AÏEUL, -EULE, -EULS, -EULES, substantif.

AÏEUL, -EULE, -EULS, -EULES, substantif.  

I.—  DROIT, GÉNÉALOGIE.  Ascendant direct d'une même lignée. 

A.—  Au sens restreint.  Grand-père, grand-mère. Aïeul paternel, —  maternel. Antonymes : petit-fils, petite-fille : 

Ø 1. Si le père et la mère sont morts, ou s'ils sont dans l'impossibilité de manifester leur volonté, les aïeuls et aïeules les remplacent : s'il y a dissentiment entre l'aïeul et l'aïeule de la même ligne, il suffit du consentement de l'aïeul.

Code civil des Français (ou Code Napoléon)  1804, page 31. 

Ø 2.... il [M. d'Épinay] calculera que Valentine, d'ailleurs, est riche du bien de sa mère, administré par M. et Mme.  de Saint-Méran, ses aïeuls maternels, qui la chérissent tous deux tendrement.

ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Cristo, tome 2, 1846, page 26. 

Ø 3. À mesure que l'enfant grandissait, de lointaines ressemblances, s'ébauchant sur son visage, émouvaient doucement l'aïeule. N'était-ce pas le regard de sa fille qui luisait dans ces yeux bleus? N'était-ce pas la bouche du père, plissée d'un bon rire?

ÉMILE MOSELLY, Terres lorraines,  1907, pages 67-68. 

B.—  Au sens large. 

1. Ascendant (encore identifié) du 4e.  degré ou au-dessus. Quatrième aïeul, etc. (par opposition à bisaïeul, trisaïeul) : 

Ø 4. Il [Fabrice] se souvint que son septième aïeul, le petit-fils de celui qui arriva à Milan à la suite de Sforce, eut l'honneur d'avoir la tête tranchée par les ennemis du duc...

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, La Chartreuse de Parme,  1839, page 73. 

—  Par extension (notamment au féminin pluriel).  Ascendant anonyme plus éloigné que les grands-parents ou que les grands-mères : 

Ø 5.... tout, en ce domaine antique, a gardé sa physionomie des vieux âges; tout semble parler encore des coutumes anciennes, des moeurs d'autrefois, des galanteries passées, et des élégances légères où s'exerçaient nos aïeules. 

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Jadis, 1883, page 597. 

2. Celui, celle qui est à l'origine d'une famille. Synonyme : ancêtre :  

Ø 6. DON RUY GOMEZ, montrant le vieux portrait.

Écoutez! —  Des Silva c'est l'aîné, c'est l'aïeul, l'ancêtre, le grand homme!

VICTOR HUGO, Hernani,  1830, III, 7, page 79. 

Ø 7. Il [Henri Ier.  l'Enfant, petit-fils de Ste Élisabeth] est la tige de toutes les différentes branches de la maison de Hesse, avec lesquelles la plupart des maisons souveraines de l'Europe se sont alliées, en prenant ainsi part au glorieux privilège d'avoir sainte Élisabeth pour aïeule. 

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT. Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836, page 331. 

C.—  Par extension.  Membre le plus âgé d'une famille, vieillard : 

Ø 8. C'était du côté d'Armide (...), la tante, l'aïeule de la famille...  

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 50. 

Ø 9. Il était pour eux [trois jeunes] le vieillard dont on sait que tout allait bien de son temps, quand il croyait être l'aïeul respecté dont l'expérience fait poids. Les jeunes ne savent pas que l'expérience est une défaite et qu'il faut tout perdre pour savoir un peu.

ALBERT CAMUS, L'Envers et l'endroit,  1937, page 44. 

Remarque : Le mot est fréquemment associé avec des termes laudatifs. a) Adjectif auguste aïeul, aïeul éternel, aïeul illustre, aïeul immortel; b) Substantif gloire de l'aïeul. 

II.—  Emplois analogiques ou figurés. 

A.—  [L'ancêtre est une personne individuelle ou collective, mais le rapport d'antécédence n'est pas du domaine biologique]  Ancêtre d'une famille spirituelle, précurseur. 

1. [L'ancêtre est une personne individuelle] 

a) [Correspond à grand-père] :

Ø 10.... il faut qu'une oeuvre soit bien vivante encore pour qu'après un siècle et demi, nous ne cessions de nous en défendre —  et avec cet emportement! L'aïeul Jean-Jacques est plus jeune que son fils Chateaubriand et que ses petits-fils, les Romantiques. 

FRANÇOIS MAURIAC, Mes grands hommes,  1949, page 87. 

b) [Correspond à ancêtre] :

Ø 11. Une belle et grande étude, par exemple, sur Aristophane, considéré non comme un poète, mais comme l'aïeul de tout le parti Rivarol de l'esprit humain, l'ancêtre du journalisme, l'aristocrate sceptique.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  avril 1858, page 459. 

2. [L'ancêtre éloigné est une collectivité humaine] :

Ø 12. Voilà les débris de sa métropole [de l'antique royaume d'Éthiopie] , Thèbes aux cent palais, l'aïeule des cités, monument d'un destin bizarre. C'est là qu'un peuple maintenant oublié, alors que tous les autres étaient barbares, découvrait les éléments des sciences et des arts.

CONSTANTIN-FRANÇOIS CHASSBOEUF, COMTE DE VOLNEY, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,  1791, page 29. 

B.—  [L'ancêtre n'est pas une personne, mais le rapport généalogique est comparable à celui qui relie les personnes; correspond à ancêtre, plus rarement à grand-père ou à grand-mère]  Ce qui est à l'origine de quelque chose, ce qui précède et est continué par quelque chose. 

1. [En parlant d'animaux ou de plantes] :

Ø 13.... elles [les soeurs pies] répondaient à l'appel de l'ancêtre Margot, la vieille pie de la forêt qui les conviait à se rassembler dans le chêne ou dans le foyard qu'elle avait soigneusement choisi pour la nuit, selon la lune, le temps, les vents ou autres accidents secondaires, et que son instinct de bête, augmenté de sa prévoyance d'aïeule, lui avait fait élire entre tous.

LOUIS PERGAUD, De Goupil à Margot,  1910, page 176. 

Ø 14. Il n'y a ici [dans un champ] que des plantes issues d'aïeuls illustres, illustres par leur rapport avec un homme de l'histoire...

ALEXANDRE ARNOUX, Calendrier de Flore.  1946, page 285. 

2. [En parlant d'inanimés concrets ou abstraits] :

Ø 15. Imaginez le phénomène le plus vulgaire, l'élasticité par exemple, ou tel autre qu'il vous plaira choisir. Maintenant je ne suis pas difficile; je ne demande ni les aïeules, ni les trisaïeules du phénomène, je me contente de sa mère : hélas! Tout le monde demeure muet...

JOSEPH, COMTE DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Pétersbourg,  1821, page 369. 

Ø 16. Le plomb est l'aïeul de tous les métaux. (...) Il ne faut au plomb que quatre périodes de deux cents ans chacune pour passer successivement de l'état de plomb à l'état d'arsenic rouge, de l'arsenic rouge à l'étain, de l'étain à l'argent. 

VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris,  1832, page 204. 

Ø 17. Je revenais par ces chemins d'où l'on aperçoit la mer, et où autrefois, avant qu'elle apparût entre les branches, je fermais les yeux pour bien penser que ce que j'allais voir, c'était bien la plaintive aïeule de la terre, poursuivant, comme au temps qu'il n'existait pas encore d'êtres vivants, sa démente et immémoriale agitation.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, page 1012. 

C.—  [Le sujet du rapport d'antécédence et le rapport lui-même appartiennent également au domaine des valeurs intellectuelles ou spirituelles]  Même sens : 

Ø 18.... le langage dont Molière se moque [dans les Précieuses ridicules] était sans doute l'aïeul du style d'un Mallarmé, d'un Marcel Proust, d'un André Gide, d'un Giraudoux, d'un Jacques Rivière. 

JEAN COCTEAU, Poésie critique 1, 1959, page 69. 

Remarque : Les emplois mentionnés sous II ne prétendent pas à l'exhaustivité; ils ne représentent que des échantillons des variations possibles autour des emplois indiqués sous I.