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si nous avions été au beau milieu d'une conversation, et pas certain de savoir si le « là-bas » signifiait Pologne orientale ou Holocauste.

Publié le 06/01/2014

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pologne
si nous avions été au beau milieu d'une conversation, et pas certain de savoir si le « là-bas » signifiait Pologne orientale ou Holocauste. Oui, ai-je répondu, ils vivaient à Bolechow. J'ai dit BUH-leh-khuhv. Cette Mme Begley avait un visage long, intelligent, avec un front haut et dégagé, le genre de visage qu'une personne d'une autre génération et d'un autre pays aurait décrit comme le visage d'une Rebecca, le visage d'une belle Juive mélancolique. Couronné par une coiffe de cheveux blancs immaculés, il était dominé par un regard insistant, narquois et furtif à la fois, qui n'était en rien affaibli par le fait qu'il n'émanait que d'un oeil ; l'autre était opaque, avec la paupière légèrement baissée, et je n'ai jamais demandé pourquoi. Ce regard soutenait le vôtre et ne le lâchait pas pendant les conversations, un regard que je trouvais déroutant, même après que je l'ai mieux connue, surtout parce qu'on aurait dit que l'oeil vigilant, lointain, évaluant, ne réagissait pas tant à la conversation en cours qu'à une conversation souterraine, une conversation sur ce qui lui était arrivé et ce qu'elle avait perdu, une perte si grande qu'elle savait que vous ne pourriez jamais comprendre, même si elle était parfois disposée à m'en parler. Le soir où j'ai fait sa connaissance, elle était assise là, élégante dans un costume à pantalon en velours noir, la main serrée sur le pommeau d'une canne, penchée vers moi, en partie pour suggérer qu'elle était intéressée et en partie à cause du bruit phénoménal, et lorsque je lui ai dit que ma famille était de Bolechow -  BUH-leh-khuhv -  son bon oeil a cligné, amusé, et elle a souri pour la première fois. Quoi, BUH-leh-khidw ? a-t-elle dit sur un ton dédaigneux. Le premier mot avait sonné comme un couaaaa. Elle a secoué la tête et j'ai rougi comme l'adolescent que j'étais quand j'ai commencé à devenir obsédé par ce lieu. L'air revêche, elle dit, Vous devez prononcer Buh-LEHkhouf. C'est une ville polonaise. Vous l'avez prononcé comme si c'était du yiddish ! Je me suis senti gêné et sur la défensive, ayant soudain humé une bouffée des distinctions de classe et de culture depuis longtemps disparues, qui n'ont plus aucune importance pour personne, nulle part : la condescendance, peut-être, que les Juifs laïques, urbains, assimilés, d'une certaine époque et d'un certain endroit, les Juifs qui avaient grandi dans une Pologne libre et qui parlaient polonais à la maison, affichaient à l'égard des Juifs des shtetls ruraux, des Juifs comme mon grand-père, qui, âgé d'à peine dix ans de plus que cette Mme Begley, avait grandi dans un monde complètement différent, autrichien et non polonais, parlait yiddish à la maison, considérait comme un petit événement le fait d'aller dans une ville aussi modeste que Stryj. En tout cas, à cause de cela, à cause de la façon dont j'avais prononcé ou mal prononcé Bolechow, mon fantasme secret s'était soudain réduit en cendres dans ma bouche. Ce qui explique pourquoi, lorsque Mme Begley m'avait demandé le nom de mes parents, après avoir corrigé ma prononciation, après que j'ai répondu Jäger et qu'elle a secoué la tête en me disant qu'elle n'avait jamais entendu ce nom, j'ai été incapable de mentionner le studio de photographie de la famille Schneelicht, les beaux-parents de mon grand-oncle qui avaient vécu dans sa ville à elle, Stryj, où peut-être il y avait eu autrefois une petite chance qu'ils se rencontrassent, elle et eux. Une chance qui, pour moi, aurait un moyen de lier le passé lointain, dans lequel mes parents paraissaient désespérément et irrémédiablement gelés, au présent limpide où se déroulait cette rencontre, ce moment transparent qui, comme quiconque aurait pu le voir clairement, contenait cette vieille femme aux cheveux blancs appuyée sur une canne et moi, qui contenait le bruit et la réception, et une soirée ordinaire d'automne dans une ville en paix.     En dépit de certaines erreurs occasionnelles, j'avais toutefois appris, au cours de toutes ces années passées à envoyer des lettres, des demandes, à faire des interviews et des recherches sur Internet, beaucoup de choses sur Bolechow qui n'étaient pas fausses. Par exemple : Ils y étaient depuis qu'il y avait un Bolechow! Combien de temps ça représentait exactement ? Il est possible de le savoir au jour près ou presque. Si vous êtes un Juif américain d'une certaine génération, la génération qui, comme la mienne, avait des grands-parents immigrants au début du XXesiècle, vous avez probablement grandi en entendant des histoires sur le « pays », sur les petites villes ou les shtetls dont venaient votre grandpa, votre grandma, ou votre nana ou votre bubby ou votre zeyde, le genre de petite ville célébrée par des auteurs comme Isaac Bashevis Singer et dans Le Violon sur le toit, le genre d'endroit qui n'existe plus. Et vous pensiez probablement, comme je l'ai pensé pendant longtemps, que c'était des endroits modestes, tous pareils plus ou moins, avec peut-être trois ou quatre mille habitants, avec un alignement de maisons en bois autour d'une place, des endroits auxquels nous sommes maintenant prêts à attribuer un charme sépia, sans doute parce que si nous pensions aux parties de ping-pong, au volley-ball, au ski, aux films et au camping, il serait encore plus difficile de penser à ce qui est arrivé à leurs habitants, puisqu'ils paraîtraient moins différents de nous. Le genre d'endroit si ordinaire que peu de gens auraient jugé qu'il valait la peine qu'on écrivît à son sujet, jusqu'à ce que cet endroit et tous les autres comme lui fussent sur le point d'être effacés, leur caractère parfaitement ordinaire paraissant, à ce moment-là, digne d'être préservé. C'est en tout cas ce que je pensais de Bolechow. Et puis, un jour qui n'est pas si lointain, mon frère aîné, Andrew, m'a envoyé, en guise de cadeau pour Hannoukah, un volume très rare, publié par Oxford University Press en 1922, intitulé The Memoirs of Ber of Bolechow (je dis « cadeau » pour Hannoukah, mais en l'écrivant je me rends compte que les mots ne sont pas vrais et certainement pas aussi près de la vérité que mon grand-père l'aurait aimé : comme mes deux belles-soeurs ne sont pas juives et que mes neveux et nièces reçoivent une sorte d'éducation religieuse éclectique aujourd'hui très répandue, le cadeau que j'ai reçu était une chose à laquelle j'ai pensé sans aucun doute à ce moment-là comme un cadeau pour « les fêtes » ; non : permettez-moi d'être vraiment honnête ; je suis sûr d'avoir pensé simplement que c'était un « cadeau de Noël ». Le fait est que, chez moi, quand nous étions petits, nous ne fêtions pas magnifiquement Hannoukah. Ce dont je me souviens pour l'essentiel, c'est que ma mère, en dépit de l'érosion provoquée par le dédain de la religion chez mon père, tenait à son éducation orthodoxe et mettait une serviette ou un napperon sur la tête dans notre cuisine, le premier soir de Hannoukah, et au moment où les enfants se rassemblaient autour de la table un peu embarrassés, elle chantait en hébreu la bénédiction, à moitié oubliée, au-dessus des bougies. Quand sa mémoire lui faisait défaut pour certains mots, elle enchaînait, sans la moindre gêne, en yiddish : Yaidel-daidel-daidel-dai, disait-elle. La menorah en cuivre qu'elle utilisait était minuscule, simple et démodée, et elle avait appartenu à sa mère ; à un moment donné, son père nous en a donné une plus imposante, avec des lions de Judah qui rampaient soutenant la bougie centrale. C'était après que la plupart d'entre nous étions partis pour l'université et j'imagine donc que c'était une époque où ma mère observait le rituel annuel, toute seule devant cet objet imposant. Même si, lorsque mon grand-père était encore en vie, elle l'appelait, je m'en souviens, en Floride à l'instant où elle s'apprêtait à allumer les bougies, et chantait la bénédiction pour lui au téléphone, de sorte quelle n'était pas vraiment seule après tout... Mais pour nous, comme je le disais, ce n'était pas vraiment une grande fête, et la distribution des cadeaux a disparu après notre petite enfance. J'ai donc été surpris et impressionné lorsque mon frère aîné a recommencé à envoyer des cadeaux soigneusement choisis à chacun de nous, il y a quelques années). The Memoirs of Ber of Bolechow est la première traduction en anglais d'un manuscrit de quatre-vingt-dix feuillets environ, couverts d'une belle écriture cursive en hébreu, typique des Juifs éduqués du XVIIIesiècle, écrit au tournant du XIXe4 par un Juif polonais du nom de Ber Birkenthal, habitant de Bolechow. Ber Birkenthal, qui a vécu de 1723 à 1805, période tumultueuse de l'histoire de la Pologne et, comme le montrent ses Mémoires, de Bolechow, était un homme remarquable - un sage d'une grande réputation dont la tombe, au cimetière de Bolechow, allait devenir un site de pélerinages. Ber était le fils d'un marchand de vin aux idées avancées et à l'esprit ouvert qui avait encouragé, dès le plus jeune âge, l'appétit intellectuel de son fils précoce - lui permettant même d'étudier le grec et le latin avec les prêtres catholiques du coin, chose inouïe qui devait par la suite déclencher, brièvement, des soupçons sur l'allégeance à sa propre religion. L'enfant précoce devint un adulte précoce : marchand de vin prospère, mais aussi érudit profond et éclectique, capable de lire le polonais avec autant de facilité que l'allemand et l'italien, l'hébreu, le grec et le latin, de se plonger aussi joyeusement dans la lecture du grand livre italien d'histoire universelle, les Relazioni universali, publié pour la première fois entre 1595 et 1598 (qu'il commença à traduire en hébreu), que dans les arcanes des textes de la Cabbale qui le fascinaient, tels que le Hemdat Yamin de Nathan Ghazzati, le soi-disant prophète du faux messie Sabbataï Tsevi ; Ber de Bolechow était par conséquent un homme qui personnifiait les énergies libérales, universalistes qui ont contribué à la création de la Haskalah, le grand mouvement des Lumières juives, au cours du XVIIIe siècle, mouvement qui s'est épanoui à l'époque du philosophe Moïse Mendelssohn, le grand-père du compositeur. L'éditeur, au XXesiècle, des Mémoires de Ber Birkenthal, un certain Vishnitzer, nous apprend que la ville de Bolechow, où est né Ber, est située dans la partie orientale de la province connue sous le nom de Galicie, qui s'étend de Cracovie, à l'ouest, jusqu'à Lemberg (L'viv aujourd'hui), à l'est. Cette partie de la Galicie est très proche des montagnes des Carpates, qui constituent une formidable barrière naturelle face à la Hongrie qui s'étend au sud (cette barrière peut être franchie, toutefois, comme je l'ai appris de la bouche d'une vieille femme qui, jeune fille en 1943, a traversé toutes les Carpates à pied, de Bolechow à la Hongrie, où les Juifs du coin, qui n'avaient pas encore vu la guerre, ont eu du mal à croire les raisons de la fuite désespérée de cette jeune fille). La terre de la province de Galicie sur laquelle a été fondée la ville de Bolechow avait appartenu à un noble polonais, Nicolas Giedsinski ; en 1612, Giedsinski avait posé les fondations de la ville et lui avait accordé une charte. Dans cette charte, le seigneur polonais avait établi les lois destinées aux trois communautés qui coexistaient là : les Juifs, les Polonais et (comme le dit la charte) les « Ruthènes », qui est le nom qu'on donnait autrefois aux Ukrainiens. Vishnitzer souligne que les Juifs s'étaient installés dans cette région avant qu'une véritable ville y naisse, mais une communauté stable s'est développée seulement après 1612, quand la charte accordée par Giedsinski a donné des libertés et des droits égaux aux Juifs. Vishnitzer poursuit en décrivant les rares privilèges dont jouissaient les Juifs de Bolechow au moment de sa fondation, il y a près de quatre cents ans. Ils étaient autorisés, écrit-il, à acquérir des terres dans le centre de la ville et à y construire des maisons (Elle était exactement là, sur la Ringplatz, me disait mon grand-père quand j'étais petit, quand il faisait référence à la boutique familiale : sur la place principale). Les Juifs de la ville s'étaient vu concéder un emplacement pour la construction d'une synagogue et, de l'autre côté de la petite rivière qui traversait la ville, un terrain à utiliser comme cimetière. Si vous y allez aujourd'hui, une des premières choses que vous voyez, en sautant par-dessus un petit ruisseau pour accéder au terrain du cimetière, c'est une grande pierre tombale au dos de laquelle est écrit le nom de jäger.
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« En dépit decertaines erreursoccasionnelles, j'avaistoutefois appris,aucours detoutes ces années passées àenvoyer deslettres, desdemandes, àfaire desinterviews etdes recherches sur Internet, beaucoup dechoses surBolechow quin'étaient pasfausses.

Parexemple : Ils y étaient depuisqu'ilyavait unBolechow! Combien detemps çareprésentait exactement?Il est possible delesavoir aujour près oupresque. Si vous êtesunJuif américain d'unecertaine génération, lagénération qui,comme lamienne, avait desgrands-parents immigrantsaudébut duXXe siècle, vousavezprobablement grandien entendant deshistoires surle« pays », surlespetites villesoules shtetls dont venaient votre grandpa, votregrandma, ouvotre nanaouvotre bubby ou votre zeyde, le genre depetite ville célébrée pardes auteurs commeIsaacBashevis Singeretdans Le Violon surletoit, le genre d'endroit quin'existe plus.Etvous pensiez probablement, commejel'ai pensé pendant longtemps, quec'était desendroits modestes, touspareils plusoumoins, avecpeut-être trois ou quatre millehabitants, avecunalignement demaisons enbois autour d'uneplace, des endroits auxquels noussommes maintenant prêtsàattribuer uncharme sépia,sansdoute parce quesinous pensions auxparties deping-pong, auvolley-ball, auski, aux films etau camping, ilserait encore plusdifficile depenser àce qui estarrivé àleurs habitants, puisqu'ils paraîtraient moinsdifférents denous.

Legenre d'endroit siordinaire quepeu degens auraient jugé qu'ilvalait lapeine qu'on écrivît àson sujet, jusqu'à ceque cetendroit ettous lesautres comme luifussent surlepoint d'être effacés, leurcaractère parfaitement ordinaireparaissant, à ce moment-là, digned'être préservé. C'est entout casceque jepensais deBolechow.

Etpuis, unjour quin'est passilointain, mon frère aîné,Andrew, m'aenvoyé, enguise decadeau pour Hannoukah, un volume trèsrare, publié parOxford University Pressen1922, intitulé The Memoirs ofBer ofBolechow (je dis « cadeau » pour Hannoukah, mais enl'écrivant jeme rends compte quelesmots nesont pas vrais etcertainement pasaussi prèsdelavérité quemon grand-père l'auraitaimé:comme mes deux belles-sœurs nesont pasjuives etque mes neveux etnièces reçoivent unesorte d'éducation religieuseéclectique aujourd'hui trèsrépandue, lecadeau quej'aireçu était une chose àlaquelle j'aipensé sansaucun douteàce moment-là commeuncadeau pour« les fêtes » ;non :permettez-moi d'êtrevraiment honnête;je suis sûrd'avoir pensésimplement que c'était un« cadeau deNoël ».

Lefait estque, chez moi,quand nousétions petits, nousne fêtions pasmagnifiquement Hannoukah.

Ce dont jeme souviens pourl'essentiel, c'estquema mère, endépit del'érosion provoquée parledédain delareligion chezmon père, tenait àson éducation orthodoxe etmettait uneserviette ouunnapperon surlatête dans notre cuisine, le premier soirde Hannoukah, et au moment oùles enfants serassemblaient autourdelatable un peu embarrassés, ellechantait enhébreu labénédiction, àmoitié oubliée, au-dessus des bougies.

Quandsamémoire luifaisait défaut pourcertains mots,elleenchaînait, sansla moindre gêne,enyiddish : Yaidel-daidel-daidel-dai, disait-elle. La menorah en cuivre qu'elle utilisait étaitminuscule, simpleetdémodée, etelle avait appartenu àsa mère ;à un moment donné, sonpère nous enadonné uneplus imposante, avecdeslions deJudah quirampaient soutenant labougie centrale.

C’étaitaprèsquelaplupart d'entrenousétions partispour l'université etj'imagine doncquec'était uneépoque oùma mère observait lerituel annuel, toute seuledevant cetobjet imposant.

Mêmesi,lorsque mongrand-père étaitencore envie, elle l'appelait, jem'en souviens, enFloride àl'instant oùelle s'apprêtait àallumer lesbougies, et chantait labénédiction pourluiau téléphone, desorte quelle n'était pasvraiment seule après tout...

Maispournous, comme jeledisais, cen'était pasvraiment unegrande fête,etla distribution descadeaux adisparu aprèsnotrepetite enfance.

J'aidonc étésurpris et impressionné lorsquemonfrère aînéarecommencé àenvoyer descadeaux soigneusement choisis àchacun denous, ilya quelques années).. »

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