigne dans ce texte de l'hégémonie de la condition d'être un écrivain sur la profession.

Nous constaterons qu'il y a dans cette autoreprésentation du. »

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