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DÉPRAVER, verbe transitif.

Publié le 07/01/2016

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DÉPRAVER, verbe transitif.  

I.—  Vieux. 

A.—  [Le complément d'objet désigne un organe, une fonction physiologique]  Affaiblir et dégrader de manière grave et souvent irrémédiable le fonctionnement normal de quelque chose. Cela déprave l'estomac, la digestion (Dictionnaire de l'Académie française.  1835, 1878).   Le poisson, d'une grande fraîcheur, avait un bon parfum, ce parfum un peu âpre et irritant qui déprave l'appétit (ÉMILE ZOLA, Le Ventre de Paris,  1873, page 698 ). 

—  Emploi pronominal à sens passif. Les sécrétions s'altèrent, l'appétit se déprave et la digestion se fait capricieuse (HONORÉ DE BALZAC, Le Lys dans la vallée,  1836, page 240 ). 

B.—  Par analogie. 

1. [Le complément d'objet désigne la nature ou l'état de nature]  Ces événements atroces n'arrivent pas, j'en suis sûr, dans les climats où l'aisance et une vie abondante ne dépravent pas leur naturel [des insectes] (JULES MICHELET, L'Insecte, 1857, page 222 ). En ce pauvre univers on a tout dépravé (GUILLAUME-VICTOR-ÉMILE, DIT ÉMILE AUGIER, La Jeunesse,  1858, III, page 307 ). 

2. [Avec une idée d'affaiblissement]  Elle [la luxure] a déformé ma vision, dépravé mes rêves (PAUL DUVAL, DIT JEAN LORRAIN, Monsieur de Phocas, 1901, page 287 ).  Confer au mot apetisser exemple 2. 

3. [Le complément d'objet désigne un produit de l'esprit humain]  Déformer gravement. 

a) CRITIQUE.  vieux. Dépraver un texte. Le reproduire de manière gravement défectueuse, le corrompre. Johnson a cru qu'on avait dépravé le texte de l'« Eikon Basiliké » (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Essai sur la littérature anglaise, tome 2, 1836, page 38 ). 

b) [Le complément d'objet désigne un genre littéraire]  [Verlaine] dépravait [le sonnet] , en n'accouplant que des rimes masculines (GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, À rebours,  1884, page 246 ). 

II.—  Usuel. 

A.—  [Le complément d'objet désigne une personne ou un groupe considéré comme une personne morale, plus particulier dans le domaine de la vie sexuelle] 

1. Corrompre les inclinations de manière grave et souvent définitive, en faussant le sens moral, la moralité de quelqu'un. Hommes dépravés par la licence des camps. Quasi-synonymes : avilir, dégrader, pervertir. Le scélérat, tout à fait régence, essayait bien de me dépraver, de me prêcher le saint-simonisme en fait de femmes (HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette, 1846, page 11) : 

Ø 1. La stupidité de son mari et la misère de son milieu lui sont trop dures, et la livrent sans défense à un premier amant qui la déprave et qui l'abandonne. La brutalité de celui-ci prépare la malheureuse à mieux goûter la délicatesse du second, mais celui-ci n'est que lâcheté déguisée et qu'égoïsme faussement tendre...

PAUL BOURGET, Essais de psychologie contemporaine,  1883, page 112. 

—  Par métonymie.  Amener quelqu'un à accomplir, par une sorte d'instinct irrépressible, des actes immoraux. Elle était restée honnête parce que son mari était honnête; livrée à elle même, le malheur aurait pu la dépraver et la pousser au mal (EUGÈNE SUE, Les Mystères de Paris, tome 3, 1842-43, page 364 ). 

·    Emploi pronominal à sens passif.  Perdre tout sens moral, se livrer à des actes immoraux. N'ayant personne pour la conduire, la diriger, l'enfance, abandonnée à elle-même, se déprave rapidement (JULES MICHELET, Sur les chemins de l'Europe, 1874, page 83 ). Après m'être dépravé et corrompu au contact des hommes (PAUL DUVAL, DIT JEAN LORRAIN, Monsieur de Phocas, 1901 page 317 ). Il est pas bien difficile pourvu qu'il se déprave! N'importe quel bouge ça lui va!... Tout lui est bon! (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 490 ). 

2. Par extension.  Corrompre profondément une personne en la détournant vers le mal. 

a) Domaine de la vie morale. en général  L'homme, dépravé par l'orgueil (FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, Essai sur l'indifférence en matière de religion, tome 1, 1817-23, page 246 ). Il dépravera très bien quelqu'un [Ethal] pour voir jusqu'où ce quelqu'un mènera la flambée du vice (PAUL DUVAL, DIT JEAN LORRAIN, Monsieur de Phocas, 1901 page 214 ). Il ne lui [à la bourgeoisie] reste pour servir ses appétits qu'une intelligence et une sensibilité d'homme de lettres dépravé par des succès de salon (MARCEL AYMÉ, Le Confort intellectuel,  1949, page 75 ). 

—  Emploi pronominal à sens passif. La pente des instincts fauves, le fatal vent Du malheur en courroux profond se dépravant (VICTOR HUGO, L'Année terrible,  1872, page 311 ). Entendre dire qu'il n'y a point de sûreté avec la jeunesse de maintenant et que l'homme se déprave de plus en plus jeune (MARCEL AYMÉ, Travelingue,  1941, page 10 ). 

—  emploi absolu. La conversation déprave. D'homme à homme, elle rend cynique (HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur Paris,  1867, page 274 ). 

b) En particulier. 

α ) [Par référence à la doctrine de Jean-Jacques Rousseau, selon qui l'homme, né bon, est dépravé par la société; confer Discours sur l'origine de l'inégalité, Paris, 1755, page 138 et Émile, 1762, page 525 : l'homme est naturellement bon, (...) la société déprave et pervertit les hommes]  Les publicistes modernes veulent que la société déprave l'homme (LOUIS-GABRIEL A. DE BONALD, Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules ténèbres de la raison, tome 2, 1802, page 75 ). C'est la civilisation, c'est l'humanité dépravée par le luxe et la science, c'est le torrent de venin qui engloutira toute parole de vertu, tout espoir de régénération (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia,  1833, page 117) : 

Ø 2. Le fouriérisme a besoin, pour s'expérimenter, d'âmes vierges qu'il lui est possible de pétrir à sa guise; quant aux vieux adeptes, dépravés par la civilisation, ils n'ont pas assez de foi en eux-mêmes, ils n'oseraient se prendre pour composer leur personnel d'essai.

PIERRE-JOSEPH PROUDHON, Les Confessions d'un révolutionnaire pour servir à l'histoire de la Révolution de février.  1849, page 252. 

β ) Domaine religion, par référence au dogme du péché originel.   La religion seule nous enseigne ce qu'est la nature, en quoi elle est bonne et comment elle a été dépravée (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Les Dieux ont soif,  1912, page 81 ). Bien que, en punition de leur orgueil, les démons soient dépravés, ils peuvent néanmoins entendre la voix de Dieu, qui leur parle comme aux bons anges (Dictionnaire de théologie catholique (sous la direction de A. Vacant et E. Mangenot)  tome 4, 1re.  partie , 1920, page 372 ). 

γ ) Domaine social et politique  Le pouvoir déprave presque toujours ceux qui le possèdent (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, tome 2, 1817, page 343 ). Car les tyrannies dépravent également l'esclave et le maître, font de l'un un monstre d'égoïsme, de l'autre une guenille avilie (GEORGES CLEMENCEAU, L'Iniquité,  1899, page 350 ). 

—   [Sans idée de non-retour]  Si les lois et les gouvernemens, d'abord sages et justes, ensuite se dépravent, c'est que l'alternative du bien et du mal tient à la nature du coeur de l'homme (CONSTANTIN-FRANÇOIS CHASSBOEUF, COMTE DE VOLNEY, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,  1791, page 54 ). 

Remarque : Dans certains de ses emplois, notamment du début du XIXe.  siècle, le verbe a parfois le sens de \" affaiblir dangereusement \". Elle [une guerre inutile] déprave les générations naissantes (Benjamin Henri Constant de Rebecque, Esprit de conquête, 1813, page 179). Ce mal du délire! Quelle épouvantable influence il exerce sur les facultés humaines! Il affaiblit la mémoire, il éteint la raison, il déprave tout, jusqu'à l'âme (Latouche, L'Héritier, Lettres amans, 1821, page 55). Il y a dans le \" barathrum \" des capitales, comme dans le désert, quelque chose qui fortifie et qui façonne le coeur de l'homme, qui le fortifie d'une autre manière, quand il ne le déprave pas et ne l'affaiblit pas jusqu'à l'abjection et jusqu'au suicide (Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels, 1860, page 404). 

B.—  [Le complément d'objet désigne une chose] 

1. [Le complément d'objet désigne un aspect de la personne, une faculté ou un comportement dont on attend normalement un fonctionnement conforme à la morale]  Altérer gravement et souvent définitivement le bon fonctionnement normalement attendu, en particulier dans le domaine sexuel. Dépraver le coeur, l'esprit, l'âme de quelqu'un. Synonyme : dénaturer. L'oubli de toute délicatesse, l'inaptitude aux sentimens généreux, et le joug de la misère, les [les filles publiques] livrent aux caprices les plus brutes de l'homme en qui une telle habitude dépravera aussi les sensations et les désirs (ÉTIENNE PIVERT DE SENANCOUR, Obermann, tome 2, 1840, page 85 ). Tout ce qui procure une griserie artificielle, tout ce qui frelate, déprave et vicie la nature, je m'en suis toujours farouchement détourné (ANDRÉ GIDE, Journal,  1935, page 1222) : 

Ø 3. Partout, l'ignorance, la tyrannie, la misère, ont frappé de stupeur les nations; et des habitudes vicieuses dépravant les sens naturels, ont détruit jusqu'à l'instinct du bonheur et de la vérité :...

CONSTANTIN-FRANÇOIS CHASSBOEUF, COMTE DE VOLNEY, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,  1791, page 114. 

·    Emploi pronominal à sens passif. Ces précautions ressemblent à ces examens de conscience tout faits, où les imaginations pures se dépravent en réfléchissant à des monstruosités ignorées (HONORÉ DE BALZAC, Spendeurs et misères des courtisanes,  1847, page 519 ). 

—   [L'ambiance dégradante est surtout évoquée par le sujet]  Dépravée par la douleur, elle recherchait ardemment tout ce qui irritait ses nerfs, tout ce qui titillait et éveillait son apathie (PETRUS BOREL, Champavert, les contes immoraux,  1833, page 142 ). Ce leit-motiv d'infamie sur la biographie de chacun, déprave et déforme tout autour de moi (PAUL DUVAL, DIT JEAN LORRAIN, Monsieur de Phocas, 1901 page 279 ). 

2. Par extension, dans d'autres domaines.  Altérer, fausser gravement et souvent définitivement une chose en en dégradant le fonctionnement ou les manifestations, les formes. 

a) [Le complément d'objet désigne un aspect, une fonction de l'être humain]  L'éducation avait faussé leur nature, sans la dépraver pourtant d'une façon inguérissable (JULES SANDEAU, Sacs et parchemins,  1851, page 60) : 

Ø 4. Les portions affectives de sa [d'Ortègue] personne étaient atteintes jusqu'à en être dépravées. (...) Cette cohabitation de tous les instants me permettait trop de constater la décomposition morale de son être,...

PAUL BOURGET, Le Sens de la mort,  1915, page 180. 

b) [Le complément d'objet désigne une valeur intellectuelle ou esthétique]  Dépraver le goût. Synonyme : vicier. L'art est fait pour orner et fortifier l'esprit, non pour le dépraver et l'affaiblir (CAMILLE SAINT-SAËNS, Harmonie et mélodie,  1885, page 312 ). Le monde intérieur est toujours menacé d'une confusion de sensations obscures, de souvenirs, de tensions, de paroles virtuelles, où ce que nous désirons observer et saisir, altère, déprave en quelque sorte l'observation elle-même (PAUL VALÉRY, Variété IV,  1938, page 111 ). 

·    Emploi pronominal à sens passif. La raison se détourne de sa lumière, se déprave (PAUL ÉLUARD, Donner à voir,  1939, page 117 ). 

c) [Le complément d'objet désigne une institution humaine qui représente une valeur morale]  Tu te livres à des égarements sanctionnés par les lois; en un mot tu dépraves l'institution du mariage (HONORÉ DE BALZAC, Mémoires de deux jeunes mariées,  1842, page 368 ). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 97. 

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