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En 1665, après que Boileau eut publié ses premières Satires, un ami lui écrit pour lui conseiller de renoncer à ce genre.

Publié le 10/02/2012

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boileau

Monsieur et cher Ami,

Je viens tenter auprès de vous une démarche que vous estimerez peutêtre

téméraire, mais qui, vous pouvez m'en croire, m'a été inspirée par

la plus sincère amitié.

Vous savez si j'ai goûté vos poésies. Je ne vous ai épargné jusqu'ici mon

admiration ni mes encouragements, au risque de me créer des ennemis.

De votre cause, fai fait ma propre cause, parce que je la tiens pour excellente.

boileau

« Pradon, encore qu'il prenne la chronologie pour un terme de chimie, a l>U, par ses intrigues, créer autour de lui une coterie redoutable.

Perrin, Quinault ---,- qui s'est, à n'en .point douter, reconnu sous le pseudonyme de Kaynaut- ne sont pas adversaires à mépriser.

Ménage a pour \ui ~""nobles.

élèves : les La Fayette, les Sévigné.

Enfin si notre poète guerrier, l'illustre Scudéry, se découvre sous les traits de Scutari, je tremble pour -vous~ on peut tout craindre d'un pareil matamore.

Il n'hésite pas, vous le savez peut-être, à faire respecter par l'épée les ouvrages de sa plume! Voilà dans quelle impasse vous vous êtes engagé.

Vous sentez-vous assez fort pour tenir tête à ce peuple furieux, aux rancunes tenaces? A mon .

avis, ce serait folie de vouloir cqntinuer une lutte trop inégale.

Et cependant, ce n'est là que le premier de mes .arguments.

Près de ces ennemis personnels et visibles, qui regimbent sous l'aiguillon de vos vers malins, il en est d'autres, adversaires occultes et insaisissables, maîtres de la Cour, de la Ville, des provinces, et beaucoup plus dangereux.

Ils s'appellent l'Opinion et la Mode.

Oserez-vous seul, sans défenseurs,· n'ayant pour armes que votre amour de la vérité et l'ardeur de votre jeu­ nesse, vous attaquer à des préjugés aussi profondément enracinés? Le faux goût a tout envahi : bourgeois et courtisans en sont infectés.

On aime tout, sauf le naturel et le vrai.

Vous avez soulevé un murmure de réprobation presque universel en déclarant : « J'appelle un chat un chat.

» Il est si bien porté de ne plus se rendre à l'idée que par les petits sentiers tor­ tueux et fleuris de la périphrase! Vos théories, qui prônent le bon sens, heurtent de front les goûts d'un public qui semble en avoir perdu la notion.

Vous croyez-vous assez convaincant, assez persuasif, pour convertir à vos lumineuses doctrines des gens qui se complaisent dans les demi-ténèbres du faux bel esprit? Savez-vous qu'il est .quasi impossible aux seules forces humaines de.

refaire des cervelles qui pensent faux et jugent de travers? Je vous concède tout le talent, voire tout le génie des plus grands écri­ vains, tant des anciens que des modernes, et je doute néanmoins que vous veniez à bout d'une pareille entreprise.

Je n'ai fait jusqu'ici que vous démontrer votre impuissance vis-à-vis des sots qui tiennent à présent le haut-bout, et des plus sots qui les admi­ rent.

Il est un autre danger que vous courez, et dont je vous veux avertir.

Celui-là est inhérent au genre que vous avez embrassé.

La pente de la satire est glissante; elle conduit imperceptiblement au pamphlet.

Je ne saurais mettre en doute votre droiture, votre désintéressement; jamais vous n'eûtes la basse envie de vous venger en vos vers, et, moins encore, d'attaquer par pure malice, d'inoffensifs rimeurs.

Toutefois, prenez garde.

Les intentions les plus pures se corrompent aisément quand l'amour-propre se met de la partie.

Et tel débute par la critique honnête, qui bientôt, accueillant sans discernement des faux bruits, favorables à sa cause, s'égare dans l'infâme calomnie.

Croyez-m'en, le bon goût, aujourd'hui si universellement abandonné, n'est point pour toujours banni de notre monde.

Ce phénix, au moment où on le croit à jamais disparu, renaît subitement de ses cendres.

Toute mode est passagère; quelques années suffiront à détrôner celle qui règne actuelle­ ment sur nos beaux esprits.

Faites crédit au temps; il est -votre meilleur auxiliaire en l'occurrence.

Ne voùs ·entêtez point à vouloir, par de nou" velles œuvres satiriques, hâter l'heure d'un triomphe certain et qui ne· saurait tarder.

L'accueil que vous ont fait quelques-uns de nos meilleurs·. »

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