Devoir de Philosophie

ABRUTIR, verbe transitif.

Publié le 27/09/2015

Extrait du document

ABRUTIR, verbe transitif.  

I.—  Emploi transitif et absolu.  Rendre une personne semblable à une (bête) brute. 

A.—  [Le sujet est indifféremment un animé ou un inanimé; le verbe s'emploie avec une égale fréquence transitivement ou absolument]  Diminuer les qualités physiques (exemple 1), intellectuelles (exemple 2) ou morales (exemple 1) de quelqu'un : 

Ø 1. « Un grand nombre de ces hommes, il est vrai, entraînés par leur irrésistible penchant pour les eaux spiritueuses, en font souvent des excès qui les abrutissent, les dégradent, et leur ont fait perdre cette indépendance, cette noble fierté que possèdent encore ceux que le hasard a placés loin de ce funeste danger. »

MICHEL-GUILLAUME-JEAN, DIT SAINT-JOHN DE CRÈVECOEUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York, tome 2, 1801, page 151. 

Ø 2.... si l'on veut voir, (...) à quel point cette espèce d'isolement politique et religieux peut, à certains égard, rétrécir la raison et abrutir l'intelligence humaine chez un peuple d'ailleurs éclairé, on n'a qu'à lire la discussion qui eut lieu l'an dernier, en Angleterre, chambre des lords, à l'occasion du bill présenté pour l'émancipation des catholiques.

FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, 2e.  partie, 1826, page 206. 

Ø 3. Que peut devenir la sociabilité humaine entre un prince que le despotisme hébète et un paysan que l'esclavage abrutit ?

VICTOR HUGO, Le Rhin, Lettres à un ami, 1942, page 441. 

Ø 4. Louis XI ne manquera pas de s'agenouiller devant les figurines de son chapeau; Henri IV sera constamment jovial; Marie Stuart pleureuse, Richelieu cruel, enfin, tous les caractères se montrent d'un seul bloc, par amour des idées simples et respect de l'ignorance, si bien que le dramaturge, loin d'élever, abaisse; au lieu d'instruire, abrutit.

GUSTAVE FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, tome 2, 1880, page 3. 

Remarque : Abrutir se trouve en série avec rétrécir les facultés humaines (exemple 2), ce complément n'étant pas forcément précisé. Abrutir est très proche de hébéter (exemple 3). Il se trouve également associé à des verbes qui ont un sens moral, tels que abaisser (exemple 4), et dégrader (exemple 1). 

B.—  Par extension.  Même sens, avec en outre une idée d'épuisement ou de fatigue physique ou intellectuelle : 

Ø 5. Je ne sais où donner de la tête, tu me demandes de longues lettres; j'en suis incapable : le droit me tue, m'abrutit, me disloque, il m'est impossible d'y travailler. Quand je suis resté trois heures le nez sur le code, pendant lesquelles je n'y ai rien compris, il m'est impossible d'aller au delà...

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1842, page 106. 

Ø 6. Dans une quinzaine, ma nièce me quitte, et je vais rester seul, absolument seul jusqu'à la fin de l'hiver. À cette époque, espérons que mon abominable bouquin sera terminé. J'en ai assez! il m'abrutit, —  et le beau, c'est qu'il assommera les bourgeois! j'en suis d'avance certain!

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1879, page 270. 

Ø 7. Sturel, Renaudin, Suret-Lefort, debout, font une conversation fraternelle et cahotée avec leur cocher, qui, dans son enthousiasme boulangiste, abrutit de coups son cheval.

MAURICE BARRÈS, L'Appel au soldat,  1900, page 64. 

Ø 8. Ils l'entraînèrent dans la cour. Plamgougnis se jeta sur la pompe. Jeuselou, Benoni le poussèrent sous le jet, qui le doucha, le glaça, l'abrutit. Ils lui plongèrent la tête dans le seau avant de lui frotter les oreilles d'une serpillière, et ne le lâchèrent que lorsqu'ils n'en purent plus.

HENRI POURRAT, Les Vaillances, farces et gentillesses de Gaspard des Montagnes, Le Pavillon des amourettes, 1930, page 190. 

Remarque : Le complément d'agent ou de moyen est parfois précisé (exemple 7). Abrutir a une pente affective et péjorative très marquée et se trouve généralement associé à des verbes qui expriment l'exaspération, un vif ressentiment comme assommer (exemple 6) ou encore une action violente comme glacer (exemple 8) ou tuer, disloquer (exemple 5), pris au sens figuré, dans un ton nettement familier Dans l'exemple 7, l'objet est un animal, et le verbe abrutir a un sens voisin de brutaliser. 

II.—  Emploi pronominal. S'abrutir.  [Le sujet est toujours un nom de personne] 

A.—  S'abaisser jusqu'à ressembler à une bête par le visage (exemple 14, rare), par un amoindrissement important de son activité intellectuelle (exemple 9), de ses qualités morales (exemple 10, 11) : 

Ø 9. Mais n'est-ce pas pitié que de voir un jeune homme au. plus brillant de sa carrière, doué d'une intelligence supérieure dont la pensée peut embrasser le monde et ses sciences, s'abâtardir, s'accroupir, s'abrutir, s'anéantir, à propos d'une coquinerie de fille, n'est-ce pas une pitié?

PETRUS BOREL, Champavert, les contes immoraux, Passereau, l'écolier, 1833, page 186. 

Ø 10. À qui fait-on plaisir en s'abrutissant jusqu'à la bête féroce? À personne, pas même à soi, et à Dieu encore moins.

ALFRED DE MUSSET, Comédies et proverbes, Lorenzaccio, 1834, I, 2, page 90. 

Ø 11. Smarh se met à rire lui-même et à mépriser la chair; il se relève, dresse la tête et s'écrie :

—  Satan! Satan! je ne veux pas de tes joies; autre chose! allons, un cheval! une armée! des batailles! du sang! j'en veux à y noyer des peuples! crois-tu donc que je suis fait pour m'endormir dans la mollesse et m'abrutir dans les voluptés? Arrière tout cela!

GUSTAVE FLAUBERT, Smarh,  1839, page 99. 

Ø 12. J'aimerais à me rendre malade de toi, à m'en tuer, à m'en abrutir, à n'être plus qu'une espèce de sensitive que ton baiser seul ferait vivre.

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1846, page 310. 

Ø 13. Il ne me restait ni force, ni élan, ni pénétration pour quoi que ce soit, je m'abrutissais.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 4, 1855, page 214. 

Ø 14. Bojo se présenta à la jeune princesse avec un album où étaient réunies toutes les caricatures du peintre de Modestie et Vanité. Leonara, avec des exclamations ravies, tournait lentement ces feuillets où le masque humain s'abrutit en museau, en mufle, en groin, en trogne.

JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 15. 

Ø 15. Une rumeur lui parvint, grandissante, le vacarme de voix d'hommes criant, riant et chantant Cela venait de la remise. Ils étaient là une cinquantaine, dans la paille et le foin, occupés à boire et à manger, brailler, disputer, rire et s'abrutir, oubliant dans une orgie brutale l'horreur de leur aventure.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 271. 

Remarque : L'allusion au substantif de base brute « animal, bête grossière » (exemple 10, 14) est exceptionnelle et peut être un archaïsme (exemple 10) ou le résultat d'une recherche du sens étymologique (figure étymologique, exemple 14). L'image est généralement absente du mot, resté seulement très expressif. On le trouve associé à des termes péjoratifs exprimant l'étouffement de l'intelligence et des qualités spécifiquement humaines (exemple 11 : s'endormir) ou à une série de mots indiquant les différentes manières de s'étourdir (tout l'exemple 13). Retournement mélioratif chez Flaubert (exemple 12). 

B.—  [Avec fréquemment un complément introduit par la préposition de pour indiquer la cause de l'abrutissement]  Diminuer par un effort excessif ou mécanique sa valeur humaine et notamment intellectuelle : 

Ø 16. Je m'abrutissais de travail, et la fatigue me donnait une impression de plénitude.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée,  1958, page 82. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 146. 

Liens utiles