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ABUSANT, -ANTE, participe présent et adjectif.

Publié le 28/09/2015

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ABUSANT, -ANTE, participe présent et adjectif.  

I.—  Participe présent de abuser* 

II.—  Adjectif.  Qui abuse d'un droit, excessif : 

Ø Voilà bientôt sept ans que j'attendais de telles heures; l'inquiétude, pour être heureuse enfin, n'en était pas moins abusante; mais ce sont tourments de passage; ne crois pas que pour être amant j'en sois moins pour toi ton ami. Écris-moi.

ANDRÉ GIDE, P. VALÉRY, Correspondance, Lettre de André Gide à Paul Valéry, mai 1895, page 237. 

Remarque : Emploi exceptionnel pour qualifier un inanimé (personnifié). 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 75. 

 

Forme dérivée du verbe \"abuser\"

 abuser

ABUSER, verbe transitif.  

I.—  Emploi intransitif. 

A.—  Abuser de quelque chose.  User mal ou avec excès d'un bien. 

1. [Le bien est un bien concret de consommation ou d'utilisation] :

Ø 1. On ne jette point l'ancre dans le fleuve de la vie; il emporte également celui qui lutte contre son cours et celui qui s'y abandonne, le sage comme l'insensé; et tous deux arrivent à la fin de leurs jours, l'un après en avoir abusé, et l'autre sans en avoir joui.

JACQUES-HENRI BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, La Chaumière indienne,  1791, page 127. 

Ø 2. S'il se roule convulsivement et souffre une sorte d'agonie après avoir abusé du tabac, le fumeur n'a-t-il par assisté, je ne sais en quelles régions, à de délicieuses fêtes?

HONORÉ DE BALZAC, La Peau de chagrin,  1831, page 178. 

2. [Le bien est une chose abstraite : chance, temps, bonnes dispositions d'autrui] :

Ø 3. On avait exploité la vie de cet être, on l'avait usé, épuisé; on avait abusé de sa patience et de son dévouement; et, en retour, il s'était rendu nécessaire.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 2, 1855, page 440. 

Ø 4. Le goût de vaincre, le goût de convaincre est sain comme un instinct. Il tend toujours à outrepasser ses droits et à abuser du succès. Mais il n'est pas en lui-même, comme le veulent les débiles, une sorte d'inconvenance.

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 425. 

3. [Le bien appartient au domaine du langage ou de l'expression littéraire] :

Ø 5. Je voudrais monnayer la sagesse, c'est-à-dire la frapper en maximes, en proverbes, en sentences faciles à retenir et à transmettre. Que ne puis-je décrier et bannir du langage des hommes, comme une monnaie altérée, les mots dont ils abusent et qui les trompent!

JOSEPH JOUBERT, Pensées, tome 1, 1824, page 95. 

Ø 6. «... Il en faut (j'entends de l'impertinence) dans certains ouvrages, comme du poivre dans les ragoûts. » Ici il a certes abusé du procédé, et il a excédé la dose. On n'a qu'à se bien tenir, au sortir de ces passages, pour ne pas imiter le provoquant écrivain.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 3, 1848, page 180. 

Ø 7. Tout genre littéraire naissant de quelque usage particulier du discours, le roman sait abuser du pouvoir immédiat et significatif de la parole, pour nous communiquer une ou plusieurs « vies » imaginaires, dont il institue les personnages, fixe le temps et le lieu, énonce les incidents, qu'il enchaîne par une ombre de causalité plus ou moins suffisante.

PAUL VALÉRY, Variété I,  1924, page 168. 

4. [Le bien appartient au domaine du droit] :

Ø 8. De son côté, Montriveau, tout heureux d'obtenir la plus vague des promesses, et d'écarter à jamais les objections qu'une épouse puise dans la foi conjugale pour se refuser à l'amour, s'applaudissait d'avoir conquis encore un peu plus de terrain. Aussi, pendant quelque temps, abusa-t-il des droits d'usufruit qui lui avaient été si difficilement octroyés.

HONORÉ DE BALZAC. La Duchesse de Langeais,  1834, page 265. 

Remarque générale : Les exemples 4 et 7 montrent que abuser + de peut avoir pour sujet, au lieu d'un animé, un inanimé personnifié. 

B.—  Abuser de quelqu'un. 

1. [Dérive de A 2]  Abuser de la bonté ou de la patience de quelqu'un : 

Ø 9. Du coup, Nana perdit la tête, étranglée elle-même par des sanglots nerveux. On abusait d'elle, à la fin! Est-ce que ces histoires la regardaient? Certes, elle avait mis tous les ménagements possibles pour l'instruire, par gentillesse.

ÉMILE ZOLA, Nana,  1880, page 1284. 

Ø 10.... nous attendions tous ensemble dans le hall que le maître d'hôtel vînt nous dire que nous étions servis. C'était encore l'occasion pour nous d'écouter Mme.  de Villeparisis.

—  Nous abusons de vous, disait ma grand'mère.

—  Mais comment, je suis ravie, cela m'enchante, répondait son amie avec un sourire câlin, en filant les sons, sur un ton mélodieux qui contrastait avec sa simplicité coutumière.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, page 723. 

2. Rare, vieilli.  Tromper la bonne foi de quelqu'un (dans ce sens, on préfère aujourd'hui la construction directe infra II) : 

Ø 11. Le pauvre poète fut fêté si grandement que tout autre qu'un jeune homme de vingt-deux ans aurait véhémentement soupçonné de mystification les louanges au moyen desquelles on abusa de lui.

HONORÉ DE BALZAC, Les Illusions perdues,  1843, page 63. 

Ø 12. —  Tu ne m'as pas compris, reprit-il. Je ne te propose pas d'emmener Glaucos à sa place, mais bien de feindre de l'emmener, d'abuser d'Ariane et de lui laisser croire, et à tous, que Phèdre que tu emmèneras, c'est Glaucos.

ANDRÉ GIDE, Thésée,  1946, page 1442. 

3. Par euphémisme.  Violer : 

Ø 13.... si un artiste exalte son désir sur Cléopâtre ou Rosalinde, cette femme évoquée sera le succube qui abusera de lui. Le péché peut s'aggraver encore si une femme a un désir succube, un homme un désir incube.

JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 66. 

Ø 14. À la voir ainsi, renversée, s'abandonnant, le sang de ses veines battait à grands coups. Il n'avait point calculé cette rencontre, il résistait, dans son idée que ce serait mal d'abuser de cette enfant Mais le bruit de son coeur l'étourdissait, il l'avait tant désirée! Et l'image de la possession l'affolait, comme dans ses nuits de fièvre.

ÉMILE ZOLA, La Terre,  1887, page 247. 

C.—  emploi absolu. 

1. Langue courante.  Exagérer dans l'usage d'une possibilité, d'une liberté : 

Ø 15.... si leur fraîcheur porte à la peau une légère atteinte, réparez cet effet par un cosmétique doux, effacez ensuite, par un parfum léger, l'odeur fade ou aromatique qu'ils laissent après eux; usez mais n'abusez pas, on soupçonne volontiers la femme qui se parfume trop d'y être portée par quelque raison secrète...

PIERRE-AMBROISE-FRANÇOIS CHODERLOS DE LACLOS, De l'Éducation des Femmes,  1803, page 470. 

—  En particulier, langage de la conversation.  Forme réduite d'une expression qui selon le contexte et l'intonation peut être : 

a) Une formule de politesse (fréquemment négative) [ (ne pas) abuser de la bonté de quelqu'un] : 

Ø 16. « Que dois-je faire, Monsieur Fogg? dit-elle.

—  C'est très-simple, répondit le gentleman. Revenir en Europe. —  Mais je ne puis abuser...

—  Vous n'abusez pas, et votre présence ne gêne en rien mon programme.

JULES VERNE, Le Tour du monde en quatre-vingts jours,  1873, page 99. 

b) Un moyen de traduire l'impatience ou l'irritation [abuser de la patience de quelqu'un] : 

Ø 17. —  Oui, oui, interrompit le colonel, toutes sortes de passe-droits, d'injustices, d'absurdités... Il abuse, il abuse, vraiment.

ÉMILE ZOLA, Son Excellence Eugène Rougon,  1876, page 305. 

2. DROIT ROMAIN et FRANÇAIS.  \" Se prend pour consommer, détruire. La propriété consiste dans le droit d'user et d'abuser. \" (Dictionnaire de l'Académie Française) : 

Ø 18.... car le droit de propriété, ainsi que le définissent les jurisconsultes, est le droit d'user, et même d'abuser. Ainsi, c'est violer la propriété territoriale que de prescrire à un propriétaire ce qu'il doit semer ou planter, que de lui interdire telle culture ou tel mode de culture.

JEAN-BAPTISTE SAY, Traité d'économie politique,  1832, page 134. 

Ø 19. L'individu n'a vraiment en toute propriété, avec droit absolu d'user, d'abuser, de disposer, que le sixième ou le dixième de son avoir, et encore ne peut-il faire servir cette portion disponible à détruire « la sainte égalité » entre les successeurs...

JEAN JAURÈS, Études socialistes,  1901, page 209. 

II.—  Emploi transitif.  Induire en erreur, tromper : 

Ø 20. Elle est, à son gré, sensible, touchante ou passionnée, et, avec une adresse inimitable, car elle fait mieux qu'emprunter toutes les formes, elle les prend réellement, elle s'abuse elle-même, afin d'abuser plus sûrement ceux qu'elle veut séduire.

STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 1, 1795, page 64. 

Ø 21. Les témoins de cette scène douloureuse finirent par comprendre que les deux enfants du capitaine avaient été le jouet d'une hallucination. Mais comment détromper leurs sens, si violemment abusés?

JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 3, 1868, page 230. 

Ø 22. —  Je ne vous ai pas abusée, je ne vous ai pas jouée, je ne vous ai pas trahie! Je ne me suis pas fait un amusement de paroles qui pourtant eussent pu être à demi vraies...

JOSEPH ARTHUR COMTE DE GOBINEAU, Les Pléiades,  1874, page 304. 

Ø 23. Nous ne souffrirons pas, à aucun prix nous n'endurerons qu'un Jaurès, qu'un Lavisse recommence sur la génération suivante les mêmes abusements. —  Nous serons plus courageux pour nos enfants que nous ne l'avons été pour nous-mêmes et nous nous porterons aux extrémités plutôt que de laisser décevoir et tromper et trahir et abuser nos enfants par les mêmes hommes comme nous l'avons été nous-mêmes.

CHARLES PÉGUY, L'Argent,  1913, page 1295. 

Remarque : Dans l'exemple 21, le sujet est un inanimé. 

III.—  Emploi pronominal. S'abuser..  Faire erreur, se tromper : 

Ø 24.... j'avois le tremblement et le battement de coeur inégal et convulsif du désespoir; et je me répétois qu'elle s'abusoit sur son état... On s'exagère souvent de légers chagrins; mais dans des maux extrêmes, on cherche à se tromper...

STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 1, 1795, page 279. 

Ø 25. Il est donc vraiment impossible d'avoir une connaissance, même approximative, de la valeur des marchandises exportées ou importées par le commerce; et c'est s'abuser absolument que d'accorder quelque confiance, à cet égard, à des déclarations grossières et à des relevés de registres, nécessairement imparfaits et incomplets.

ANTOINE-LOUIS-CLAUDE DESTUTT DE TRACY, Commentaire sur l'Esprit des lois de Montesquieu.  1807, page 351. 

Ø 26. Excusez-moi, Monsieur, mais pardonnez à ma curiosité cette lettre, et attribuez-la au désir que j'ai de savoir si nous ne nous abusons pas et ne nous trompons pas nous-mêmes.

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1832, page 694. 

Ø 27.... Je ne suis pas dupe, et j'ai bien deviné que vous préfériez le nom de Seigneulles à celui de Finoël;... mais, si je me suis fait illusion, prenez garde de vous abuser cruellement à votre tour. Le beau Gérard vous compromettra, c'est tout ce que savent faire les gens de ce monde-là.

ANDRÉ THEURIET, Le Mariage de Gérard,  1875, page 105. 

Remarque : 1. Emploi des prépositions en et sur : s'abuser en ceci (en, fréquent avec le pronom démonstratif); s'abuser sur (exemple 24). 2. La langue de la conversation distinguée emploie fréquemment en incise l'expression si je ne m'abuse. 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 937. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 4 160, b) 2 413; XXe.  siècle : a) 2 664, b) 1 790. 

 

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