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ABJECTION, substantif féminin.

Publié le 27/09/2015

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ABJECTION, substantif féminin.  

I.—  [En parlant d'une personne envisagée du point de vue de son niveau moral, plus rarement d'une chose (mise en relation avec une personne)]  Dernier degré de l'abaissement ou de la dégradation. Valeur nettement péjorative déjà en langue : 

Ø 1. Que faire, comment sortir de cet état d'abjection ou de nullité de valeur morale?

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1819, page 205. 

Ø 2. Démence, mensonge, sagesse, sophisme, amour divin, négation impie, chasteté, désordre; tous les éléments d'erreur et de vérité, de grandeur et d'abjection, ont tournoyé et flotté confusément dans le chaos de mon imagination.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia,  1839, page 403. 

Ø 3. Il y a une laideur d'abjection et de dégradation, de bassesse de race, qui est le stigmate des millionnaires : voyez Rothschild, Pereire...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, juillet, 1863, page 1299. 

Ø 4. Ame royale, livrée, dans un moment d'oubli, au crabe de la débauche, au poulpe de la faiblesse de caractère, au requin de l'abjection individuelle, au boa de la morale absente, et au colimaçon monstrueux de l'idiotisme!

ISODORE DUCASSE, DIT COMTE DE LAUTRÉAMONT, Les Chants de Maldoror,  1869, page 247. 

Ø 5. Vous allez me reprendre mes cent balles.

—  J'en donnerais plutôt cent autres pour tirer de vous une parole qui ne soit pas abjection pure.

—  Abjection, objection, projection, dit l'idiot.

GEORGES BERNANOS, L'Imposture,  1927, page 467. 

Ø 6. Je me refuse à l'existence. On dirait que je veux ne connaître le réel que dressé contre moi. Abjection congénitale du coeur qui s'obstine à être comme perdu parmi les choses.

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 111. 

—   Employé au pluriel, le mot se réfère à des situations concrètes (confer stylistique) : 

Ø 7. Néanmoins si des abjections sous lesquelles on se courbe vous permettent de ramper à travers des abaissements où ne passerait point une tête élevée, ces abjections finissent par s'écrouler sur vous et elles vous écrasent.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 4, 1848, page 517. 

Ø 8. Et ce n'est pas leur bore et leurs vapeurs de soufre

Qui viendront nous blanchir de nos abjections 

Et ce n'est pas leur chlore et leurs objections

Qui viendront nous tirer du fond du dernier gouffre.

CHARLES PÉGUY, Ève,  1913, page 896. 

Remarque : Les exemples 1, 3 et 7 font apparaître des séries synonymes Dans l'exemple 1, le degré extrême de dégradation est assimilé à l'absence de valeur morale. Abjection renchérit sur abaissement (exemple 7). L'exemple 3 permet d'apprécier la nuance de sens séparant abjection de bassesse; la bassesse est inhérente à une personne ou à une chose (confer dans le texte de l'exemple : bassesse de race); l'abjection est un état accidentel (confer dans le texte : abjection et dégradation) dont on est responsable ou dont d'autres personnes sont responsables et qui suscite un mépris plus grand que la bassesse. La qualification de congénitale donnée à abjection dans l'exemple 6 produit dès lors un effet de surprise. L'exemple 2 atteste l'existence de séries antonymes parallèles à celles qui ont été rencontrées pour l'adjectif. 

—   Groupes associatifs : 

a) Abjection est souvent associé à des mots péjoratifs tels que misère, orgueil, pauvreté, nuit, etc., avec lesquels il se trouve en harmonie sémantique et stylistique. 

b) Les adjectifs qualificatifs les plus usuels concernent l'intensité (abjection profonde), la péjoration (abjection dégoûtante), la nature (abjection morale et intellectuelle). 

La qualification (inversante) par adjectif valorisant est rare : elle est un fait de style d'auteur et non un fait de langue : 

Ø 9. Elle, ailée, transfigurée, qui est montée à la vie haute et légère, et ne vit que du miel des fleurs, comment s'accommoderait-elle des ténèbres, de l'utile abjection où l'enfant se fortifie? Ce qui est salutaire et vital pour ce fils ténébreux de la terre serait mortel à une mère aérienne qui déjà a volé dans la tiédeur et la douce lumière du ciel.

JULES MICHELET, L'Insecte,  1857, page 44. 

c) D'autres groupes expriment en clair 2 idées complément contenues dans abjection : 

—   l'état d'infériorité, de soumission auquel on est amené contre son gré ou dans lequel on s'est mis volontairement : 

·    réduire à un état (au dernier degré) d'abjection; 

·    s'enfoncer, tomber dans l'abjection, se relever de son abjection (mêmes types d'associations dans Dictionnaire de l'Académie Française 1835). 

—   l'aspect pénible de cet état : 

·    abîme d'abjection; 

·    croupir dans l'abjection. 

d) Parmi les associations citées dans le Dictionnaire de l'Académie française 1835 : l'abjection de ses sentiments et de ses moeurs, l'abjection de sa conduite, de son langage, seule la première est apparue, de façon partielle et par un exemple unique (sous la forme l'abjection des moeurs) dans les textes dépouillés. 

II.—  RELIGION.  

A.—  Humiliation profonde, voulue ou acceptée, devant Dieu : 

Ø 10. Dès que ce palais de l'abjection chrétienne [une maisonnette de bois et de terre glaise, une cabane de pauvre] fut achevé, elle alla s'y installer avec ses enfants et fidèles suivantes.

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836, page 199. 

Ø 11. Oui, c'est bien d'elle dont il est écrit : Vase admirable, oeuvre du Très Haut. Vase admirable par la vertu de son humilité, l'abjection de son corps, la tendresse de sa compassion, et que tous les siècles aussi admireront!...

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836 page 309. 

Ø 12. Un des épisodes les plus mystérieux de la vie du Père de Foucault, avant sa conversion, demeure la longue randonnée qu'il fit, déguisé en Juif, à travers le Maroc inconnu. Ce temps d'abjection volontaire, d'ascétisme, de solitude creusait, dans ce coeur, le lit de la grâce.

FRANÇOIS MAURIAC, Journal,  1934, page 26. 

Remarque : L'exemple 10 (abjection chrétienne) montre que, dans ce sens, abjection se prend en bonne part, l'humiliation devant Dieu étant considérée comme une vertu. Les autres groupes associatifs substantif + adjectif soulignent cette valeur : . abjection volontaire (exemple 12); . heureuse abjection (DANIEL-ROPS, Mort, où est ta victoire?, 1934, page 426); . pieuse abjection (Jean et JÉRÔME THARAUD, L'An prochain à Jérusalem!, 1924, page 210). 

B.—  État de dégradation dans lequel se trouve le corps de l'homme par suite du péché originel : 

Ø 13. Saint Paul nous l'atteste : « le corps est semé dans la corruption, il ressuscitera dans l'incorruptibilité. Il est semé dans l'abjection, il ressuscitera dans la gloire. Il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la force. Il est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel. »

FRANÇOIS MAURIAC, Journal,  1934, page 28. 

Remarque : Dans l'exemple 13, abjection s'oppose à gloire, employé au sens religieux d'état (lumineux) d'un corps ressuscité, semblable à celui de Dieu dans ses manifestations terrestres. 

C.—  Objet de rebut, dans l'expression biblique : l'opprobre des hommes et l'abjection du peuple, désignant le Christ (confer historique II B). 

 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 181. 

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