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plans pour la seconde partie du voyage.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

plans pour la seconde partie du voyage. Dorénavant, les rivières seront préférables aux picadas de la forêt, envahies par la végétation. Au surplus, il ne me reste que dix-sept boeufs sur les trente et un emmenés au départ et leur état est tel u'ils seraient incapables de poursuivre même sur un terrain facile. Nous nous diviserons en trois groupes. Mon chef de troupe et quelques hommes poursuivront par terre vers les premiers centres de chercheurs de caoutchouc, où nous spérons vendre les chevaux et une partie des mulets. D'autres hommes resteront avec les boeufs à Barão de Melgaço, our leur laisser le temps de se refaire dans les pâturages de capim-gordura, l'herbe-graisse. Tiburcio, leur vieux cuisinier, les commandera d'autant mieux qu'il est aimé de tous ; on dit de lui - car il est fortement métissé d'africain -- preto na feição, branco na acção, « noir par la couleur, blanc par la valeur », ce qui montre, soit dit en passant, que le aysan brésilien n'est pas exempt de préjugés raciaux. En Amazonie, une fille blanche courtisée par un noir s'écrie olontiers : « Suis-je donc une charogne si blanche pour qu'un urubu vienne percher sur mes tripes ! » Elle évoque ainsi le spectacle familier d'un crocodile mort dérivant sur le fleuve, tandis qu'un charognard à plumes noires navigue pendant des jours sur le cadavre et s'en nourrit. Quand les boeufs seront rétablis, la troupe retournera sur ses pas jusqu'à Utiarity, sans difficulté pensons-nous puisque les bêtes seront libérées de leur charge et que les pluies, maintenant imminentes, auront transformé le désert en prairie. Enfin, le personnel scientifique de l'expédition et les derniers hommes se chargeront des bagages qu'ils convoieront en pirogue jusqu'aux régions habitées où nous nous disperserons. Je compte moi-même passer en Bolivie par le Madeira, traverser le pays en avion, rentrer au Brésil par Corumba et de là rejoindre Cuiaba, puis Utiarity, aux environs du mois de décembre où je retrouverai ma comitiva - mon équipe et mes bêtes - pour liquider l'expédition. Le chef de poste de Melgaço nous prête deux galiotes - légères barques de planches - et des pagayeurs : adieu mulets ! Il n'y a plus qu'à se laisser descendre au fil du Rio Machado. Rendus insouciants par les mois de sécheresse, nous négligeons le premier soir d'abriter nos hamacs, nous contentant de les suspendre entre les arbres de la berge. L'orage se déclenche en pleine nuit avec le fracas d'un cheval au galop ; avant même que nous soyons réveillés, les hamacs se transforment en baignoires ; nous déplions à tâtons une bâche pour nous abriter sans qu'il soit possible de la tendre sous ce déluge. Pas question de dormir ; accroupis dans l'eau et supportant la toile de nos têtes, il faut surveiller constamment les poches qui se remplissent, et les déverser avant que l'eau ne pénètre. Pour tuer le temps, les hommes racontent des histoires ; j'ai retenu celle dite par Emydio.   Histoire d'Emydio.   Un veuf avait un seul fils, déjà adolescent. Un jour, il l'appelle, lui explique qu'il est grand temps de se marier. « Que faut-il faire pour se marier ? » demande le fils. « C'est très simple, lui dit son père, tu n'as qu'à rendre visite aux voisins et tâcher de plaire à la fille. » « Mais je ne sais pas comment on plaît à une fille ! » « Eh bien, joue de la guitare, sois gai, ris et chante ! » Le fils s'exécute, arrive au moment où le père de la demoiselle vient de mourir ; son attitude est jugée indécente, on le chasse à coups de pierres. Il retourne auprès de son père, se plaint ; le père lui explique la conduite à suivre en pareil cas. Le fils part à nouveau chez les voisins ; justement, on tue un porc. Mais fidèle à sa dernière leçon, il sanglote : « Quelle tristesse ! Il était si bon ; nous l'aimions tant ! Jamais on n'en trouvera un meilleur ! » Exaspérés, les voisins le chassent ; il aconte à son père cette nouvelle mésaventure, et reçoit de lui des indications sur la conduite appropriée. À sa troisième visite, les voisins sont occupés à écheniller le jardin. Toujours en retard d'une leçon, le jeune homme s'exclame : « Quelle merveilleuse abondance ! Je souhaite que ces animaux se multiplient sur vos terres ! Puissent-ils ne jamais vous manquer ! » On le chasse. Après ce troisième échec, le père ordonne à son fils de construire une cabane. Il va dans la forêt pour abattre le bois écessaire. Le loup-garou passe par là pendant la nuit et juge l'endroit à son goût pour y bâtir sa demeure, se met au ravail. Le lendemain matin, le garçon retourne au chantier et trouve l'ouvrage bien avancé : « Dieu m'aide ! » pense-t-il vec satisfaction. Ainsi bâtissent-ils de concert, le garçon pendant le jour et le loup-garou pendant la nuit. La cabane est finie. Pour l'inaugurer, le garçon décide de s'offrir en repas un chevreuil, et le loup-garou un mort. L'un apporte le chevreuil durant le jour, l'autre le cadavre à la faveur de la nuit. Et quand le père vient le lendemain pour participer au festin, il voit sur la table un mort en guise de rôti : « Décidément, mon fils, tu ne seras jamais bon à rien... ».   Un jour après, il pleuvait toujours, et nous arrivâmes au poste de Pimenta Bueno en écopant les barques. Ce poste est itué au confluent de la rivière qui lui donne son nom et du Rio Machado. Il comprenait une vingtaine de personnes ; uelques blancs de l'intérieur, et des Indiens d'extractions diverses qui travaillaient à l'entretien de la ligne : Cabishiana e la vallée du Guaporé, et Tupi-Kawahib du Rio Machado. Ils allaient me fournir des informations importantes. Les unes oncernaient les Tupi-Kawahib encore sauvages que, sur la foi d'anciens rapports, on croyait complètement disparus ; j'y eviendrai. Les autres étaient relatives à une tribu inconnue qui vivait, disait-on, à plusieurs jours de pirogue sur le Rio imenta Bueno. Je formai immédiatement le projet de les reconnaître, mais comment ? Une circonstance favorable se résentait ; de passage au poste se trouvait un noir nommé Bahia, commerçant ambulant un peu aventurier qui accomplissait chaque année un prodigieux voyage : il descendait jusqu'au Madeira se procurer des marchandises dans les entrepôts riverains, remontait le Machado en pirogue et, pendant deux jours, le Pimenta Bueno. Là, une piste connue de ui permettait de traîner trois jours les pirogues et les marchandises à travers la forêt, jusqu'à un petit affluent du uaporé où il pouvait écouler son stock à des prix d'autant plus exorbitants que la région où il aboutissait n'était pas pprovisionnée. Bahia se déclara prêt à remonter le Pimenta Bueno au-delà de son itinéraire habituel, à la condition que e le paye en marchandises plutôt qu'en argent. Bonne spéculation pour lui, puisque les prix de gros amazoniens sont upérieurs à ceux auxquels j'avais fait mes achats à São Paulo. Je lui cédai donc plusieurs pièces de flanelle rouge dont je 'étais dégoûté depuis qu'à Vilhena, en ayant offert aux Nambikwara, je vis le lendemain ceux-ci couverts de flanelle ouge des pieds à la tête, y compris les chiens, les singes et les sangliers apprivoisés ; il est vrai qu'une heure après, le laisir de la farce étant épuisé, les lambeaux de flanelle traînaient dans la brousse où personne n'y fit plus attention. Deux pirogues empruntées au poste, quatre pagayeurs et deux de nos hommes constituaient notre équipage. Nous tions prêts à partir pour cette aventure improvisée. Il n'y a pas de perspective plus exaltante pour l'ethnographe que celle d'être le premier blanc à pénétrer dans une ommunauté indigène. Déjà, en 1938, cette récompense suprême ne pouvait s'obtenir que dans quelques régions du onde suffisamment rares pour qu'on les compte sur les doigts d'une main. Depuis lors, ces possibilités se sont encore estreintes. Je revivrais donc l'expérience des anciens voyageurs, et à travers elle, ce moment crucial de la pensée oderne où, grâce aux grandes découvertes, une humanité qui se croyait complète et parachevée reçut tout à coup, omme une contre-révélation, l'annonce qu'elle n'était pas seule, qu'elle formait une pièce d'un plus vaste ensemble, et ue, pour se connaître, elle devait d'abord contempler sa méconnaissable image en ce miroir dont une parcelle oubliée ar les siècles allait, pour moi seul, lancer son premier et dernier reflet. Cet enthousiasme est-il encore de mise au XXe siècle ? Si peu connus que fussent les Indiens du Pimenta-Bueno, je ne ouvais attendre d'eux le choc ressenti par les grands auteurs : Léry, Staden, Thevet, qui, il y a quatre cents ans, mirent le ied sur le territoire brésilien. Ce qu'ils virent alors, nos yeux ne l'apercevront jamais plus. Les civilisations qu'ils furent les remiers à considérer s'étaient développées selon d'autres lignes que les nôtres, elles n'en avaient pas moins atteint oute la plénitude et toute la perfection compatibles avec leur nature, tandis que les sociétés que nous pouvons étudier ujourd'hui - dans des conditions qu'il serait illusoire de comparer à celles prévalant il y a quatre siècles - ne sont plus ue des corps débiles et des formes mutilées. Malgré d'énormes distances et toutes sortes d'intermédiaires (d'une izarrerie souvent déconcertante quand on parvient à en reconstituer la chaîne), elles ont été foudroyées par ce onstrueux et incompréhensible cataclysme que fut, pour une si large et si innocente fraction de l'humanité, le éveloppement de la civilisation occidentale ; celle-ci aurait tort d'oublier qu'il lui fait un second visage, pas moins éridique et indélébile que l'autre. À défaut des hommes, pourtant, les conditions du voyage étaient restées les mêmes. Après la désespérante hevauchée à travers le plateau, je m'offrais au charme de cette navigation sur une rivière riante dont les cartes ignorent e cours, mais dont les moindres détails rappelaient à ma mémoire le souvenir des récits qui me sont chers. Il fallait d'abord retrouver l'entraînement à la vie fluviale acquis, trois ans auparavant, sur le São Lourenço : connaissance des différents types et mérites respectifs des pirogues - taillées dans un tronc d'arbre ou faites de planches ssemblées - qui s'appellent, selon la forme et la taille, montaria, canoa, ubá ou igarité ; l'habitude de passer des heures accroupi dans l'eau qui s'insinue à travers les crevasses du bois et qu'on écope continuellement avec une petite calebasse ; une extrême lenteur et beaucoup de prudence, pour chaque mouvement provoqué par l'ankylose et qui risque de faire chavirer l'embarcation : água nào tem cabellos, « l'eau n'a pas de cheveux », si l'on tombe par-dessus bord, il n'y a rien pour se rattraper ; la patience, enfin, à chaque accident du lit de la rivière, de décharger les provisions et le matériel si minutieusement arrimés, de les transporter par la berge rocheuse en même temps que les pirogues, pour recommencer l'opération quelques centaines de mètres plus loin. Ces accidents sont de divers types : seccos, lit sans eau ; cachoeiras, rapides ; saltos, chutes. Chacun est vite baptisé ar les rameurs d'un nom évocateur : détail du paysage tel que castanhal, palmas ; un incident de chasse, veado, queixada, araras ; ou traduisant une relation plus personnelle au voyageur : criminosa, « lacriminelle » ; encrenca, substantif intraduisible qui exprime le fait d'être « coincé », apertada hora, « l'heure resserrée » (avec le sens étymologique d'angoissante) ; vamos a ver, « on va voir... ». Aussi, le départ n'a rien d'inédit. Nous laissons les rameurs échelonner les rythmes prescrits : d'abord une série de etits coups : plouf, plouf, plouf... puis la mise en route, où deux battements secs sur le bord de la pirogue sont intercalés ntre les coups de rame : tra-plouf, tra ; tra-plouf, tra... enfin le rythme de voyage où la rame ne plonge qu'une fois sur eux, retenue la fois prochaine pour une simple caresse de la surface, mais toujours accompagnée d'un battement et éparée du mouvement suivant par un autre : tra-plouf, tra, sh, tra ; tra-plouf, tra, sh, tra... Ainsi les rames exposent lternativement la face bleue et la face orange de leur palette, aussi légères sur l'eau que le reflet, auquel on les dirait éduites, des grands vols d'aras qui traversent le fleuve, faisant étinceler tous ensemble, à chaque virage, leur ventre d'or u leur dos azur. L'air a perdu sa transparence de la saison sèche. À l'aube, tout est confondu dans une épaisse mousse ose, brume matinale qui monte lentement du fleuve. On a déjà chaud, mais peu à peu cette chaleur indirecte se précise. Ce qui n'était qu'une température diffuse devient coup de soleil sur telle partie du visage ou des mains. On commence à savoir pourquoi l'on sue. Le rose s'accroît de nuances. Des îlots bleus apparaissent. Il semble que la brume s'enrichisse encore, alors qu'elle ne fait que se dissoudre. On remonte durement vers l'amont, et il faut que les rameurs se reposent. La matinée passe à sortir de l'eau, au bout d'une ligne grossière appâtée avec des baies sauvages, la quantité de poissons nécessaire à la peixada, qui est la bouillabaisse amazonienne : pacus jaunes de graisse qu'on mange en tranches tenues par l'arête, comme un manche de ôtelette ; piracanjubas argentés et à chair rouge ; daurades vermeilles ; cascudos aussi cuirassés qu'un homard, mais e noir ; piaparas tachetées ; mandi, piava, curimbata, jatuarama, matrinchão... mais gare aux raies venimeuses et aux poissons électriques - purake - qu'on pêche sans appât mais dont la décharge assomme un mulet ; et plus encore, rétendent les hommes, à ces poissons minuscules qui, remontant le jet, pénétreraient dans la vessie de l'imprudent qui e soulagerait au fil de l'eau... Ou bien on guette, à travers la géante moisissure verte que forme la forêt sur la berge, 'animation subite d'une bande de singes aux mille noms : guariba hurleur, coatá aux membres arachnéens, capucin ou singe « à clou », zog-zog, qui, une heure avant l'aube, éveille la forêt de ses appels : avec ses grands yeux en amande, on port humain, son manteau soyeux et bouffant, on dirait un prince mongol ; et toutes les tribus des petits singes : saguin ; pour nous ouistiti ; macaco da noite, « singe de nuit » aux yeux de gélatine sombre ; macaco de cheiro, « singe à parfum » ; gogo de sol, « gosier de soleil », etc. Il suffit d'une balle dans leurs troupes bondissantes pour abattre à coup resque sûr une pièce de ce gibier ; rôtie, elle devient une momie d'enfant aux mains crispées, et offre en ragoût la aveur de l'oie. Vers 3 heures de l'après-midi, le tonnerre gronde, le ciel s'obscurcit et la pluie masque d'une large barre verticale la oitié du ciel. Viendra-t-elle ? La barre se strie et s'effiloche, et de l'autre côté paraît une lueur, dorée d'abord, puis d'un leu délavé. Le milieu de l'horizon seul est encore occupé par la pluie. Mais les nuages fondent, la nappe se réduit par la roite et par la gauche, enfin s'évanouit. Il n'y a plus qu'un ciel composite, formé de masses bleu-noir surimposées à un ond bleu et blanc. C'est le moment, avant le prochain orage, d'accoster une berge où la forêt paraît un peu moins dense. n ouvre rapidement une petite clairière à l'aide du sabre d'abattis : facão ou terçado ; on inspecte les arbres ainsi égagés pour voir s'il se trouve parmi eux le pau de novato, l'arbre du novice, ainsi nommé parce que le naïf qui y ttacherait son hamac verrait se répandre sur lui une armée de fourmis rouges ; le pau d'alho, à l'odeur d'ail ; ou encore a cannela merda, dont le nom suffit. Peut-être aussi, avec de la chance, la soveira dont le tronc incisé en cercle déverse en quelques minutes plus de lait qu'une vache, crémeux et mousseux, mais qui, absorbé cru, tapisse insidieusement la bouche d'une pellicule caoutchouteuse ; l'araçá au fruit violacé, gros comme une cerise, à la saveur de térébenthine accompagnée d'une acidité si légère que l'eau où on l'a écrasé paraît gazeuse ; l'ingá aux cosses remplies d'un fin duvet ucré ; le bacuri qui est comme une poire volée aux vergers du Paradis ; enfin l'assaï ; délice suprême dans la forêt, dont la décoction aussitôt absorbée forme un épais sirop framboisé mais qui, après une nuit, caille et devient fromage fruité et aigrelet. Pendant que les uns se livrent à ces travaux culinaires, les autres installent les hamacs sous des auvents de branchages couverts d'un léger toit de palmes. C'est le moment des histoires autour du feu de camp, toutes pleines d'apparitions et e fantômes : le lobis-homem, loup-garou ; le cheval-sans-tête ou la vieille femme à tête de squelette. Il y a toujours dans la troupe un ancien garimpeiro qui a gardé la nostalgie de cette vie misérable, chaque jour illuminée par l'espoir de la fortune : « J'étais en train d'« écrire » - c'est-à-dire de trier le gravier - et j'ai vu couler dans la bâtée un petit grain de iz, mais c'était comme une vraie lumière. Que cousa bounita ! (7) je ne crois pas qu'il puisse exister cousa mais bounita, plus jolie chose... À le regarder, c'était comme si l'électricité se déchargeait dans le corps des gens ! ». Une discussion 'engage : « Entre Rosario et Laranjal, il y a, sur une colline, une pierre qui étincelle. On l'aperçoit à des kilomètres, mais urtout la nuit. - C'est peut-être du cristal ? - Non, le cristal n'éclaire pas la nuit, seulement le diamant. - Et personne ne a le chercher ? - Oh, des diamants comme ceux-là, l'heure de leur découverte et le nom de celui qui doit les posséder sont marqués depuis longtemps ! ». Ceux qui ne souhaitent pas le sommeil vont se poster, parfois jusqu'à l'aube, au bord de la rivière où ils ont relevé les traces du sanglier, du capivara ou du tapir ; ils essayent - vainement - la chasse au batuque qui consiste à frapper le sol avec un gros bâton, à intervalles réguliers : poum... poum... poum. Les animaux croient à des fruits qui tombent et ils rrivent, paraît-il, dans un ordre immuable : sanglier d'abord, jaguar ensuite. Souvent aussi on se borne à alimenter le feu pour la nuit. Il ne reste plus pour chacun, après avoir commenté les incidents du jour et passé le maté à la ronde, qu'à se glisser dans le hamac, isolé par la moustiquaire tendue au moyen d'un jeu compliqué de baguettes et de ficelles, moitié cocon et moitié cerf-volant, dont il a soin, après avoir pris place à l'intérieur, de relever la jupe pour que nulle partie ne frôle le sol, en la formant en une sorte de poche que le lourd revolver tiendra close par son poids, tout en restant à portée de main. Bientôt la pluie commence à tomber.

« accomplissait chaqueannéeunprodigieux voyage :ildescendait jusqu’auMadeiraseprocurer desmarchandises dansles entrepôts riverains,remontait leMachado enpirogue et,pendant deuxjours, lePimenta Bueno.Là,une piste connue de lui permettait detraner troisjours lespirogues etles marchandises àtravers laforêt, jusqu’à unpetit affluent du Guaporé oùilpouvait écoulersonstock àdes prix d’autant plusexorbitants quelarégion oùilaboutissait n’étaitpas approvisionnée.

Bahiasedéclara prêtàremonter lePimenta Buenoau-delà deson itinéraire habituel,àla condition que je lepaye enmarchandises plutôtqu’enargent.

Bonnespéculation pourlui,puisque lesprix degros amazoniens sont supérieurs àceux auxquels j’avaisfaitmes achats àSão Paulo.

Jelui cédai doncplusieurs piècesdeflanelle rougedontje m’étais dégoûté depuisqu’àVilhena, enayant offert auxNambikwara, jevis lelendemain ceux-cicouverts deflanelle rouge despieds àla tête, ycompris leschiens, lessinges etles sangliers apprivoisés ; ilest vrai qu’une heureaprès, le plaisir delafarce étant épuisé, leslambeaux deflanelle tranaient danslabrousse oùpersonne n’yfitplus attention. Deux pirogues empruntées auposte, quatre pagayeurs etdeux denos hommes constituaient notreéquipage.

Nous étions prêtsàpartir pourcette aventure improvisée. Il n’y apas deperspective plusexaltante pourl’ethnographe quecelle d’être lepremier blancàpénétrer dansune communauté indigène.Déjà,en1938, cetterécompense suprêmenepouvait s’obtenir quedans quelques régionsdu monde suffisamment rarespourqu’on lescompte surlesdoigts d’unemain.Depuis lors,cespossibilités sesont encore restreintes.

Jerevivrais doncl’expérience desanciens voyageurs, etàtravers elle,cemoment crucialdelapensée moderne où,grâce auxgrandes découvertes, unehumanité quisecroyait complète etparachevée reçuttoutàcoup, comme unecontre-révélation, l’annoncequ’ellen’étaitpasseule, qu’elle formait unepièce d’unplusvaste ensemble, et que, pour seconnaître, elledevait d’abord contempler saméconnaissable imageencemiroir dontuneparcelle oubliée par lessiècles allait,pourmoiseul, lancer sonpremier etdernier reflet. Cet enthousiasme est-ilencore demise auXXesiècle ? Sipeu connus quefussent lesIndiens duPimenta-Bueno, jene pouvais attendre d’euxlechoc ressenti parlesgrands auteurs : Léry,Staden, Thevet,qui,ilya quatre centsans,mirent le pied surleterritoire brésilien.

Cequ’ils virent alors,nosyeux nel’apercevront jamaisplus.Lescivilisations qu’ilsfurent les premiers àconsidérer s’étaientdéveloppées selond’autres lignesquelesnôtres, ellesn’enavaient pasmoins atteint toute laplénitude ettoute laperfection compatibles avecleurnature, tandisquelessociétés quenous pouvons étudier aujourd’hui –dans desconditions qu’ilserait illusoire decomparer àcelles prévalant ilya quatre siècles–ne sont plus que descorps débiles etdes formes mutilées.

Malgréd’énormes distancesettoutes sortesd’intermédiaires (d’une bizarrerie souventdéconcertante quandonparvient àen reconstituer lachane), ellesontétéfoudroyées parce monstrueux etincompréhensible cataclysmequefut,pour unesilarge etsiinnocente fractiondel’humanité, le développement delacivilisation occidentale ; celle-ciauraittortd’oublier qu’illuifait unsecond visage,pasmoins véridique etindélébile quel’autre. À défaut deshommes, pourtant, lesconditions duvoyage étaient restées lesmêmes.

Aprèsladésespérante chevauchée àtravers leplateau, jem’offrais aucharme decette navigation surune rivière riantedontlescartes ignorent le cours, maisdont lesmoindres détailsrappelaient àma mémoire lesouvenir desrécits quime sont chers. Il fallait d’abord retrouver l’entranement àla vie fluviale acquis,troisansauparavant, surleSão Lourenço : connaissance desdifférents typesetmérites respectifs despirogues –taillées dansuntronc d’arbre oufaites deplanches assemblées –qui s’appellent, selonlaforme etlataille, montaria, canoa,ubá ou igarité ; l’habitude depasser des heures accroupi dansl’eau quis’insinue àtravers lescrevasses dubois etqu’on écope continuellement avecunepetite calebasse ; uneextrême lenteuretbeaucoup deprudence, pourchaque mouvement provoquéparl’ankylose etqui risque defaire chavirer l’embarcation : água nàotem cabellos, « l’eau n’apas decheveux », sil’on tombe par-dessus bord, iln’y arien pour serattraper ; lapatience, enfin,àchaque accident dulitde larivière, dedécharger lesprovisions et le matériel siminutieusement arrimés,deles transporter parlaberge rocheuse enmême tempsquelespirogues, pour recommencer l’opérationquelquescentaines demètres plusloin. Ces accidents sontdedivers types : seccos, lit sans eau ; cachoeiras, rapides ; saltos, chutes. Chacun estvite baptisé par lesrameurs d’unnom évocateur : détaildupaysage telque castanhal, palmas ; un incident dechasse, veado, queixada, araras  ; ou traduisant unerelation pluspersonnelle auvoyageur : criminosa, «  lacriminelle »  ; encrenca, substantif intraduisible quiexprime lefait d’être « coincé », apertada hora, « l’heure resserrée » (aveclesens étymologique d’angoissante) ; vamos aver, «  on vavoir… ». Aussi, ledépart n’arien d’inédit.

Nouslaissons lesrameurs échelonner lesrythmes prescrits : d’abordunesérie de petits coups : plouf,plouf,plouf… puislamise enroute, oùdeux battements secssurlebord delapirogue sontintercalés entre lescoups derame : tra-plouf, tra ;tra-plouf, tra…enfin lerythme devoyage oùlarame neplonge qu’une foissur deux, retenue lafois prochaine pourunesimple caresse delasurface, maistoujours accompagnée d’unbattement et séparée dumouvement suivantparunautre : tra-plouf, tra,sh,tra ; tra-plouf, tra,sh,tra… Ainsi lesrames exposent alternativement laface bleue etlaface orange deleur palette, aussilégères surl’eau quelereflet, auquel onles dirait réduites, desgrands volsd’aras quitraversent lefleuve, faisantétinceler tousensemble, àchaque virage,leurventre d’or ou leur dosazur.

L’airaperdu satransparence delasaison sèche.

Àl’aube, toutestconfondu dansuneépaisse mousse rose, brume matinale quimonte lentement dufleuve.

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