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L'accord des hommes sur une idée peut il etre un critere de vérité ?

Publié le 29/12/2012

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L'accord des hommes sur une idée peut-il être un critère de vérité? I-L'accord entre les hommes ne peut pas être un critère de vérité (1)Les raisons de l'accord des hommes entre eux n'ont en général rien à voir avec la vérité. -Les opinions les plus répandues ont leurs sources dans la pression des traditions, des groupes et des sociétés sur les individus. Elles ne sont pas issues de la libre réflexion, du doute, de la critique, mais de l'imitation, de la répétition, de la peur d'être différent et du besoin de certitudes. L'accord des hommes est donc fréquemment la manifestation de forces collectives, et d'une absence de pensée : il est souvent l'expression de croyances et de préjugés qui ne peuvent ni ne veulent se justifier, car ils ne reposent pas sur la raison. Parce qu'il est le plus souvent produit passivement, collectivement, et de manière irrationnelle, l'accord entre les hommes n'est donc pas un critère de vérité. -Non seulement par son origine l'accord entre les hommes s'éloigne du vrai, mais en plus il s'oppose à lui, et constitue un obstacle dans la recherche de la vérité. Pour penser il faut en effet prendre du recul par rapport aux idées les plus répandues, remettre en cause les opinions reçues et majoritaires, chercher les véritables causes ou raisons qui font qu'une idée est vraie sans se préoccuper de savoir si un grand nombre de personnes l'admet. Ceux qui ont fait avancer la connaissance ont presque toujours été minoritaires et en opposition à leur époque, parce qu'ils refusaient de se contenter de ce sur quoi leurs contemporains étaient d'accord (par exemple Galilée). Le partage d'une même idée n'est donc pas un critère de vérité car on constate que c'est seulement en remettant en cause les idées les mieux partagées qu'on peut atteindre la vérité. Seul les individus pensent, ce qui signifie que pour penser il faut se différencier des opinions collectives. Et de ce fait, quand tout le monde pense la même chose, plus personne ne pense. L'accord de tous fait donc obstacle à la découverte de la vérité, découverte qui reste néanmoins possible car l'unanimité n'est jamais parfaite, qu'au sens stricte elle n'existe pas. C'est parce qu'il y a toujours des opinions différentes qui se confrontent, des désaccords émanant de la réflexion des individus, que la connaissance progresse. (2)Par sa nature même l'accord entre les hommes n'est jamais une preuve. -Une erreur même répétée des millions de fois ne fera jamais une vérité. La vérité reste en effet ce qu'elle est qu'on la connaisse ou pas, et quel que soit le nombre de personne qui la connaisse. Puisque la vérité reste indépendante de ceux qui la connaissent, l'accord entre les hommes ne permet pas distinguer le vrai du faux, il ne permet ni d'affirmer que l' idée sur laquelle il y a accord est vraie, ni qu'elle est fausse. Le fait qu'un grand nombre d'hommes adhère à une idée, que plus elle est partagée plus elle entraîne l'adhésion, cela ne prouve que la force du nombre, mais en aucun cas la vérité de l'idée. L'accord entre les hommes est donc une force mais la force est sans rapport avec la vérité. La force persuade, impose, manipule, mais elle ne peut rien contre la vérité elle-même. Elle peut simplement empêcher de voir la vérité, elle peut la dissimuler mais elle ne pourra jamais faire que ce qui est vrai ne le soit pas, ou que ce qui est faux soit vrai. La force n'a donc aucune force contre la vérité : elle est toujours faible face au vrai car elle est impuissante à le faire changer. -Seule la preuve est un critère de vérité, or l'accord des hommes entre eux n'est jamais une preuve. Ainsi ce qui indique qu'une idée est vraie, c'est qu'elle est démontrée, qu'elle provient d'un raisonnement rigoureux qui ne laisse aucune place l'erreur ou à l'incertitude. Comme le montre l'exemple des mathématiques, c'est la cohérence d'une démonstration qui fournit un véritable critère de vérité, car un raisonnement cohérent est un raisonnement nécessaire, qui ne peut pas ne pas être vrai, qui est donc vrai même s'il y a désaccord. En effet on peut ne pas comprendre une démonstration mais cela ne change en rien sa vérité. Un théorème mathématique a une vérité universelle (qui vaut pour tous), même si presque personne ne sait expliquer pourquoi : il suffit qu'un seul mathématicien en ai apporté la preuve pour que cela soit vrai de manière infaillible même sans aucun accord des autres mathématiciens. Si chacun maîtrisait les démonstrations mathématiques, cette maîtrise entraînerait l'unanimité, et tout le monde s'accorderait pour admettre ce qui est prouvé, comme on s'entend sur les calculs les plus simples (comme 2+2=4). Mais cela ne voudrait pas dire que l'accord des hommes serait un critère de vérité. Car quand les hommes s'accordent sur la vérité, l'accord n'est que la conséquence de la vérité et non sa cause : c'est la vérité qui fait alors s'accorder les hommes et non le fait qu'ils s'accordent qui rendrait leur affirmation vraie. La vérité peut donc entraîner parfois l'accord des hommes mais l'inverse n'est jamais vrai, l'accord n'est jamais ce qui produit la vérité. (3)Même si l'accord entre les hommes n'est jamais une preuve de vérité, cela ne l'empêche peut être pas d'être un critère de vérité, car la démonstration logique et le modèle du raisonnement mathématique ne peuvent pas être le seul critère de la vérité, étant donné que toutes les vérités ne sont pas susceptibles de démonstration. Face à une démonstration logique l'accord entre les hommes ne sera jamais un critère de vérité. Pourtant tout n'est pas susceptible d'être démontré à l'aide de la logique, car il y a des réalités qui échappent au domaine de la logique, et vis-à-vis desquelles on ne peut aboutir à aucune certitudes absolues. L'accord entre les hommes ne serait jamais un critère de vérité que si tout était démontrable, que si toutes les vérités pouvaient avoir la même nécessité, la même universalité et la même solidité que les vérités mathématiques. Or comme cela n'est pas le cas, pour pouvoir déterminer que certaines théories ou certaines affirmations sont vraies, on a besoin de recourir à d'autres critères que la seule cohérence logique. On ne peut donc pas exclure à priori la possibilité qu'en dehors des mathématiques et de la logique, l'accord entre les hommes puisse fournir une indication sur la vérité, sans être pour autant une preuve. Quand il est impossible de disposer de preuves démonstratives( seul critère absolu de vérité, qui rend inutile tous les autres), il faut chercher d'autres critères, différents de la démonstration. La question est alors de savoir si l'accord entre les hommes ne serait pas dans ce cas un critère, et surtout à quelles conditions ? L'accord des hommes entre eux ne peut pas automatiquement être un signe de vérité étant donné les défauts qu'il représente souvent, et qu'on a déjà observés. Si parfois il peut l'être cependant, il faut montrer précisément comment et pourquoi. II-L'accord entre les hommes peut parfois être un critère de vérité dans certains domaines, et à certaines conditions. (1)La recherche de la vérité doit s'appuyer sur des principes premiers qu'on a pas besoin de démontrer : à condition que l'accord des hommes entre eux reflète ces évidences fondamentales et qu'il permettre de les repérer, il peut devenir un critère de vérité . -Tout raisonnement démonstratif a besoin de s'appuyer sur une base d'affirmations et de présupposés qu'on a pas besoin de démontrer, parce qu'on les prend pour acquis et pour point de départ. Or si ces présupposés proviennent d'une démonstration précédente, il faut à son tour que celle-ci ai eu une base d'autres présupposés. Mais si tout raisonnement pour être vrai devait toujours faire appel à un raisonnement précédent, aucune démonstration ne serait jamais complète car il faudrait démontrer ce qui sert de base à la démonstration sans qu'il y ai de fin à cette démarche. La cohérence ou vérité-formelle est donc un critère insuffisant de vérité, car une affirmation tout en étant logiquement déduite peut être absurde, sans rapport avec la réalité, ce qui signifie que ce qui rend un raisonnement cohérent vrai, doit être quelque chose d'extérieur au raisonnement lui-même, le fait qu'il repose sur des principes vrais de manière évidente, c'est-à-dire dont on voit immédiatement la vérité sans qu'on puisse en douter, et sans qu'on ai besoin de le démontrer. Même en mathématique il faut partir d'axiomes, sur lesquels tous les mathématiciens s'accordent et qui n'ont pas besoins d'être prouvés : l'accord entre les hommes fournit ici un critère parce qu'il reflète une vérité-matérielle immédiate et intuitive. -Le fait que tous les hommes s'entendent dans le temps et dans l'espace sur une idée, sans avoir eu de contactes les uns avec les autres, et donc s'en avoir pu vraiment s'influencer mutuellement, constitue un signe a posteriori de la solidité de cette idée, car cela montre que malgré leurs différences ils ont tous la même intuition, qu'ils aboutissent tous malgré un contexte historico-social différent, à des conclusions dont le contenu est semblable sur le fond, même si elles peuvent être présentées de manières différentes sur la forme. Cela indique que ce qui fait s'accorder les hommes n'est pas forcément faux, et qu'il doit bien y avoir à l'origine du partage spontané de certaines idées des raisons véritables et non accidentelles, même s'il n'est pas toujours possible de les formuler distinctement, et à la condition que le partage des ces idées ne soit pas le simple résultat d'une pression imposée aux individus. Même s'il faut toujours critiquer les traditions et les croyances collectives, on apprend toujours à penser à partir d'elles, et le fait qu'elles aient pu se maintenir malgré les critiques et les remises en cause, en les acceptant sans se refermer sur elles-mêmes, indique qu'elles doivent contenir un noyau de vérité, même s'il n'est pas facile de le distinguer de tout ce que la coutume y ajoute de secondaire et de relatif. L'accord entre les hommes peut donc être un signe de vérité à condition qu'il ne refuse pas la critique, et qu'il permette ainsi de repérer des évidences naturelles, partagées de manière universelle, parce qu'elles résistent au doute sans chercher à se dérober devant lui. Par exemple même si toutes les sociétés obéissent à des règles différentes et conventionnelles, il y a des règles dans toute société, ce qui montre la vérité et le caractère non artificiel de l'idée que les hommes ont besoins d'instaurer certaines règles de vie commune pour pouvoir vivre ensemble. De même le fait qu'il y a des croyances religieuses dans toute société ne veut pas dire que le contenu de ces croyances est vrai (par exemple cela ne prouve pas l'existence de Dieu), mais cela montre par contre qu'il y a un lien naturel entre l'existence de l'homme et l'existence de la religion, que l'homme a sans doute toujours eu besoin de croyances. L'accord des hommes peut donc être un signe de la présence d'une vérité, quand il exprime des évidences fondamentales, à condition qu'on distingue bien ce qui est alors évident de ce qui est déjà une interprétation incertaine et discutable de l'évident. (2)Dans le domaine des sciences expérimentales et dans toutes les activités pratiques, c'est-àdire dans le domaine de l'expérience en général, l'accord des hommes peut être un critère de vérité, soit parce que la vérité n'est jamais définitive et s'invente, soit parce qu'on ne peut compter que sur des probabilités, des croyances dont la valeur se mesure à leur caractère partagé. -Dans les sciences de la nature la connaissance passe par l'expérimentation, or celle-ci ne donne que des résultats particuliers, qui ne peuvent jamais suffire pour prouver la réalité et la vérité de lois générales, universelles et nécessaires : ainsi on ne peut pas passer d'un constat du type « tout x a été f « à l'affirmation « tout x est f «. De ce fait la vérité dans les sciences expérimentales n'est jamais définitive, car de nouvelles théories et de nouvelles expériences viennent remplacer et dépasser les anciennes, qui étaient considérées comme vraies précédemment. Cela signifie que la vérité s'invente et qu'elle n'est pas totalement indépendante de ceux qui la recherchent. Et cela a pour conséquence qu'au sens stricte on ne peut jamais dire qu'une théorie est vraie, mais seulement qu'elle n'est pas fausse, c'est-à-dire qu'elle est considérée par les chercheurs pour l'instant comme la meilleur théorie disponible. C'est pourquoi l'accord entre les scientifiques joue un rôle ici, car les théories ne sont que des hypothèses et des conjectures, dont on évalue le degré de vérité non pas avec des preuves qui donneraient des certitudes, mais avec des critères multiples qui ne donnent que des probabilités. En effet l'expérience ne permet jamais à elle seule de décider qu'une théorie est meilleure qu'une autre, car il y a toujours plusieurs théories susceptibles d'expliquer les mêmes faits. Etant donné qu'on ne peut pas prouver alors qu'un théorie est fausse et que l'autre est vraie, c'est souvent le fait que l'une est préférée à l'autre par un grand nombre de chercheurs qui va lui donner une plus grande valeur de vérité. Bien sur cet accord qui se fait sur une théorie doit être justifiée par des arguments et des discussions, mais ces discussions sont destinées à produire l'accord le plus large possible, à aboutir à un consensus, sans impliquer que la théorie choisie par le plus grand nombre est la seule possible, car les autres peuvent aussi êtres défendues, ont aussi des arguments pour elles. L'accord entre les hommes est donc un critère de vérité lorsqu'il s'agit de choisir parmi des hypothèses, et sans avoir de certitudes, qu'elle est celle dont on peut attendre le plus, en précisant toujours que pour avoir un valeur de vérité cet accord doit toujours être susceptible d'être révisé et doit toujours pouvoir être rediscuté. Donc à condition d'être le résultat provisoire et révisable, de discussions ouvertes et permanentes, faites par des personnes compétentes, l'accord entre les hommes peut constituer même dans les sciences expérimentales un critère suffisant de vérité. -Mais c'est surtout dans la pratique, dans le domaine de l'action individuelle ou collective, que l'accord des hommes entre eux peut jouer le rôle d'un critère de vérité. Car la pratique est par définition un domaine qui échappe à la science, où on ne peut parler de vérités prouvées, mais seulement de savoir-faire, c'est-à-dire de manières d'agir qui font leurs preuves sans qu'on puisse les expliquer et en tirer une méthode. Le domaine de l'action est en effet celui du changement, de l'imprévisible, du hasard, et on ne peut jamais ici compter sur des certitudes, car l'incertitude fait partie de la réalité, d'un contexte toujours singulier. L'action ne sauraient être guidée par des règles de conduites fixes comme le montre Aristote : il ne convient de calculer que si l'on sait qu'on ne peut jamais tout calculer. Comme la vérité est ici en rapport avec un choix qui a toujours quelque chose d'unique, il ne s'agit jamais d'appliquer une méthode, de déduire de la situation le bon choix d'après un raisonnement pur. Si le choix juste pouvait résulter de l'application de règles générales sur le modèle du syllogisme( Tout x est f , g est x , donc g est f) alors on n'aurait plus du tout besoin de choisir. Au contraire la vérité dans la pratique est affaire de prudence, c'est-à-dire de la capacité à insérer l'action au bon endroit et au bon moment dans le cours du monde, sans pouvoir dire pourquoi et en quoi c'est le bon (ce les grecs appellent le Kairos, le moment opportun et unique). Les actions font leurs preuves, montrent aussi leur vérité, mais la vérité se donne ici par l'exemple car il n'y a pas de règles générales. De ce fait l'accord des hommes peut servir ici de critère de vérité car il peut exprimer l'authenticité d'un acte ou d'une oeuvre dont la vérité s'éprouve mais ne se prouve pas. Ainsi le caractère véridique d'une oeuvre d'art, son importance et sa valeur ne se démontre pas, mais se montre et se fait reconnaître par les réactions qu'elle suscite, le fait qu'elle traverse le temps en créant son propre public, en faisant naître autour d'elle l'admiration des hommes, en les faisant s'accorder ; de même alors qu'il est presque impossible de définir dans l'abstrait ce qu'est la sagesse, la justice ou la bonté, l'homme juste ou l'homme sage nous le font comprendre immédiatement, ils nous font toucher pour ainsi dire ce qu'elles sont, par leurs actes. On connaît la justice par les justes, la sagesse par les sages, la liberté par les hommes libres, ce qui veut dire que l'accord entre les hommes peut être un critère de vérité, de ces vérités en tous cas qui doivent faire leurs preuves, et dont la reconnaissance par le plus grand nombre est justement la meilleure preuve. Cela ne veut pas dire qu'il faut confondre succès et vérité : l'accord des hommes entre eux ne peut être un critère que si il s'avère durable, s'impose par lui-même sans être imposée artificiellement, que si il résiste à l'épreuve du temps et n'est pas un simple effet de mode. Les vérités pratiques étant inséparables des effets qu'elles produisent, ne se révélant que par eux, l'accord des hommes sur certaines actions peut donc être le critère de leur vérité, car leur vérité se fait connaître en se faisant sentir. (3)Dans le domaine de la vie et des décisions collectives un accord minimal des hommes entre eux est indispensable et essentiel, car aucune communauté ne pourrait subsister sans l'entente implicite de tous sur un certain nombre de valeurs et d'opinions fondamentales, dont le caractère partagé rend possible l'existence d'un espace commun et permet la construction progressive et toujours à reprendre, d'une vérité commune. L'accord entre les hommes peut enfin être un critère de vérité à certaines conditions dans le domaine des décisions collectives, c'est-à-dire dans la sphère de la politique. Ici aussi c'est parce que la politique, comme recherche du bien commun, ne peut pas être une science, que l'accord des hommes peut avoir une valeur de critère. Si la politique était une science il faudrait laisser à ceux qui savent le soin de décider pour tous, ce qui signifierait que certains sont plus compétents que d'autres pour juger et pour diriger. Cette conception dangereuse conduit directement à la technocratie, c'est-à-dire à confier le pouvoir politique aux savants et aux experts. Or en réalité dans le domaine politique aucun homme n'est mieux placé a priori qu'un autre pour juger de ce qui concerne chacun. Et puisque la décision politique doit viser l'intérêt général, il n'est pas incohérent de penser que la voix du plus grand nombre a plus de chances de refléter et de représenter cet intérêt que l'avis d'une minorité ou d'un homme isolé. L'accord entre les hommes ne donne pas ici une certitude de vérité, mais il définit le moyen le plus propice pour la découvrir et la faire prévaloir. En effet l'accord entre les hommes, qui définit le régime démocratique, avant de porter sur le choix, et même si il n'existe quasiment jamais sur ce qu'il faut choisir, doit déjà exister sur la manière de choisir pour qu'on puisse parler d'une décision collective qui engage chacun, et qu'on puisse s'interroger sur la vérité d'une telle décision. A partir du moment ou l'on reconnaît l'égalité naturelle de tous les hommes, c'est-à-dire le fait qu'aucun homme n'a par nature le droit d'en diriger d'autres, et une autorité sur eux, cela implique que si les hommes forment des sociétés, celles-ci ne peuvent provenir que d'un choix libre de tous, c'est-à-dire d'un contrat social. Autrement dit avant de pouvoir prendre des décisions communes, les hommes doivent déjà s'être entendus pour s'entendre, ils doivent déjà être tombés d'accord sur la nécessité d'un accord, sur la manière de le créer et de la faire respecter. Il faut donc qu'il y ait d'abord une accord de tous sur le principe de la démocratie pour qu'ensuite on puisse débattre et s'opposer sur le choix des dirigeants et des politiques. C'est même parce qu'ils sont déjà d'accord de manière unanime sur l'essentiel, sur les principes fondamentaux de la prise de décision, que les hommes peuvent ensuite être en désaccord sur ce qu'il faut décider, sans que cela entraîne la guerre de tous contre tous, et la dissolution de la société. Puisque nous sommes d'accord sur la démocratie, nous sommes d'accord pour accepter de nous soumettre à ce qui est décidé démocratiquement, même si nous ne sommes pas d'accord avec ce qui est décidé. Si un tel accord fondamental entre les hommes qui forment une société n'existait pas à la base des sociétés, on ne pourrait même pas discuter de la vérité et de la valeur d' une décision commune, car aucune décision commune ne serait possible, chacun cherchant alors à imposer sa volonté aux autres par la force. Pour qu'une société existe il faut donc que chacun s'en reconnaisse membre, même de manière implicite, il faut qu'il y ait accord sur le fait qu'elle existe, sur le fait que chacun partage un intérêt commun. Ici l'accord entre les hommes, l'existence d'un consensus minimal est un critère pour la formation et l'élaboration de la vérité politique, il est ce qui rend possible l'existence d'une vérité commune. -Mais si il détermine la manière la plus véridique de se décider, l'accord des hommes entre eux ne garantit en aucun cas que les décisions qui seront prises seront toujours véridiques. Ce n'est pas en effet parce qu'un choix fait l'unanimité, ou est celui d'une majorité, qu'il est automatiquement plus vrai. Les peuples peuvent donner leur accord à des décisions qui vont à l'encontre de leur intérêt. Quand en particulier chacun suit l'opinion publique, c'est-à-dire se demande ce que pensent les autres avant de se demander ce qu'il pense lui-même, et quand tout le monde en fait autant, l'accord entre les hommes n'est pas du tout un critère de vérité, car il est alors seulement l'effet de la pression d'une masse, sans qu'aucun n'ait réfléchi par luimême à la question. Pour qu'au niveau du choix lui-même l'accord des hommes entre eux devienne un critère de vérité, il faut donc rajouter d'autres conditions. Il faut qu'il exprime vraiment la volonté générale, l'intérêt commun, et qu'il ne soit pas la simple somme d'intérêts particuliers, individuels ou corporatistes, visant à détourner le pouvoir qui provient de tous, à leur seul profit. L'accord des hommes n'a une valeur de vérité dans les décisions collectives que si il résulte d'individus autonomes, qui réfléchissent par eux-mêmes et qui s'accordent après avoir réfléchi et non parce qu'ils ont renoncés à réfléchir. Cela suppose que les individus se préoccupent des décisions qui sont prises en leurs noms, qu'ils les critiquent et participent à leur élaboration : ils faut qu'ils exercent leur citoyenneté, c'est-à-dire leur faculté de juger, sans quoi l'accord entre les hommes devient l'expression d'un attitude grégaire ou chacun suit les autres sans savoir pourquoi, et sans savoir ou cela conduit la collectivité. De même quand il s'agit de décider en l'absence de preuves absolues devant un tribunal, de la culpabilité d'un homme, on fait appel à l'intime conviction des membres du jury, et on donne une valeur à l'accord de tous, justement parce qu'il peut résulter de la réflexion personnelle de chacun. L'accord des hommes entre eux a donc un rôle de critère de vérité dans les décisions collectives car il constitue la meilleure façon possible de prendre une décision, la procédure la moins mauvaise, à condition toutefois de ne pas détruire la libre réflexion, mais de reposer sur elle, et compte tenu toujours des limites de la connaissance humaine. -Bilan synthétique : à quelles conditions l'accord des hommes entre eux peut être un critère de vérité ? -La première condition pour que l'accord entre les hommes soit un critère de vérité, est qu'on ne puisse pas disposer de certitudes et de preuves absolues sur un problème. Quand une vérité peut être démontrée de manière nécessaire, sans aucune erreur possible, l'accord entre les hommes n'a aucune valeur. En revanche quand on ne peut compter que sur des hypothèses provisoires, ou quand la vérité porte sur la pratique, c'est-à-dire sur la question d'un choix à faire dans une situation d'incertitude, l'établissement d'un consensus peut devenir un signe de vérité. -La deuxième condition exige que l'accord des hommes ne soit pas simplement imposée par la force du nombre, de la tradition, qu'il ne soit pas limité à une communauté particulière et l'expression de ses seuls intérêts. Pour avoir une valeur l'accord entre les hommes doit être le plus large possible dans le temps et dans l'espace, c'est-à-dire ne pas pouvoir être soupçonnée d'être un effet de mode, de masse et d'imitation. Il faut donc qu'on arrive à s'accorder sans l'avoir recherché au départ, que l'accord soit un résultat et non un but, pour avoir valeur de critère. Il doit donc provenir de la réflexion personnelle des individus, être basée sur la raison, sur la confrontation des points de vue, sur le doute et la critique, pour avoir une valeur. L'accord des hommes entre eux n'est un critère de vérité que s'il ne repose pas sur un dogme, sur l'interdiction de penser, mais au contraire sur l'ouverture d'esprit et la capacité de s'interroger en permanence.

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