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ALERTÉ, -ÉE, participe passé et adjectif.

Publié le 21/10/2015

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ALERTÉ, -ÉE, participe passé et adjectif.  

I.—  Participe passé de alerter*  [En liaison avec l'auxiliaire être] 

—  Être alerté. 

·    Être en état d'alerte : 

Ø 1. Le nouveau poste était un ancien hôtel de briques rouges, à un étage; deux sentinelles, une de chaque côté de la porte, baïonnette au canon. Tchen savait que la police spéciale était alertée depuis trois jours, et ses hommes brisés par ce guet perpétuel.

ANDRÉ MALRAUX, La Condition humaine,  1933, page 246. 

Ø 2. —  « Je n'ai pas seulement rencontré des Français », poursuivit Jacques. « J'ai vu aussi des Belges, des Allemands, des Russes... Les milieux révolutionnaires sont alertés, partout. On a compris que la menace est grave. Partout, on se groupe, on cherche un programme d'ensemble. La résistance s'organise, prend corps. (...) »

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 236. 

·    Être mis en éveil : 

Ø 3. Il somnole... Mais c'est alors que souvent il est alerté et tenu malgré lui en éveil : il ne sait quoi se passe au plus secret de sa chair... Ce peut n'être presque rien, —  si peu de chose, en vérité, qu'il ne sait en décrire les symptômes au docteur. Même pas une vraie souffrance : simplement « il sent son coeur », il ne perd jamais conscience de ces battements trop forts, irréguliers;...

FRANÇOIS MAURIAC, Journal 1, 1934, page 64. 

Ø 4. J'avais vécu longtemps dans l'illusion d'un accord général, alors que, de toutes parts, les jugements, les flèches et les railleries fondaient sur moi, distrait et souriant Du jour où je fus alerté, la lucidité me vint, je reçus toutes les blessures en même temps et je perdis mes forces d'un seul coup.

ALBERT CAMUS, La Chute,  1956, page 1514. 

·    Être prévenu : 

Ø 5. Ce n'était pas tout à fait cela que Léon attendait : il attendait qu'on lui donnât un rendez-vous. Mais enfin le médecin était « alerté »... Sa lettre était « très amicale »...

HENRI DE MONTHERLANT, Les Célibataires,  1934, pages 813-814. 

II.—  Adjectif. 

A.—  Averti d'un danger, d'une situation critique. 

—  MILITAIRE.   [S'applique à une formation militaire]  En état d'alerte, prêt à intervenir : 

Ø 6. Cependant, alertée sur ses terrains, la Royal Air Force était prête. Dans le peuple, beaucoup, désireux de sortir d'une tension presque insupportable, en venaient à souhaiter tout haut que l'ennemi risquât l'attaque. 

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, L'Appel, 1954, page 88. 

—  Par métaphore : 

Ø 7. L'électricité alertée part de l'une ou de l'autre extrémité, dévore la distance, traversant le poste de raccordement de deux réseaux à Pessac, près Bordeaux, et renforce ici le courant affaibli, ou le rétablit là, interrompu. On dirait qu'on lui fait signe... 

JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, tome 1, 1925, page 196. 

·    Nuit perpétuellement alertée. Nuit passée en continuel état d'alerte : 

Ø 8. Journal du Capitaine Delvert (2-5 juin). Vendredi 2 juin. —  Nuit d'angoisse perpétuellement alertée. Nous n'avons pas été ravitaillés hier. La soif surtout est pénible. Les biscuits sont recherchés... etc. Le bombardement ininterrompu, l'incendie dans le voisinage du dépôt de grenades, les assauts quotidiens, le manque de vivres, le manque d'eau, le manque de sommeil,...

HENRY BORDEAUX, Les Derniers jours du fort de Vaux,  1916, pages 181-182. 

—  Par analogie.  [S'applique à un groupe social en situation de conflit] :

Ø 9. Nous prendrons en main, nous autres socialistes, les intérêts de la veuve et des malheureux orphelins. La classe ouvrière de Sérianne, restera alertée, et veillera à ce que la municipalité fasse entièrement son devoir...

LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers,  1936, page 175. 

B.—  Alarmé par la menace précise d'un danger et, par extension, d'une difficulté quelconque : 

Ø 10. Il n'y avait plus à en douter; trois quarts d'heure avaient suffi pour que Haynes repérât l'avarie, pour alerter les navires en mer et les postes côtiers, pour décider de la manoeuvre à exécuter, pour donner les ordres à Grayson, pour amorcer l'ouvrage et pour calmer les passagers alertés. Pour du travail, c'était du bon travail!

ÉDOUARD PEISSON, Parti de Liverpool,  1932, page 205. 

C.—  [La notion de danger s'atténuant jusqu'à disparaître totalement] 

1. [S'applique à une personne, à son esprit, à ses forces...] 

a) Mis en éveil, rendu attentif : 

Ø 11. Mme.  Théo, alertée par téléphone, leur a découvert un logement fort agréable où ils emménagèrent aussitôt.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1940, page 22. 

Ø 12. Mais d'autres, alertés par l'interprétation d'Ungaretti, pourront renverser la situation. Dans un tel renversement d'une fable endormie en ses traditions, il y a comme un rajeunissement de la fonction fabulatrice.

GASTON BACHELARD, La Poétique de l'espace,  1957, page 128. 

b) Tendu dans l'attente d'un événement, même heureux, de caractère exceptionnel : 

Ø 13. Toutes mes forces alertées dans l'attente de l'instant merveilleux.

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1935-1936, page 58. 

Ø 14. Quand je reviens par la pensée à ces journées si apparemment vides, c'est en vain que je cherche une trace, une piqûre visible de cet aiguillon qui me maintenait si singulièrement alerté. Il ne se passait rien. C'était une tension légère et fiévreuse, l'injonction d'une insensible et pourtant perpétuelle mise en garde, comme lorsqu'on se sent pris dans le champ d'une lunette d'approche —  l'imperceptible démangeaison entre les épaules qu'on ressent parfois à travailler, assis à sa table, le dos à une porte ouverte sur les couloirs d'une maison vide.

JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 39. 

2. Prévenu, informé, mis au courant : 

Ø 15. Quand l'état de la maison exigeait quelque réparation, Jérôme, alerté, frappait dans ses mains et rassemblait les enfants mâles. Tout le monde aussitôt devenait, dans la tribu, maçon, forgeron ou couvreur.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, page 129. 

Remarque : Dans cette acception subsiste la notion de changement de situation, d'attente ou d'intervention. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 104. 

 

Forme dérivée du verbe \"alerter\"

 alerter

ALERTER, verbe transitif.  

A.—  Emploi transitif. 

1. [Le complément désigne une personne ou un collectif]  Alerter quelqu'un. L'avertir d'un danger, d'une situation critique ou, par extension, d'un phénomène anormal, d'une difficulté quelconque, pour que soient éventuellement prises des mesures de vigilance, d'aide ou d'intervention : 

Ø 1. Et, le jour même où il revenait, pantelant, à Paris, c'était pour trouver la maison bouleversée : son frère, parti depuis la veille; son père déchaîné, têtu, ayant alerté la police, vociférant : « Il est allé se tuer! », sans qu'on pût tirer de lui autre chose. Le drame de famille s'était greffé à vif sur le drame d'amour.

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Sorellina, 1928, page 1166. 

Ø 2. Quand vous aurez fini aux Bois Bourrus, pourquoi ne passeriez-vous pas la nuit au Mort-Homme? Vous trouverez bien un P. C. de brigade où vous abriter. J'aimerais assez que vous soyez là-bas cette nuit. S'il arrivait quoi que ce soit, vous m'alerteriez aussitôt, en me donnant votre impression. S'il n'arrive rien, rentrez demain matin.

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, page 256. 

Ø 3. La bataille était perdue. Jean-Jacques prétendit en appeler au public. Il s'enferma dans son galetas, développa son projet, en fit tout un livre dont il paya seul le privilège et qu'il donna à l'éditeur à « moitié-profit ». En même temps il alertait tout ce qu'il pouvait connaître à Paris.

JEAN GUÉHENNO, Jean-Jacques, tome 1, En marge des \"Confessions\", 1948, page 162. 

Ø 4. Sur le plan intérieur américain, les techniciens entreprirent durant les derniers mois de l'année 1945 un énorme effort pour alerter le public et lui exposer le problème atomique et ses dangers. 

BERTRAND GOLDSCHMIDT, L'Aventure atomique, ses aspects politiques et techniques,  1962, page 62. 

—  MILITAIRE.  Donner l'ordre à une formation militaire de se tenir prête à intervenir : 

Ø 5. Dans la soirée du 8 mai, toutes les divisions de cavalerie disponibles étaient alertées et tenues prêtes à se porter dans la zone de la 10e.  armée.

MARÉCHAL JOSEPH JOFFRE, Mémoires, tome 2, 1931, page 76. 

—  Au figuré : 

Ø 6. Elle feint de ramener distraitement son écharpe sur sa poitrine, mais Philippe sait très bien que ce geste est un geste de défense, que la diligente petite cervelle vient d'alerter chaque nerf, chaque fibre de ce corps délicat, qu'elle est désormais tout entière sur ses gardes. 

GEORGES BERNANOS, Monsieur Ouine,  1943, page 1442. 

2. Faire pressentir un danger, une menace, une situation anormale : 

Ø 7. Fakhr Ed-Dîn, le généralissime égyptien, sortait du bain et se faisait teindre la barbe au henné quand les cris des fuyards l'alertèrent. Sans avoir le temps de revêtir son armure, il sauta sur un cheval et courut aux nouvelles. Des templiers arrivaient en trombe. Un coup de lance lui perça le flanc et il roula, mort, tandis que la chevauchée franque s'éloignait en direction de Mansoura.

RENÉ GROUSSET, L'Épopée des Croisades,  1939, page 356. 

—  En particulier. Alerter (un ennemi, un adversaire) : 

Ø 8. Le maquis de la forêt voisine ne serait mobilisé que pour faire la couverture et resterait sur la rive gauche. Deux fusils-mitrailleurs seraient suffisants pour protéger le retour des barques. —  Inutile de mobiliser de gros contingents, ce qui reviendrait à alerter l'ennemi qui dispose certainement de mouchards dans la région. Il suffit que la traversée de la Saône soit assurée aller et retour.

ROGER VAILLAND, Drôle de jeu,  1945, page 129. 

—  Par extension. Alerter quelqu'un (sur quelque chose, contre quelqu'un). Le mettre en garde contre quelque chose ou quelqu'un : 

Ø 9. L'idée d'une sexualité infantile est une idée récente. La mémoire n'en garde aucun souvenir, du moins pour les six ou huit premières années. Nous en rejetons même l'idée avec une certaine violence, ce qui pourrait attester un refoulement persistant Les fantaisies de goût peu sûr et de science incertaine qui ont pu se mêler ici aux faits assurés n'empêchent que la réalité n'en soit définitivement établie. Saint Augustin avait raison quand il nous alertait sur la présence latente, dans le « cher petit ange », de tous les instincts de la nature. Le cher petit ange, au surplus, n'en devient pas un monstre, mais un puer duplex au psychisme déjà délicat, qu'il faut garder de certaines menaces.

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 141. 

Ø 10. —  C'est bien mon avis, dit Preston; et c'est celui auquel le State Department va certainement se ranger. Il sourit : « C'est pourquoi il me paraît inopportun d'alerter contre nous l'opinion française. »

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 126. 

3. [La notion de danger s'estompant au point de disparaître totalement]  Prévenir, informer : 

Ø 11. —  Docteur Jamar? Ici, Mansuy... oui... oui, je comprends... le Parquet sera ici vers onze heures... je crois qu'il vaut mieux ne pas vous déranger avant que je vous alerte, car ces messieurs peuvent fort bien arriver en retard... je vous téléphonerai et vous en aurez pour un instant à les rejoindre en auto...

GEORGES SIMENON, Les Vacances de Maigret,  1948, page 98. 

Remarque : L'idée de signal donné précipitamment subsiste avec celle de la nécessité d'une intervention rapide. 

—  Au figuré : 

Ø 12. Le désert, c'est moi. Je ne forme plus de salive, mais je ne forme plus, non plus, les images douces vers lesquelles j'aurais pu gémir. Le soleil a séché en moi la source des larmes. Et cependant, qu'ai-je aperçu? Un souffle d'espoir a passé sur moi comme une risée sur la mer. Quel est le signe qui vient d'alerter mon instinct avant de frapper ma conscience? Rien n'a changé, et cependant tout a changé. Cette nappe de sable, ces tertres et ces légères plaques de verdure ne composent plus un paysage, mais une scène. Une scène vide encore, mais toute préparée. Je regarde Prévot. Il est frappé du même étonnement que moi, mais il ne comprend pas non plus ce qu'il éprouve. Je vous jure qu'il va se passer quelque chose... je vous jure que le désert s'est animé.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Terre des hommes,  1939, page 240. 

B.—  Emploi pronominal, rare. 

1. Emploi pronominal réciproque.  [En parlant de sentinelles]  S'alerter l'une l'autre. Se maintenir mutuellement en alerte : 

Ø 13. La dissidence ajoutait au désert. Les nuits de Cap Juby, de quart d'heure en quart d'heure, étaient coupées comme par le gong d'une horloge : les sentinelles, de proche en proche, s'alertaient l'une l'autre par un grand cri réglementaire. Le fort espagnol de Cap Juby, perdu en dissidence, se gardait ainsi contre des menaces qui ne montraient point leur visage. Et nous, les passagers de ce vaisseau aveugle, nous écoutions l'appel s'enfler de proche en proche, et décrire sur nous des orbes d'oiseaux de mer.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Terre des hommes,  1939 page 187. 

2. Emploi pronominal réfléchi, figuré.  Se mettre en mouvement à la suite d'une alerte : 

Ø 14. Je n'étais qu'un moyen de le faire vivre, il était ma raison d'être, il m'avait délivré de moi. Qu'est-ce que je vais faire à présent? Surtout ne pas bouger, ne pas bouger... Ah! ce mouvement d'épaules, je n'ai pas pu le retenir... La chose, qui attendait, s'est alertée, elle a fondu sur moi, elle se coule en moi, j'en suis plein. —  Ce n'est rien : la chose, c'est moi. L'existence, libérée, dégagée, reflue sur moi. J'existe.

JEAN-PAUL SARTRE, La Nausée,  1938, page 128. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 53. 

 

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