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L'ABBE PREVOST: MANON LESCAUT ET LES MÉMOIRES ET AVENTURES D'UN HOMME DE QUALITÉ QUI S'EST RETIRÉ DU MONDE (analyse)

Publié le 01/07/2011

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L'Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, tome VII des Mémoires et Aventures d'un Homme de qualité qui s'est retiré du monde, parut pour la première fois à Amsterdam en 1731, avec les tomes V et VI qui achèvent le roman. Elle se distingue si nettement du reste du livre que l'auteur éprouve le besoin de justifier ce supplément à des aventures enfin terminées. « Quoique j'eusse pu insérer dans mes Mémoires les Aventures du malheureux chevalier des Grieux, il m'a semblé que, n'y ayant point un rapport nécessaire, le lecteur trouverait plus de satisfaction à les voir ici séparément. Un récit de cette longueur aurait interrompu trop longtemps le fil de ma propre histoire. « Et de citer Horace pour justifier cette délicatesse, assez nouvelle chez les romanciers de son temps. Faux prétextes, nous le sentons bien. Par quel concours de circonstances ce chef-d'œuvre si frais, si direct dans la chaleur du sentiment, si moderne de facture, se trouve-t-il associé à un long roman romanesque, où l'on sent encore les premiers pas d'un jeune écrivain ?

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« avons pour les femmes n'a qu'un certain degré de force, une passion particulière, dont nous sommes atteints toutd'un coup en a-t-elle quelquefois davantage ?...

Les passions extraordinaires telle qu'a été celle de mon père, ontquelque autre principe qui se joint au dérèglement causé par le péché d'origine.

La Providence les permet pour desfins qui ne sont pas toujours connues, mais qui sont toujours sans doute dignes d'elle.

»Les malheurs du héros le prouvent assez.

L'Homme de qualité perdra successivement son grand-père, sa sœur, samère, tous dans des circonstances plus ou moins tragiques, avec une mise en scène impressionnante, si bienqu'après un bref séjour à l'Oratoire son père se retirera aux Chartreux, l'abandonnant à son propre sort.

Tout ceciparce que le grand-père, faisant violence à sa bonté naturelle, a tenu rigueur à son fils de s'être marié selon soncœur.

Pouvait-on illustrer de façon plus pathétique le devoir pour un père de ne pas « maltraiter un fils qui se trouveatteint tout d'un coup d'une passion excessive » ni « le vouloir guérir par la rigueur », mais de « recourir à desremèdes plus doux pour éviter les suites funestes que la violence produit toujours » ? Et ne croirait-on pas, à lirecette histoire, que Prévost veut attendrir son propre père, en particulier dans la scène où le petit-fils va tenter,mais trop tard, de fléchir le grand-père que la mort emporte soudain ? La suite des Mémoires s'efforce de varier lesépisodes romanesques, mais le plaidoyer se poursuivra plus ou moins dans les volumes suivants jusqu'à Manon.

Tousles autres romans de Prévost étant construits de même autour d'un thème central, que l'intrigue s'efforce d'illustrer,on conçoit l'importance et le caractère révélateur d'une telle prise de position.

Elle souligne l'amertume de son cœur,ses réactions et ses espoirs.On chercherait en vain à serrer de plus près les faits.

Il s'agit de sentiments vécus, non d'épisodes réels.

Bien qu'ilait plusieurs fois appartenu à l'armée, jamais Prévost ne fit campagne en Europe centrale pour être finalementprisonnier des Turcs et revenir en Italie, heureux époux d'une belle Sélima qui serait morte bientôt, lui laissant unefille qu'il aurait fait élever dans un couvent, après s'être « enseveli » lui-même dans un monastère pour mieuxs'abandonner à son chagrin.

Tel portrait de l'Homme de qualité, par contre, tel jugement porté, tel souvenir évoqué,révèlent en partie l'âme et les goûts de l'auteur.

Ainsi la douleur du héros à la mort de sa femme se traduit par unemise en scène excessive.

Enfermé dans une chambre tendue de noir, fenêtres « bouchées », il reste assis devant lecœur de son amante, contenu dans une boite d'or posée sur une table couverte d'un grand tapis noir.

Deux moisdurant, il s'abîme dans un désespoir que nourrit la vue d'un portrait de la chère disparue et la contemplation deshabits de Sélima, pendus aux murs qu'éclairent des flambeaux posés sur des guéridons.

Des modèles livresques ontprobablement inspiré Prévost, qui put connaître au moins un tableau comparable de Nicholas Rowe dans la BellePénitente.

Mais le fétichisme qui attache l'amant aux habits de sa bien-aimée, son intolérable douleur, la volonté de« s'ensevelir tout vivant » dans « une espèce de tombeau », reviennent trop fréquemment dans les divers romansde Prévost pour ne pas correspondre chez lui à des tendances profondes.

Le rôle providentiel des monastères et descouvents dans l'Homme de qualité ne nous rappelle-t-il pas sa jeunesse, les longues hésitations entre la bure dumoine et l'épée du soldat ? Le rythme de sa vie oscille encore à ce moment, comme celui-ci de ses héros, entrel'emportement de la passion et le désarroi des sentiments.Mais l'intrigue est franchement romanesque.

« J'avais dans mes poches trois livres que j'ai toujours aimés : leTélémaque de M.

de Fénelon, les Caractères de La Bruyère, et un tome des tragédies de Racine » déclare l'Hommede qualité prisonnier des Turcs.

« Je pris le Télémaque où je me souvenais d'avoir lu quelque chose qui regardaitl'esclavage.

Je trouvai effectivement que M.

de Fénelon faisant conduire son héros en Égypte, le représente dansl'état où je me trouvais, c'est-à-dire assujetti à des maîtres durs et barbares.

» On ne peut indiquer plusfranchement ses sources.

Si quelque fait réel se dissimule dans le roman, il le faut chercher dans les portraitsépisodiques, tel celui du religieux défroqué déjà cité au chapitre précédent.

Encore s'agit-il d'un récit prophétique,où Prévost condamne à l'avance ce qu'il exécutera plus tard.

Les deux volumes suivants ne font que confirmer cetteimpression.

Télémaque, que l'Homme de qualité va jusqu'à traduire en langue turque avec beaucoup de succès,continue d'inspirer le récit.

Comme Prévost, l'Homme de qualité rencontre à son couvent un grand seigneur, et leduc de...

lui confiera bientôt la charge de gouverneur de son fils, le marquis de Rosemont, que, nouveau Mentor, ildoit emmener avec lui en Espagne.

Prévost s'inspire-t-il de Crébillon (alors tant admiré des Espagnols, affirme-t-il),pour écrire les sanglantes aventure de Rosemont avec « donna » Diana ? Celle-ci entraînera dans la mort deuxautres personnages, un troisième ayant été tué précédemment, Rosemont, inconsolable, nourrira son chagrin de lavue du « bonnet de velour noir brodé d'or », des « bas et ornements de tête et de gorge », que portait « donna »Diana, se revêtira des chemises de sa maîtresse, retaillées à son usage, desjupes transformées en vestes, et de la robe devenue robe de chambre !Les aventures de Rosemont et de M.

de Renoncour (nouveau nom de l'Homme de qualité) se poursuivent, au tomeIV, au Portugal et en Hollande.

Le jeune prince portugais dom M.

n'a guère plus de consistance que le prince italienqui paraît un moment dans Manon.

La surprenante rencontre du frère de Sélima, sur le bateau qui ramène l'Hommede qualité en Hollande, relève également du romanesque « XVIIe siècle », comme l'aventure du marquis deRosemont, pris d'une étrange sympathie pour la nièce de Sélima déguisée en jeune garçon.

Et que dire, aux tomes IIet IV, des récits de sorcellerie ou de loups garous auxquels l'auteur paraît ajouter un certain degré de foi ? De tellesscènes disparaîtront heureusement des œuvres ultérieures.

Mais bien que l'influence de Robinson Crusoé (traduit en1720) se fasse probablement sentir dès le tome III avec le personnage épisodique du pirate Andredi, jamais Prévostne s'affranchira totalement de l'ancien romanesque.De son voyage en Angleterre résultera pourtant une profonde transformation.

Les portraits satiriques des moines del'Escurial, à la fin du tome III, nous avaient déjà laissé entrevoir que leur auteur savait ironiser, à l'occasion, sur despersonnages fort réels : ses compagnons de Saint-Germain-des-Prés.

Alors qu'au début du même tome il prétendaitencore, disait-il, raconter « ce que j'ai fait, et non ce que j'ai vu », voici que le tome V s'ouvre sur une descriptionpittoresque de la Tamise et de Londres, « pour donner une légère idée d'un pays qui n'est pas aussi estimé qu'ildevrait l'être des autres peuples de l'Europe, parce qu'il ne leur est pas assez connu ».

Prévost vient de commencerainsi, en 1731, une carrière exceptionnellement féconde d'apologiste et de vulgarisateur de la civilisation anglaise.La différence est si sensible que l'Homme de qualité souligne cet enrichissement dans une prétendue lettre àl'éditeur, en guise de préface aux trois derniers tomes parus en Hollande.

Bien des faits pourront être ici interprétés. »

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