Dictionnaire en ligne: DEVENIR3, substantif masculin. Action ou fait de devenir (confer devenir2 ). I.— [Comme catégorie ou entité absolue (opposée à l'être immuable)] : Ø 1. Où saisir l'essence sinon au niveau de l'existence et du devenir? Mais on ne peut dire que l'être n'est qu'existence. Ce qui devient toujours ne saurait être, il faut un commencement. L'être ne peut s'éprouver que dans le devenir, le devenir n'est rien sans l'être. Le monde n'est pas dans une pure fixité; mais il n'est pas seulement mouvement. Il est mouvement et fixité. La dialectique historique, par exemple, ne fuit pas indéfiniment vers une valeur ignorée. Elle tourne autour de la limite, première valeur. Héraclite, inventeur du devenir, donnait cependant une borne à cet écoulement perpétuel. Cette limite était symbolisée par Némésis, déesse de la mesure, fatale aux démesurés. ALBERT CAMUS, L'Homme révolté, 1951, page 365. A.— [Le devenir non qualifié] Le bovarysme, comme appareil de mouvement, cette définition fixe son importance à l'égard d'une réalité dont on a constaté qu'elle n'est saisissable que dans le devenir (JULES DE GAULTIER, Le Bovarysme, 1902, page 220 ). Le surmoi c'est le passé. L'idéal du moi est le devenir. Mais dans le passé dort déjà le devenir (MARYSE CHOISY, Qu'est-ce que la psychanalyse? 1950, page 117 ). — Par métonymie, au singulier avec article un, plus rarement au pluriel. · Variété du devenir. Cette idée que le monde a un devenir, une histoire où chaque état sort de l'état antérieur par un développement organique (ERNEST RENAN, Histoire du peuple d'Israël, tome 1, 1887, pages 80-81 ). Une ou plusieurs images claires qui représentent des états et qui servent à distinguer tous les devenirs les uns des autres (HENRI BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, page 304) : Ø 2.... comment classer cet ouvrage sec et net [l'Étranger] (...) M. Camus le nomme « roman ». Pourtant le roman exige une durée continue, un devenir, la présence manifeste de l'irréversibilité du temps. JEAN-PAUL SARTRE, Situations I, 1947, page 121. · Chose en devenir. La femme n'est pas une réalité figée, mais un devenir (SIMONE DE BEAUVOIR, Le Deuxième sexe, tome 1, 1949, page 72 ). Remarque : On rencontre parfois devenir précisé en tant que notion philosophique rapportée à ses origines historiques : La langue est ainsi dans un perpétuel devenir, comme disent les philosophes (SARCEY, Mot et chose, 1862, page 5 et confer exemple 1); les guillemets peuvent remplir, quoique plus vaguement, la même fonction : J'avais été surtout sensible à l'élaboration, aux essais, aux reprises, au « devenir » d'une phrase [musicale] qui se faisait durant la sonate (MARCEL PROUST, La Fugitive, 1922, page 560). B.— [Le devenir qualifié] 1. [Du point de vue de son déroulement] a) [En construction nominale] a ) Devenir + adjectif. Devenir continuel, évolutif; éternel devenir. Le développement spontané, le devenir incessant des choses (HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Derniers essais de critique et d'histoire, 1893, page 116 ). Ce perpétuel devenir qui affecte aussi l'occupation humaine (PAUL VIDAL DE LA BLACHE, Principes de géographie humaine, 1921, page 172) : Ø 3. Si nous actualisons les instants virtuels innombrables dont la succession forme le devenir continu, l'éternité entière ne suffira pas pour les dérouler. VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, page 49. ß ) Substantif + de/du + devenir. Continuité, processus du devenir. Son être momentané [de Socrate] s'écoule avec le flot du devenir (ÉTIENNE GILSON. L'Esprit de la philosophie médiévale, 1931, page 197 ). Il entrait tout naturellement dans ce nirvâna Boisrosé, sorte de suspension de tout devenir, de repos définitif (PAUL MORAND, L'Homme pressé, 1941, page 89 ). b) [En construction verbale] Rare. Le dimanche il travaille jusqu'à midi [Jacques l'Aumône] puis il s'assoit sur un banc et regarde couler le devenir sans faire de réflexions (RAYMOND QUENEAU, Loin de Rueil, 1944, page 154 ). 2. [Du point de vue de la nature du temps considéré] Dans la série de présents tout idéaux qui se réalise dans la représentation du devenir historique, le présent véritable ne saurait se rencontrer nulle part (DICTIONNAIRE DE CULTURE RELIGIEUSE ET CATÉCHISTIQUE (LOUIS E. MARCEL), Journal, 1914, page 82 ). Les idées romantiques sur le devenir cosmique (ALBERT BÉGUIN, L'Âme romantique et le rêve, 1939, page 69 ). 3. [Autres attributs] Catégorie, notion du devenir; les éléments du devenir. Une section discontinue du devenir (DICTIONNAIRE DE CULTURE RELIGIEUSE ET CATÉCHISTIQUE (LOUIS E. MARCEL), Journal, 1914 page 9 ). Le gouvernement de tous par tous reste dans les nuées du devenir (GEORGES BERNANOS, Les Enfants humiliés, 1948, page 62 ). Remarque : 1. On rencontre parfois comme qualificatif un complément prépositionnel de : Un devenir de qualité singulièrement complexe (Octave Hamelin, Essai sur les éléments principaux de la représentation, 1907, page 5). 2. Le syntagme état de devenir se rencontre, malgré l'apparente contradiction des deux termes. La guerre, me disait-il [Saint-Loup] , n'échappe pas aux lois de votre vieil Hégel. Elle est en état de perpétuel devenir (Marcel Proust, Le Temps retrouvé, 1922, page 752). II.— [Comme qualifiant ou déterminant d'une chose ou d'un être humain] A.— [Devenir comme complément rapporté à un sujet ou à un déterminé substantif] 1. [En construction verbale] Avoir un devenir. Parce qu'étant soumis au devenir nous devons en tout commencer par l'imparfait, pour grandir peu à peu jusqu'à l'âge adulte (JACQUES MARITAIN, Primauté du spirituel, 1927, page 212 ). Mitose et bourgeonnement forment deux cas dans lesquels une cellule est l'origine de deux cellules nouvelles susceptibles d'avoir le même devenir (LUCIEN PLANTEFOL, Cours de botanique et de biologie végétale, tome 1, 1931, page 82 ). 2. [En construction préposition] a) [Dans un syntagme verbal] Être en devenir. J'existerais, à mon sens, dans le devenir, l'évolution, la mobilité de l'instant (ALEXANDRE ARNOUX, Visite à Mathusalem. 1961, page 203 ). b) [Dans un syntagme nominal] Phénomène en devenir. Les substances concrètes dont l'univers est fait sont donc de l'être incomplet, inachevé et en devenir (ÉTIENNE GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, 1931, page 148 ). La communauté prolétarienne en devenir (JACQUES MARITAIN. Humanisme intégral, problèmes temporels et spirituels d'une nouvelle chrétienté, 1936, page 274 ). 3. [En construction nominale] : Ø 4. J'ai lu l'ouvrage de M. Martin Lamm [sur Swedenborg] (...) j'y voyais, de chapitre en chapitre, se dessiner l'extraordinaire Roman d'une vie « seconde », — je dis : roman, parce que j'éprouvais naïvement, pendant ma lecture, ce désir intense de la suite, cette soif du devenir, qui ne nous saisit d'ordinaire que dans les productions destinées à nous faire ressentir les délices de l'aventure... PAUL VALÉRY, Variété V, 1944, page 267. B.— [Le devenir en tant que propriété directement attribuée à une entité] 1. [L'entité déterminée est exprimée par un substantif préposition de] a) [Le substantif est un nom de chose matérielle ou spirituelle] Le devenir de l'univers n'est qu'une évolution (ERNEST RENAN, L'Église chrétienne, 1879, page 158 ). Nous ne pouvons manquer de nous demander ce que l'on sait du devenir des spores (LUCIEN PLANTEFOL, Cours de botanique et de biologie végétale, tome 2, 1931, page 606 ). Songer au destin des lettres, c'est songer aussi et surtout au devenir de l'esprit (PAUL VALÉRY, Regards sur le monde actuel, 1931, page 217 ). Remarque : On rencontre le syntagme tautologique (le) devenir de l'évolution (ÉMILE ZOLA, Travail, tome 2, 1901, page 6). b) [Le substantif est un nom de personne] Plus rare. Ou bien est-ce la douloureuse antinomie du péché et de la foi, qui gouverne le devenir de l'homme (JULES VUILLEMIN, Essai sur la signification de la mort, 1949, page 313 ). 2. [L'entité déterminée est exprimée par un adjectif qualificatif-déterminatif autre que possessif] Devenir humain, psychique, terrestre : Ø 5. L'âme (...) n'est que la résultante toujours variable des faits multiples et complexes de la vie. L'âme est le devenir individuel, comme Dieu est le devenir universel. ERNEST RENAN, L'Avenir de la science, 1890, page 181. 3. [L'adjectif est un possessif renvoyant à une chose ou un être] Voir les choses de la littérature, de l'art, de la politique, de la science, de la philosophie, dans leur succession, et, comme disent les Allemands, dans leur devenir (ALBERT THIBAUDET, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, 1936, page 119 ). L'homme croît, mais c'est son être qui se montre dans l'apparence de son devenir : l'homme ad-vient (PAUL RICOEUR, Philosophie de la volonté, 1949, page 405 ). STATISTIQUES : Devenir1, 2 et 3. Fréquence absolue littéraire : 29 464 (devenirs : 5). Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 39 832, b) 43 447; XXe. siècle : a) 41 305, b) 43 194.
