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LANGAGE

Publié le 02/04/2015

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langage

LANGAGE

L'homme parle, c'est-à-dire communique ses pensées à ses semblables, Le langage est une propriété constitutive de l'être-homme, il indique une rationalité (le terme grec logos signifie à la fois « parole « et « raison «), une spiritualité (1), la présence d'une âme, d'une vie intérieure, dans un corps capable de parole (2). C'est que d'emblée nous saisissons tout langage comme signe, et qu'aucun signe n'est naturellement reçu comme la réalité matérielle qu'il est, mais comme la manifestation d'un sens étranger à cette matérialité (3). Si une conception matérialiste peut ne pas voir dans le langage la manifes­tation d'un esprit qui lui est ontologiquement hétérogène, elle ne suffit pas pour qu'on cesse d'y voir la manifestation de l'huma­nité (4).

Le langage semble justifier l'anthropocentrisme, parce qu'il est tradi­tionnellement appréhendé dans son rapport à l'homme conçu comme sujet linguistique ; à l'inverse, toute attribution du langage à des êtres autres que l'homme se fait généralement par anthropo­morphisme (5). Notre rapport au langage et notre conception du langage sont fonctions l'un de l'autre.

Face aux conceptions traditionnelles qu'on vient d'esquisser à grands traits, la lente instauration du langage comme objet de connaissance scientifique signifie probablement l'émergence d'un nouveau rapport. La tâche de la philosophie est alors d'oeuvrer à la déconstruction de la conception traditionnelle, en montrant la valeur épistémologique de l'objectivité linguistique.

1. La théorie classique (6)

Prendre les phénomènes linguistiques comme objet de connaissance n'e3t pas en soi une nouveauté : les gram­mairiens antiques, les logiciens (Aristote par exemple dans l'Herméneutique) l'avaient déjà fait. Mais toute étude des

phénomènes linguistiques n'est pas nécessairement étude du langage en lui-même (la grammaire est traditionnellement la détermination de la correction linguistique, la rhétorique l'étude des effets qu'on peut produire sur l'auditoire, et la logique s'intéresse au langage dans la seule mesure où il est l'expression de la pensée vraie) ; à l'inverse, toute étude du langage en lui-même n'est pas nécessairement une science. C'est au cours des XVIIe et XVIIIe siècles que (sous l'impulsion de la Grammaire générale de Port-Royal, puis de travaux comme ceux de Du Marsais et Beauzée) s'effectue l'unification de l'étude des phénomènes linguistiques et l'ébauche d'une approche du langage en lui-même. Cette théorie revêt une importance particulière par son rôle histo­rique, et parce qu'elle fait encore souvent partie de l'idéo­logie contemporaine ; sa discussion est un point de départ privilégié. On peut la résumer par trois postulats :

1 — Le langage a pour fonction de signifier (ou exprimer) la pensée et d'en permettre la communication.

2 — Le mot (c'est-à-dire un son) est le signe d'une ou plusieurs idées (c'est-à-dire une ou plusieurs parties de la pensée).

3 — Le signe linguistique est . arbitraire, c'est-à-dire non naturel.

Ces postulats permettent de concevoir ce que sont nos langues quotidiennes : un ensemble de sons, signes arbitraires de nos idées.

Le concept d'arbitraire répond à plusieurs déterminations. Il est une solution à la question « pourquoi y a-t-il du langage ? «, résolue dans une théorie de l'origine des langues (7), conventions fondées dans la volonté des sujets individuels (8). Il explicite le double fait que des langues différentes n'utilisent pas les mêmes sons pour désigner les mêmes choses, et que, par conséquent,- il n'y ait aucune liaison naturelle (ex.: la ressemblance) entre les mots et leurs significations. Il permet enfin de comprendre le rapport des propriétés universelles du langage (ex.: la structure de la phrase, les catégories grammaticales), et des propriétés parti­culières à telle ou telle langue (ex. : expression des rapports grammaticaux par des inflexions ou des articles et des prépo­sitions, constitution du vocabulaire, etc.). Le langage acquiert un statut gnoséologique, mais celui-ci est ambigu : un système universel, c.-à-d. rationnel, est supposé présent en chaque langue (objet de la grammaire générale), mais chaque langue représente ce système avec des variations arbitraires (objet d'une grammaire particulière), donc sans raisons explicites.

2.   L'objectivité linguistique

Les postulats de la théorie classique déterminent la possi­bilité pour le langage de correspondre à une visée concep­tuelle unitaire ; elles n'en font pas pour autant un objet de

connaissance, déterminé par la seule activité théorique : il reste en lui l'indéterminé de l'arbitraire. Son existence concrète a été l'objet tout au long du XIXe siècle d'approches historiques et taxinomiques (grammaire comparée), et c'est seulement au seuil de notre siècle qu'elle acquiert l'objectivité scientifique par la constitution du concept de langue.

1 — Le concept de langue et la linguistique structurale

La théorie classique définit la langue comme un ensemble de signes, c'est-à-dire de molécules linguistiques constituées d'un atome de sens (l'idée) et d'un atome matériel (le son).

La signification d'un mot n'est cependant pas un être définis­sable in abstracto. On peut dire que le mot « vide « désigne l'idée de vide ; on en conclut aussitôt que le latin « vacuus « désigne la même idée. Comment expliquer alors que l'expression latine « gladius vagina vacuus « signifiant mot à mot « une épée vide du fourreau « soit une tournure habituelle ? L'expression latine n'est pas une expression figurée ; ne doit-on pas conclure que « vide « et « vacuus « ne désignent pas la même chose ? Qu'est-ce donc que signifie un mot ?

Si l'aspect matériel du mot était un son, on pourrait le définir in abstracto par ses propriétés physiques ; mais je puis bien prononcer le mot « patte « avec un a antérieur ou un a postérieur, il s'agira toujours du même mot ; l'identité de sa matière n'est pas celle d'un son. En quoi consiste-t-elle ?

La linguistique structurale a élaboré une réponse à ces questions. Saussure propose de prendre pour objet d'étude d'une science qu'il nomme « linguistique «, non le langage en général, non la parole (acte particulier de phonation) mais la langue. Celle-ci ne se définit que par rapport à la société. Si on peut dire qu'elle est constituée de molécules, les signes, ceux-ci ne lui préexistent pas ; le signe est une unité indis­soluble composée d'un signifiant (aspect matériel) et d'un signifié (aspect conceptuel), chacun de ces aspects est définis­sable :

a— par rapport à l'autre ;

b — par le rapport qu'il entretient avec les mêmes aspects des autres mots de la langue (9).

Pour la linguistique, la molécule linguistique (le mot) est donc construite à partir de la langue, dans un système d'oppositions qui constitue son véritable objet. Dans l'être concret qu'est le langage, ce qui compte, ce n'est pas sa réalité empirique, ce sont les oppositions, à condition qu'elles soient pertinentes, c'est-à-dire susceptibles de véhiculer de l'information (10). Cette idée a permis de constituer la théorie de l'aspect matériel du langage ou phonologie (11). Chaque phonation correspond à un son, qu'on petit décrire acoustiquement (phonétique acoustique) ou physiologiquement (phonétique physiologique) ; mais ce qui appartient à la langue, ce n'est pas le son qui varie, ce

sont les traits de ce son qui ont pour fonction de distinguer un mot d'un autre. En français, par exemple, on peut changer le sens d'un mot en remplaçant b par u (« va «, « bas «) ; on ne change pas le sens d'un mot en remplaçant le 1 sonore par un 1 sourd : la distinction entre les deux n'est pas pertinente, elle l'est en gallois. Un ensemble de traits pertinents qui se trouvent toujours ensemble dans un acte de phonation est appelé un phonème ; chaque langue possède un système phonologique qui lui est propre.

2 — Le concept formel de langue (12)

Une phrase (par exemple n'importe laquelle de celles écrites sur cette page) est une suite linéaire de traces matérielles ; si on considère un grand ensemble de phrases, on remarque qu'elles sont toutes constituées de traces semblables mais arrangées différemment. Appelons l'ensemble des traces diffé­rentes vocabulaire de base I V I. A partir de I V I, en admettant les répétitions, on peut construire toutes les suites (arbitrairement longues) combinant ces traces entre elles ; elles forment l'ensemble I P I des séquences de I V I. Admettons que I V I corresponde aux éléments d'une langue donnée ; appelons I L I l'ensemble de toutes les phrases dont nous pouvons explicitement reconnaître qu'elles appar­tiennent à cette langue. I L I est nécessairement indu dans P I. L'ensemble I G I des procédures de construction qui permettent de construire exclusivement l'ensemble I L pourrait être considéré comme une grammaire formelle de la langue en question. Cette conception a son origine dans la logique, — construction de systèmes axiomatiques formels (13)— et dans .la théorie des automates (14). Elle conduisit Chomsky a construire la théorie algébrique de certains langages, et à mathématiser les recherches linguis­tiques en formant le projet de construire des grammaires formelles susceptibles d'engendrer toutes les phrases d'une langue naturelle donnée.

3 — Fonctions du langage et signification

La théorie classique réduit la fonction du langage à indiquer des idées et à les communiquer ; pour la pensée, il est un simple instrument (15). A proprement parler, la commu­nication ne peut suffire à définir le rôle du langage. Le langage peut être en lui-même un acte : lorsque je dis « soyez maudit « (16), je ne communique pas ce que je pense, je vous maudis. Donner un ordre aussi est un acte qui ne vise pas à communiquer quelque chose, mais à agir sur le comportement d'autrui. On parle toujours une langue déter­minée ; il en résulte que le choix des énoncés possibles est restreint ; si ceux-ci étaient simplement l'image de la pensée, on ne comprendrait pas pourquoi, en prononçant une phrase, il arrive que celle-ci en présuppose une autre (« ce ,n'est pas avec sa soeur que Pierre est venu « présuppose « Pierre est venu avec quelqu'un «) (17). Les individus qui parlent une langue ne possédant pas tous les noms de couleur de la

langue française, ont tendance à confondre ces couleurs ; le langage a une fonction constitutive dans la perception et la reconnaissance des objets (18). La signification linguistique n'est pas .quelque chose de subjectif, elle réside dans le langage lui-même et dans ses possibilités d'emploi. Le langage a une fonction expressive : il signifie (il informe sur) l'état du locuteur ; une fonction conative : il se réfère à un locuteur (cf. l'impératif) ; il a une fonction référentielle : il

indique des faits, désigne des choses (19) ; il a une fonction phatique : certains messages servent uniquement à s'assurer

qu'il y a communication (allô !) ; il y a une fonction

poétique, c'est-à-dire de mise en évidence du caractère propre à l'aspect linguistique du message (allitération), il a enfin une fonction métalinguistique : il peut se signifier lui-même, servir à indiquer son propre mode d'emploi-cf. les

définitions-(20).

La thématisation scientifique des phénomènes linguis­tiques ne correspond pas à l'élaboration d'un seul type d'objectivité ; les approches sont multiples et déconcertantes.

On peut néanmoins les caractériser globalement par

1 - l'abandon du rôle privilégié que jouait le sujet dans la théorie classique ; il n'est plus un fondement du langage, il a sa place dans le langage,

2 - l'idée que le langage est une réalité subsistant en elle-même, ayant des lois définissables quant à son emploi et son évolution, qui se peuvent étudier objectivement, à condition d'observer les phénomènes ;

3 - le dépassement de la perspective des langues naturelles humaines ; il s'agit de définir le langage en général, puis de

distinguer les problèmes des langues quotidiennes (21) ;

4 - la fin de l'anthropomorphisme : K. von Frisch a montré que les abeilles disposaient d'un système de commu­nications ; on peut à la fois accorder à celui-ci le nom de langage, et le différencier de nos langues quotidiennes, parce qu'il n'en possède pas toutes les caractéristiques (il ne permet pas la fonction dialogique, n'est pas doublement articulé (22), etc.).

La pluralité d'approches des phénomènes linguistiques paraît parfois appeler l'unité d'une science future qui les regrou‑

perait toutes ; Saussure pensait que la linguistique (théorie de la langue) faisait partie d'une science plus générale, la sémio‑

logie : elle n'est pas constituée, et rien n'indique qu'elle

doive l'être un jour. La diversité même des saisies du langage fait signe vers un fait : nous sommes de toutes parts enserrés

dans le langage, et la plupart des problèmes philosophiques revêtent un aspect linguistique(23 I.

1.Qui en tant que telle est transcendance. Cf. Evangile de Saint-Jean 1, 1-2 : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. «. « Verbe « est la simple transcription du latin « verbum «, traduction de « logos «.

2.Voir autrui.

3.« Le signe est une certaine intuition immédiate, représentant un tout autre conter que celui qu'elle détient pour soi «

(Hegel, Encyclopédie,              458).

4. « Le langage est aussi vieux que la conscience, le langage est la conscience réelle, pratique, existant pour d'autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi et, tout comme la conscience, le langage n'apparait qu'avec le besoin, la nécessité du commerce avec d'autres hommes «. Marx, Engels, L'Idéologie allemande.

5. Quand nous disons qu'un chien nous « parle «, nous supposons simplement que des mimiques où nous lisons une ressemblance avec les mimiques humaines, sont le signe d'un sentiment semblable à celui que ces dernières expriment. L'abbé Bougeant dans son Amusement philosophique sur le langage des hétes, 1739, a érigé cette trivialité en théorie.

6 . Voir S. Auroux La Sémiotique des Encyclopédistes, Payot, 1979.

7.11 y a une pétition de principe à supposer que les hommes ont créé par convention le langage ; Platon (Cratyle) faisait remarquer que pour décider du sens d'un mot, il faut déjà parler, et Rousseau précisera quel'institution par convention du langage suppose la société, laquelle suppose le langage.

8. La liaison du langage au sujet est privilégiée par le fait qu'on conçoive que le mot signifie l'idée qui est dans l'esprit du locuteur ; la langue dépend du sujet : Locke affirmait que chacun est libre de faire signifier aux mots qu'il emploie les idées qu'il veut.

9. Par exemple, « le signifié « de « mouton « se définit par rapport aux signifiés de « brebis «, « chèvre «, « vache «, etc. ; les rapports sont essentiels : le signifié de « mouton « n'est pas le même que le signifié de « mutton «, parce qu'en anglais existe le mot « Sheep «. L'ensemble des relations qu'un mot soutient avec les autres détermine ce que Saussure nomme sa valeur : la valeur linguistique est la formulation scientifique du concept d'arbi­traire. Par là est exclue la problématique de l'origine des langues : un signe appartient toujours à un univers linguistique, et si on voulait désigner le passage du non-signifiant au signifiant, il faudrait dire comme le remarque Lévi-Strauss que c'est l'univers complet qui devient d'un seul coup signifiant.

10.  Voir communication.

I I. Cf. Les Principes de Phonologie, 1969, de N. S. Troubetikoy

(1890-1938).

12.  Quoiqu'il lui soit historiquement et théoriquement lie, il ne faut pas confondre le concept avec celui de « langue formelle « ; une langue formelle est une langue artificielle construite formel­lement, c'est-à-dire selon le concept formel de langue, et généra­lement telle qu'on puisse obtenir ses phrases sans se préoccuper de leur sens. Le concept formel de langue explicite en quoi consiste le caractère formel des langues ; il désigne au moins la classe des langues formelles, mais si on pouvait montrer que leur aspect formel suffit à décrire les langues naturelles, il consti­tuerait le concept général de langue.

13.  On trouvera à ontologie l'esquisse d'un langage logique.

14.  Voir machine.

15.  Traditionnellement, le rapport du langage à la pensée est abordé par le seul problème des universaux (voir nominalisme«). C'est Condillac qui commence à envisager autrement la question.

16.  Le philosophe anglais Austin (Quand dire c'est faire, 1962) nomme de tels énoncés qui décrivent une action présente de l'auditeur et dont l'énonciation accomplit cette action, perfor­matifs.

17.  Cf. O. Duerot, Dire et ne pas dire, Paris, 1972.

18.  D'où l'hypothèse dite de Sapir-Whorf : 1 — Le langage est un produit social et le système linguistique que nous avons acquis influence notre manière de voir le monde. 2 — En raison des différences entre les systèmes linguistiques, les hommes perçoivent différemment le monde.

19.  Voir à l'article Russell la théorie des descriptions, et à l'article Frege la distinction sens/référence.

20.  Cette description des fonctions linguistiques est empruntée aux Essais de linguistique générale de R. Jakobson, 1963.

21.  Carnap définit la langue naturelle comme celle dans laquelle toutes les autres sont traductibles ; A. Martinet (s'inspirant de Hjelmslev) définit le langage humain ordinaire par sa double articulation : on peut diviser tout énoncé en plus petites unités douées de sens (première articulation), et ceux-ci en unités non douées de sens, les phonemes (seconde articulation). Cf. l.a Linguistique synchronique, 1965.

22.  Cf. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale.

 

23.  Voir Wittgenstein, philosophie analytique.

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