Devoir de Philosophie

L'absurde dans ''L'Etranger'' et ''Jonas ou l'artiste au travail''

Publié le 26/07/2012

Extrait du document

travail

On peut soulever ici la profonde corrélation entre l'absurde et le tragique. Le héros absurde, comme le tragique, obéit à une autre logique. Il s'exile et sort de la communauté. Sourd aux appels de l'oracle, c'est un héros vertical, luttant et franchissant la limite des hommes, à la recherche de vérité. Jusqu'au bout, il reste cohérent dans son besoin de justice et de lucidité, et finit incompris et condamné par la justice des hommes. La différence fondamentale entre les deux est que, là où le héros tragique est jugé comme celui qui fait le pas de trop  (Oedipe se crève les yeux pour avoir découvert la vérité, et se retrouve ainsi plus aveugle encore qu'auparavant), le héros absurde, au contraire, est valorisé, il est celui qui atteint l'équilibre, prêt à tout revivre sous le prisme de la lucidité : "il faut imaginer Sisyphe heureux".   

travail

« Jonas et Merseault collaborent pourtant à cette comédie humaine, par souci de conciliation et d'harmonie, même s'ils s'y sentent étrangers.

Ils recherchent l'amitié des gens qu'ils rencontrent.

Dans ''L'étranger'' : '' Il est parti avec un air fâché.

J'aurais voulu le retenir, lui expliquer que je désirais sa sympathie'' (p.103).Dans ''Jonas'' : Ce sera comme vous voudrez'' (p.104), ''Il faut les aimer'' (p.126).

Cette collaboration partielle illustre le désir de compromis du héros absurde, entreexil et royaume.

Mais cette collaboration au théâtre des hommes ne prendra jamais le dessus car Merseault et Jonas ont soif de vérité.

Merseault dit à Marie qu'il ne l'aime pas,refuse l'illusion de Dieu proposée par le juge et l'aumônier, et se sent étranger lors de son procès où tout est ''joué'' : il est le seul à ne pas participer au jeu, le seul à nepas avoir d'éventail.

De la même manière, Jonas finira par s'exiler sur sa soupente, à mi-chemin entre les hommes et le monde, pour échapper au théâtre de sonappartement (''les tasses passaient de main en main, parcouraient le couloir, de la cuisine à la grande pièce, revenaient ensuite (...)'' ,p.123 ), à l'alcool auquel il agoûté un temps, à son emploi du temps surchargé et même à l'amour en délaissant Louise, autant de jeux et d'habitudes qui empêchent de voir clair et de vivrepleinemnt l'absurde.

Mais sa soupente, comme l'exécution imaginée par Merseault, prend elle-même les aspects d'une dernière scène dont la lampe fait office deprojecteur.

La lampe s'éteint et c'est la fin de la pièce, le début d'une vie consciente et nuancée.

IV.

L'équilibre absurde Au terme de leur lutte, l'équilibre précédent est rompu pour laisser apparaître un nouvel équilibre, l'équilibre absurde qui est la voie de la connaissance.

Jonas etMerseault sont en mesure de résister à l'espoir comme au désespoir, dans l'équilibre précieux de la lucidité.

Merseault, dans sa cellule, assume pleinement sa mort prochaine.

Il vit sa révolte et refuse le suicide.

Entre l'espoir d'être gracié et le désepoir d'être exécuté, iltrouve l'équilibre, cette juste mesure recommandée par Camus.

Il finit par sortir du temps linéaire pour rejoindre le temps cyclique de l'éternel recommencement.

Peuimporte désormais s'il meurt demain.

Si prêt de la mort, il se sent libre et prêt à tout revivre.

S'il échappe à l'exécution, ce sera pour lui une seconde naissance, une vieoù il pourra se souvenir de celle-ci, résolument libre devant l'absurde condition humaine, purgé du mal et de l'espoir, pour s'ouvrir ''pour la première fois à la tendreindifférence du monde'' (p.186).

Jonas réalise aussi cet équilibre.

''Il lui fallait établir (...) des nuances assez diverses'' (p.118) et cette nuance est ''une heureuse obligation'' (p.118).

Il ne peutchoisir entre son besoin de solitude créatrice et son besoin d'être avec les hommes.

Il attendra la mesure, seul sur sa soupente, avec sa toile, indirectement poussé parses disciples : ''ils le mettaient si haut'' (p.116).

Sa révolte, c'est son art : le seul moment où il peut concilier exil et royaume, ''à la fois maître et serviteur du monde''(p.132).

Mais sa révolte n'est pas qu'artistique, elle est existentielle.

Son oeuvre finale se veut l'aboutissement d'une lutte tragique contre l'illusion.

Son ultime tableau,dont on ne peut trancher entre ''solidaire'' et ''solitaire'', incarne la dualité fondamentale du monde.

Il a créé une oeuvre à l'image du monde, inintelligible et tendueentre deux pôles, une oeuvre entre oui et non, à l'image du crépuscule et de l'homme absurde qu'il est devenu.

Désormais, il n'a plus à peindre.

Jonas illustre ainsi la définition de l'artiste décrit dans ''Le mythe de Sisyphe'' car la tâche qu'il se donne est de ''montrer d'un doigt précis la voie sans issue oùtous sont engagés'', tel un messager divin (il a d'ailleurs des disciples).

Cet diffusion du savoir absurde, cet altruisme se retrouve également en la personne deMerseault puisqu'il est le narrateur du récit de son parcours.

L'auteur et le narrateur se confondent et ''L'étranger'' apparait ainsi comme la volonté chez Merseault detémoigner de son expérience fructueuse.

Au dessus des hommes et du temps linéaire, libérés du futur, la révolte les plonge tous deux dans ce que Camus appelle, dans ''Le mythe de Sisyphe'', '' lalongue complicité des hommes aux prises avec leur destin''.

Du haut de la soupente, où l'on ne pouvait plus le voir ''ni dans la journée ni dans le soir'' (p.137), entreexil et royaume, Jonas est bel et bien dans le temps cyclique : ''une belle journée commençait mais Jonas ne s'en apercevait pas'' (p.138).

Il peut dés lors écouter ''labelle rumeur que font les hommes.

De si loin, elle ne contrariait pas cette force joyeuse en lui'' (p.139) car il était conscient, ''libre et vif'' (p.139), ''seul sans se séparerdes siens'' (p.136).

Il tombe ''sans bruit'' de la soupente, véritable étape de transition, car sa chute est intérieure : il a compris et s'apprête à tout revivre, loin de lacomédie et des illusions.

C'est une chute symbolique symbolisant un nouveau départ, nuancé et serein, dans l'appartement à nouveau vide.

Cette nuance se maintient jusque dans l'impossibilité de trancher entre la mort ou la vie des protagonistes.

Tout comme l'ambigüité plane sur le sort deMerseault, rien ne permet d'affirmer si Jonas, malade sur son lit, est proche de la mort ou prêt à renaître.

Le médecin assure qu'il guérira mais Jonas n'a plus rien àpeindre et si l'on suit ''Le mythe de Sisyphe'', ''si quelque chose termine la création (...), c'est la mort du créateur qui ferme son expérience et le livre de son génie''(p.155).

Il est dit de lui qu'il a l'air d'un ''fantôme'' (p.138), c'est-à-dire ni mort ni vivant, mais dans la juste mesure.

De plus, l'ombre qui règne sur la soupente ''luiparaissait celui du désert ou de la tombe'' (p.135), c'est-à-dire soit une transition vers une nouvelle vie, soit un dernier répit avant la mort.

Ce qui est sûr, c'est qu'il esttransfiguré.

Il sait désormais qu'il ne peut comprendre le monde, il n'a rien à espérer de lui et telle est la seule certitude qu'un homme se doit d'avoir.

S'il guérit, ilvivra en homme absurde, purgé des illusions du monde, et s'il meurt, ce sera une mort libre et pleinement assumée.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles