Mitscherlich (Alexander).
Publié le 07/04/2015
Extrait du document
Médecin et psychanalyste allemand (Munich 1908 - Francfort-sur-le-Main 1982).
Il est le fondateur de la première clinique allemande de médecine psychosomatique, à Heidelberg, en 1949, et de l'Institut S. Freud de Francfort (1960). Son intérêt se porte avant tout sur la corrélation qui lie le développement psychique de l'individu au système politique et social; c'est dans cette perspective qu'il a étudié le nazisme et l'urbanisme. Il a publié Freiheit und Unfreiheit in der Krankheit; das Bild des Menschen in der Psychotherapie (1946), Vers la société sans pères. Essai de psychologie sociale (1963), le Deuil impossible (1967).
moi n.m. (angl. Ego; allem. Ich). Selon S. Freud, siège de la conscience et aussi lieu de manifestations inconscientes; le moi, élaboré par Freud lors de sa deuxième topique (le moi, le ça et le surmoi), est une différenciation du ça; il est l'instance du registre imaginaire par excellence, donc des identifications et du narcissisme.
Parler du moi dans la théorie freudienne équivaut à retracer l'histoire de la technique psychanalytique avec ses hésitations, ses impasses, ses découvertes. Avant 1920, il semblerait que l'interprétation telle que la pratique Freud avec les hystériques donne des résultats satisfaisants.
Pour tenter d'expliquer les phénomènes psychiques, Freud élabore alors
ce qu'il a appelé la première topique: l'inconscient, le préconscient, le conscient avec les deux principes qui régissent la vie psychique, le principe de plaisir et le principe de réalité, mais ce découpage va s'avérer inopérant pour expliquer le phénomène que Freud découvre à propos des névroses traumatiques: la compulsion de répétition, qu'il aborde dans Au-delà du principe de plaisir (1920). C'est un texte charnière après lequel il élaborera sa deuxième topique : le ça, le moi et le surmoi, qu'il appellera aussi idéal du moi.
Ce nouveau découpage ne recouvre pas le premier : le moi englobe le conscient et le préconscient, et Freud décrira le moi comme en partie inconscient. Freud est là bien loin de la théorie classique du moi des philosophes car, si l'homme a toujours désiré être sujet de la connaissance et lieu de la totalisation d'un savoir, la découverte freudienne va battre en brèche toutes certitudes, découvrant avec l'inconscient le paradoxe d'un sujet constitué de ce qu'il ne peut pas savoir et dans une littérale excentration par rapport à son moi.
GENÈSE DU MOI
Freud décrit le moi comme une partie du ça qui se serait différenciée sous l'influence du monde extérieur. Quels sont les mécanismes en jeu?
Dans le ça règne le principe de plaisir. Or, l'être humain est un animal sociable et, s'il veut vivre avec ses congénères, il ne peut s'installer dans cette sorte de nirvana qu'est le principe de plaisir, point de moindre tension, comme il lui est impossible de laisser s'exprimer les pulsions à l'état pur. En effet, le monde extérieur impose au petit enfant des interdits qui provoquent le refoulement et la transformation des pulsions pour la recherche d'une satisfaction substitutive qui provoquera, à son tour, un sentiment de déplaisir dans le moi. Le principe de
réalité a relayé le principe de plaisir. Le moi se présente comme une sorte de tampon entre les conflits et clivages de l'appareil psychique, de même qu'il essaie de jouer le rôle d'une sorte de pare-excitation face aux agressions du monde extérieur.
Depuis J. Lacan, on peut ajouter que l'enfant baigne dans un monde de langage qui véhicule des interdits et que c'est seulement parce que l'être humain est un être parlant que s'instaure le refoulement et par là même la division du sujet. La barre qui vient ainsi le frapper lui interdit l'accès à la vérité de son désir.
DESCRIPTION DE L'APPAREIL PSYCHIQUE, OU TOPOLOGIE FREUDIENNE
Freud écrit dans son article le Moi et le ça (1923): «Un individu donc est selon nous un ça psychique inconnu et inconscient, à la surface duquel est posé le moi qui s'est développé à partir du système préconscient comme de son noyau [...]; le moi n'enveloppe pas complètement le ça mais seulement dans les limites où le préconscient constitue sa surface, donc à peu près comme le disque germinatif est posé sur l'oeuf. Le moi n'est pas nettement séparé du ça, il fusionne avec lui dans sa partie inférieure.«
Freud ajoute que le moi porte une «calotte acoustique «, donc l'importance des mots réside non pas simplement au niveau d'une signification, mais au niveau des «restes mnésiques du mot entendu «. On trouve là, en germe, ce que la linguistique développera plus tard avec le rapport signifié-signifiant que Lacan appliquera à la psychanalyse.
Freud insiste sur un autre aspect essentiel du moi: le moi est avant tout un moi-corps : «Il peut être considéré comme une projection mentale de la surface du corps et représente la surface de l'appareil mental.«
Il est intéressant de noter que le seul accès que l'homme ait à son corps
passe par le moi. Cette assertion s'avérera particulièrement pertinente lorsque seront développés avec Lacan les aspects de mirage et de duperie du moi. Cela pourrait expliquer le peu d'accès à la réalité de son corps que l'humain manifeste. Il est toujours étonnant d'entendre quelqu'un parler de la manière dont «il se voit«.
QUELLES SONT LES FONCTIONS DU MOI?
Le moi est décrit par Freud comme une instance mouvante en perpétuelle réé-laboration, mais il le décrit aussi passif et agi par des forces impossibles à maîtriser, se faisant le dupe du ça.
Les fonctions du moi sont multiples :
L'IDENTIFICATION ET LE MOI
L'identification est un mécanisme qui tend à rendre le moi propre semblable à
l'autre pris comme modèle. «Le moi copie «, écrit Freud dans son article l'Identification. Lacan, avec le stade du miroir (Écrits, 1966), montre que c'est par une identification que le petit enfant anticipe imaginairement la forme totale de son corps, mettant ainsi en place la première ébauche du moi, souche des identifications secondaires. Mais, dans ce temps essentiel, il faut souligner que l'enfant est porté par une mère dont le regard le regarde. C'est là tout le champ de la narcissisa-tion comme fondatrice de l'image du corps de l'enfant et de son statut narcissique à partir de ce qui est d'abord amour de la mère et ordre du regard porté sur l'enfant. Mais, en même temps, si l'enfant reconnaît son image dans le miroir, c'est d'abord comme un autre qu'il se voit et s'appréhende. «Le moi c'est l'autre.« Le phénomène du transitivisme en est l'illustration.
Parallèlement à la reconnaissance de soi dans le miroir, on observe chez le tout-petit mis en présence d'un autre enfant, proche en âge, un comportement particulier: il l'observe curieusement, l'imite, tente de le séduire ou l'agresse. C'est l'enfant qui voit tomber l'autre qui pleure, celui qui bat dit être battu, et plutôt qu'un mensonge d'enfant on reconnaît ici le moi, instance de l'imaginaire au sens de l'image, le moi de la relation duelle, de la confusion entre soi et l'autre; car c'est dans l'autre que le sujet se vit tout d'abord et se repère.
On peut donc dire que le moi c'est l'image du miroir en sa structure inversée. Le sujet se confond avec cette image qui le « forme « et l'aliène pri-mordialement.
Le moi gardera de cette origine le goût pour le spectacle, la séduction, la parade, mais aussi pour les pulsions sadomasochistes et scoptophiliques (ou voyeuristes), destructrices de l'autre dans son essence : «C'est moi ou l'autre. « C'est l'agressivité constitutive
de l'être humain qui doit gagner sa place sur l'autre et s'imposer à lui sous peine d'être lui-même anéanti.
Lacan comme Freud mettra l'accent sur la multiplicité des identifications et donc des moi. Le moi est fait de la série des identifications qui ont représenté pour le sujet un repère essentiel à chaque moment historique de sa vie. Mais Lacan insistera davantage sur l'aspect de leurre, de semblant, d'illusion que revêt le moi dans une « ex-centri-cité « radicale par rapport au sujet, comparant le moi à une superposition des différents manteaux empruntés à ce qu'il appelle «le bric-à-brac de son magasin d'accessoires «.
Alors, dans cette perspective, qu'en est-il de la conscience ? L'homme peut dire : «Je suis celui qui sais que je suis«, mais il ne sait pas qui est « je «. La conscience chez l'homme est une sorte de tension entre le moi aliéné du sujet et une perception qui fondamentalement lui échappe. Toute perception se faisant par le filtre du fantasme, toute perception objective est impossible.
LE MOI ET L'OBJET
La mise en place de l'objet est dépendante du moi, il en est le corrélat. La libido narcissique qui séjourne dans le moi s'étend vers l'objet, de même que le moi peut se prendre lui-même comme objet. Le caractère du moi résulte de la sédimentation des investissements d'objets abandonnés qui s'inscrivent dans l'histoire de ses choix d'objet. Dans le cas de la mélancolie, il y a introjection de l'objet perdu. Les amers reproches que le mélancolique s'adresse concernent en réalité l'objet qui a pris la place d'une partie du moi. Ainsi, le moi est partagé, coupé en deux, l'une des parties se déchaînant contre l'autre.
Mais ce sentiment de duplicité du moi n'est pas toujours pathologique ; on peut reconnaître là à l'oeuvre l'instance différenciée du moi: le surmoi. Dans le quotidien, il se manifeste par
l'auto-observation, la conscience morale, la censure onirique et participe au refoulement. Il donne ainsi le sentiment d'être surveillé par une part de soi-même, ce qui donne le caractère paranoïde du moi. Dans l'identification, quand le moi adopte les traits de l'objet, il s'impose pour ainsi dire au ça comme objet d'amour. On peut donc dire que le moi s'enrichit des qualités de l'objet, alors que dans l'état amoureux le moi s'est appauvri. Tout se passe comme si la libido narcissique s'était vidée dans l'objet.
Le choix d'objet est toujours un choix d'objet narcissique, on aime celui qu'on voudrait être, mais Lacan, relisant Freud, amène un élément supplémentaire: sur le plan imaginaire, l'objet ne se présente jamais à l'homme que comme un mirage insaisissable. Toute relation objectale ne peut donc qu'être frappée d'une incertitude fondamentale.
LE MOI ET LE RÊVE
Une des émergences du moi dans le rêve est bien ce besoin manifeste de dormir, ou plutôt de ne pas se réveiller! Mais on pourrait dire que, dans la vie diurne aussi, il n'est pas question de se réveiller et qu'il s'agit bien de cela dans le «je n'en veux rien savoir« que tout un chacun affiche, se contentant de croire que sa vérité est là, dans l'instance vigile qu'est le moi.
D'ailleurs, dans le rêve, toute tentative d'expression du sujet de l'inconscient est savamment travestie. C'est peut-être à ce niveau que le jeu de cache-cache avec le moi est le plus fort.
C'est aussi au niveau du moi qu'apparaît la fonction de la rêverie. Elle est la satisfaction imaginaire, illusoire du désir, c'est d'ailleurs par ce biais que l'on peut repérer qu'il existe une activité fantasmatique inconsciente.
LE MOI ET L'INSTINCT DE MORT
C'est avec la compulsion de répétition que Freud entrevoit qu'au-delà du
«principe de plaisir« existe ce qu'il appelle l'instinct de mort. Dans un premier temps, il fait une distinction tranchée entre pulsions du moi - pulsions de mort et pulsions sexuelles-pulsions de vie pour en arriver ensuite à l'opposition pulsions de vie-pulsions de mort. Le moi est lié à la béance primitive du sujet comme le montre le stade du miroir et en cela il est le plus proche de la mort comme d'ailleurs l'évoque le mythe de Narcisse. Dans l'exemple de la névrose obsessionnelle, on peut repérer l'incidence mortelle du moi portée à son point extrême; on peut dire avec Lacan que «le moi est un autre «; l'obsédé, lui, justement, est toujours un autre. Quoi qu'il dise, c'est toujours en faisant parler quelqu'un d'autre qu'il s'exprime. Lacan, dans le Séminaire II, «le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse« (1954-55), écrit: «C'est dans la mesure où il évite son propre désir que tout désir dans lequel fût-ce qu'apparemment il s'engage il le présentera comme le désir de cet autre
lui-même qui est son moi Il faut lui faire comprendre quelle est la fonction de ce rapport mortel qu'il entretient avec lui-même et qui fait que dès qu'un sentiment est le sien il commence par l'annuler. «
L'étude du moi a occupé une place centrale dans le travail de recherche que les successeurs de Freud ont pu accomplir. L'égopsychologie ira jusqu'à confondre le sujet et le moi, le travail analytique portant essentiellement sur l'analyse du moi et visant à une identification au «moi fort« de l'analyste, redoublant ainsi le leurre, la méconnaissance du désir et ne visant que l'adaptation. Or, Lacan répond en une seule phrase : «L'intuition du moi garde en tant qu'elle est centrée sur une expérience de conscience un caractère captivant dont il faut se déprendre pour accéder à notre conception du sujet. J'essaie de vous écarter de son attrac
tion afin de vous permettre de saisir enfin où, pour Freud, est la réalité du sujet. Dans l'inconscient exclu du système du moi, le sujet parle.« (J. Lacan, Séminaire, livre II.) L'analyste n'a donc pas d'autre outil de travail que le langage, et sa visée ne peut être que le discours inconscient du sujet, discours qui court dans les dessous du discours courant conscient.
Liens utiles
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