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AJOURNER, verbe transitif.

Publié le 18/10/2015

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AJOURNER, verbe transitif.  

I.—  Emploi transitif. 

A.—  Vieux.  DROIT ANCIEN.   [Le sujet désigne une autorité qui a le pouvoir d'assignation]  Ajourner quelqu'un à comparoir (comparaître). Assigner quelqu'un à comparaître à un jour fixé et en personne devant un juge, un tribunal : 

Ø 1. À raison de quoi ils ont cité et personnellement ajourné ledit Paul-Louis à comparoir devant les assises de Paris, comme ayant offensé la morale publique, en racontant tout haut ce qui se passe chez eux, et la personne du roi dans celle des courtisans : le tout conformément à l'article connu du titre... de la loi... du code des gens de cour, commençant par ces mots : qui n'aime pas Cottin, n'estime point son roi, etc.

PAUL-LOUIS COURIER, Pamphlets politiques, Aux âmes dévotes de la paroisse de Véretz, 1821, page 90. 

Ø 2. Le duc de Bretagne avait été ajourné à comparaître en personne devant le Roi à Orléans, l'an 1388;...

PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 1, 1821-1824, page 376. 

·    Ajourner à + substantif : 

Ø 3. Le duc fut ajourné au parlement, n'y comparut point et fut condamné par défaut, comme coupable de lèse-majesté; il fut banni et ses seigneuries déclarées en forfaiture.

PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 3, 1821-1824, page 296. 

B.—  DROIT PUBLIC et PRIVÉ, DROIT INTERNATIONAL.   [Le complément d'objet désigne une décision ou une réunion ayant à prendre une décision] 

1. [En parlant d'une décision prise par une autorité judiciaire]  Remettre à une autre date (déterminée ou indéterminée) la poursuite d'une affaire judiciaire, une sentence, etc. : 

Ø 4.... il fut impossible de ramener le calme, et le président fut obligé d'ajourner la cause pour ne pas risquer de rendre un arrêt de mort au milieu des convulsions d'un rire inextinguible.

VICTOR-JOSEPH ÉTIENNE, DIT DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, tome 5, 1814, page 103. 

Ø 5. Seulement, après des mois de détention, il fallut reconnaître qu'on n'avait rien contre Picquart, et ce fut tout le réquisitoire de l'accusateur public de déclarer qu'il n'était pas en état de rien prouver contre l'accusé. On ajournait le procès à une date indéfinie.

GEORGES CLEMENCEAU, Vers la réparation,  1899, page 410. 

—  Par métonymie, rare. Ajourner quelqu'un. Renvoyer à plus tard une sentence le concernant : 

Ø 6. Ce n'est pas leurs délais et leurs atermoiments

Qui nous ajourneront le jour du dernier jour.

CHARLES PÉGUY, Ève,  1913, page 879. 

2. [En parlant d'une décision prise par une autorité politique]  Remettre à une date ultérieure (déterminée ou indéterminée) une réunion : 

Ø 7. La conférence a été ajournée sine die le 29 janvier 1962 au terme de sa trois cent cinquante-troisième séance après avoir abouti à une impasse totale qui va entraîner les U.S.A. et le Royaume-Uni à considérer la reprise, sans doute conjointe, des explosions nucléaires aériennes envisagées pour le printemps 1962 sur le polygone britannique des Îles Christmas dans le Pacifique.

BERTRAND GOLDSCHMIDT, L'Aventure atomique, ses aspects politiques et techniques,  1962, page 200. 

—  Par métonymie. Ajourner une assemblée. Remettre à plus tard les réunions de cette assemblée : 

Ø 8.... un décret du 31 décembre ajourne le corps législatif; les portes de la salle sont fermées.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 2, 1848, page 481. 

C.—  ADMINISTRATION.  

1. ADMINISTRATION MILITAIRE.  Renvoyer un conscrit en vue d'un nouvel examen à une autre séance du conseil de révision : 

Ø 9. Je cherche encore à intéresser celui-ci ou celui-là à l'engagement de mon fils que le conseil de révision ajourne.

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 11, juillet 1914-février 1917, page 94. 

Ø 10. —  « À propos... toi, en cas de guerre?... tu as été ajourné, n'est-ce pas? mais... si on mobilisait? »

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 354. 

2. ADMINISTRATION SCOLAIRE et UNIVERSITAIRE.  Refuser un candidat à un examen et le renvoyer à une session ultérieure : 

Ø 11.... il se dandinait et tirait sa moustache.

—  « J'attends toujours votre réponse! » reprit l'homme à la toque d'or. Et, comme le geste de Frédéric l'agaçait sans doute : —  « Ce n'est pas dans votre barbe que vous la trouverez! »

Ce sarcasme causa un rire dans l'auditoire; le professeur, flatté, s'amadoua. Il lui fit deux questions encore sur l'ajournement et sur l'affaire sommaire, puis baissa la tête en signe d'approbation; l'acte public était fini. Frédéric rentra dans le vestibule. Pendant que l'huissier le dépouillait de sa robe, pour la repasser à un autre immédiatement, ses amis l'entourèrent, en achevant de l'ahurir avec leurs opinions contradictoires sur le résultat de l'examen. On le proclama bientôt d'une voix sonore, à l'entrée de la salle : « le troisième était... ajourné! »

—  « Emballé! » dit Hussonnet, « allons-nous-en! »

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 1, 1869, page 80. 

D.—  Langue commune.  Remettre à plus tard. 

1. Vieilli.  [Le complément d'objet direct désigne une personne]  Ajourner quelqu'un à (une date, un événement ultérieur). Fixer pour cette date une décision concernant une personne : 

Ø 12. Bonaparte se prépare à la guerre; il est attendu à de nouveaux champs catalauniques : Dieu l'a ajourné à la bataille qui doit mettre fin au règne des batailles.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 2, 1848, page 602. 

Ø 13. Elle a besoin d'un service de moi, d'un service qu'elle sent m'être pénible, parce qu'il me faut mentir dans de l'imprimé, et elle m'ajourne à un temps qui ne m'est pas commode et remplit sa maison de Grandjean! Aussi ma détermination est prise. Je lui ferai son article, comme le payement usuraire d'une vieille amitié, mais je ne séjournerai pas chez elle.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  août 1892, page 297. 

Ø 14.... il n'est pas bon de parler des choses avant leur achèvement. (...). Donc, je ferme ma boîte. J'attends que tu exhibes. Ce qui m'intéressera, ce sera Saül. Ce qui ne m'intéresse pas —  alors —  c'est ce qui n'existe pas —  pour moi du moins —  encore. Je ne vois aucun inconvénient à attendre et je trouve que tu as raison de m'ajourner au résultat.

ANDRÉ GIDE, P. VALÉRY, Correspondance, lettre de Paul Valéry à André Gide, juillet 1898, page 321. 

—   [Avec un autre complément circonstanciel suggérant une date] :

Ø 15. De semaine en semaine, tu m'ajournes, quand je te demande de décider notre destin; je n'accepte plus l'immobilité.

MAURICE BARRÈS, Un Jardin sur l'Oronte,  1922, page 190. 

2. [Le complément d'objet direct désigne un inanimé abstrait] 

a) Vieux.  Remettre à plus tard l'examen d'un fait : 

Ø 16. Claude répondait très-ingénieusement et assez sensément, à ce qu'il semble, qu'il n'est pas juste d'opposer comme fin de non-recevoir une raison d'impossibilité à un fait dont les preuves sont alléguées et subsistent; qu'il serait d'une meilleure logique, au lieu de les éluder et de les ajourner, de considérer directement et de discuter ces faits et ces textes, qui précisément détruisent cette prétendue impossibilité.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 4, 1859, page 336. 

b) Remettre à plus tard une décision, l'exécution d'un projet : 

Ø 17. Si elle vient, je lui demanderai si c'est pour moi qu'elle est venue, et je lui dirai mon goût pour elle, en ajournant tout autre projet.

BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Journaux intimes,  février 1803, page 36. 

Ø 18. Tu patientes ou pour mieux dire, tu ajournes, tu diffères, tu retardes, quoi? La grande décision. Tu espères, quoi? Je n'en sais rien. Tu attends, quoi? D'être plus jeune, plus vaillant, plus entreprenant? Folie!

HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime,  5 mars 1866, page 171. 

Ø 19. Cet événement était une calamité, qui d'abord ajournait leur rupture, —  et puis bouleversait tous ses projets.

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 2, 1869, page 202. 

3. Ajourner + de (plus rarement à) + infinitif Remettre à plus tard de (faire quelque chose) : 

Ø 20. Malgré mon amour pour le père Hugo, j'ajourne de jour en jour à retourner chez lui, tant sa manie de politique m'écoeure, —  et puis, il faut sortir le soir, ce qui me coûte beaucoup maintenant

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1875, page 229. 

Ø 21. C'est assez facile si j'ajourne de parler des temples et des tombeaux.

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 6, 1907-1908, page 233. 

Ø 22. Il ajournait sans cesse de montrer à Solange l'album de photos, de lui parler de son fils.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Lépreuses,  1939, page 1413. 

II.—  emploi absolu.  [Le sujet désigne une administration ou un particulier]  Remettre à plus tard une décision : 

Ø 23. Si on était exclusivement préoccupé d'événements politiques et détourné par là de toute autre occupation d'esprit, j'ajournerais. Je ne puis juger ce qui en est de loin. Car, vous savez que les symptômes de la vie de la nation ne se découvrent plus qu'à Paris.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Correspondance avec Henry Reeve.  1856, page 156. 

Ø 24. Quand le fanatique pense, ne vous mettez pas en travers. Socrate ajournait. Montaigne ajournait. Descartes ajournait. En Descartes la méthode enfin se montre; l'ordre paraît. « Avant de connaître telle chose, je dois connaître d'abord telle autre chose, plus simple. » Et lui-même a dit aussi que c'est souvent notre grand amour pour la vérité qui fait que nous la manquons.

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1928, page 755. 

—  Péjoratif : 

Ø 25. Ajourner. Mot qui, en style ministériel, signifie enterrer.

ANTOINE-FABIO STICOTTI, Dictionnaire des gens du monde,  1818. 

Ø 26.... et, après mon absorption à Couaën, je ne la vis plus du tout. Sa maison n'était pas très éloignée pourtant de la route qui menait de Couaën au logis de mon oncle; mais on ne passait pas précisément devant, et, une fois le premier embarras créé, j'attendis, j'ajournai, je n'osai plus.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 1, 1834, page 142. 

Ø 27. Malheureusement Brisson, dont l'irrésolution est connue, fait inconsciemment le jeu des coupables qu'il s'agit de démasquer. Il hésite, il tâtonne, il ajourne, il tergiverse, il perd le temps de l'action en méditations incohérentes.

GEORGES CLEMENCEAU, Vers la réparation,  1899, page 163. 

Ø 28. Opinion de Lyautey :

Ajourner, c'est la tendance des administrations, peut-être spécialement des Affaires étrangères. On ne veut pas s'emballer, on veut garder un front de glace, voir venir.

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 14, mai-décembre 1923, page 259. 

III.—  Emploi pronominal. 

1. Emploi réfléchi. 

a) [Le sujet désigne une instance judiciaire, une assemblée, etc.]  Remettre à une date ultérieure la poursuite de son activité : 

Ø 29. « En effet, messieurs, la présence de cet inconnu a été, pour le ministère public, l'objet de longues recherches dès l'origine des poursuites comme pendant le cours de l'instruction, et nous ignorons alors entièrement la nature des dépositions que fera ce nouveau témoin; elles peuvent être favorables ou défavorables; mais cette circonstance nous force à demander que la cour s'ajourne à demain, le témoin n'arrivant que ce jour... »

HONORÉ DE BALZAC, Annette et le criminel, tome 4, 1824, page 69. 

Ø 30. Simplement pour rendre légale la réélection de Louis-Napoléon. Était-ce là un acte de conspiration contre lui? L'assemblée s'ajourna bientôt après le vote.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Correspondance avec Henry Reeve.  1851, page 120. 

Ø 31. Vers deux heures et demie, un député du Dauphiné nous apporta la nouvelle que les deux autres ordres venaient de décider qu'ils vérifieraient leurs pouvoirs séparément. Alors la séance fut levée dans le tumulte, et l'on s'ajourna au lendemain, à neuf heures.

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 1, 1870, page 223. 

Ø 32. —  Alors, dit Justin Rosny, il faut que Renard ait l'unanimité. Il faut bien accueillir un artiste tel que lui. (...) on voit Hennique hésiter. Lui aussi, il a le coeur déchiré. Tout à coup, il dit : —  Non, non! Trente ans d'amitié... je ne peux pas. Je garde ma voix à Céard. Tout revient au même point. On s'ajourne. Et tout le monde me couvre de fleurs. Léon Daudet lui-même ne dit rien contre moi.

JULES RENARD, Journal,  1907, pages 1138-1139. 

b) [Le sujet désigne une personne]  Renvoyer à plus tard une décision la concernant elle-même : 

Ø 33. Il se torturait à découvrir par quel moyen lui faire sa déclaration; et, toujours hésitant entre la crainte de lui déplaire et la honte d'être si pusillanime, il en pleurait de découragement et de désirs. Puis il prenait des décisions énergiques; il écrivait des lettres qu'il déchirait, s'ajournait à des époques qu'il reculait.

GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 1, 1857, page 114. 

2. Emploi passif.  [Le sujet désigne une chose abstraite] :

Ø 34. La chute primitive, la tradition éparse et l'attente des justes avant le Messie, la rédemption par l'homme-dieu, la perpétuité de transmission par l'Église, la foi aux sacrements, étaient des points sur lesquels mon esprit ne contestait pas. Le reste qui faisait embarras s'ajournait aisément, ou s'aplanissait encore, à l'envisager avec simplicité, et seulement au fur et à mesure du cas particulier et de la pratique effective.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 2, 1834, page 176. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 343. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 517, b) 841; XXe.  siècle : a) 346, b) 356. 

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