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Les accords de Genève

Publié le 22/02/2012

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20 juillet 1954 - C'est au cours de la nuit du 20 au 21 juillet 1954 que prit fin à Genève la phase " française " de la guerre d'Indochine, entamée le 19 décembre 1946, après une vaine tentative de règlement politique. Le conflit qui opposait le mouvement révolutionnaire constitué en république démocratique du Vietnam à la IVe République aboutissait à une incomplète victoire des combattants vietnamiens, dont la souveraineté était enfin reconnue, mais dans un premier temps sur une moitié seulement du territoire national, et à une défaite limitée de l'ancien colonisateur, qui devait quitter la place mais en bon ordre, dans un délai raisonnable, et avec la chance de préserver, à moyen terme, d'importants intérêts matériels et culturels. Beaucoup d'observateurs de l'époque étaient conscients du caractère précaire de ce règlement, qui confisquait aux révolutionnaires une partie de leur victoire, en attendant la substitution, dans la partie sud du pays, d'un néo-colonisateur à celui qui battait en retraite. Mais l'accord de Genève n'en revêtait pas moins une signification historique considérable, parce qu'il sanctionnait la victoire militaire d'un mouvement révolutionnaire sur une grande puissance, et ouvrait la voie à la liquidation d'un des deux grands empires coloniaux du dix-neuvième siècle. Le camp retranché de Dien-Bien-Phu, où le commandement français avait investi le meilleur de ses moyens et tout son prestige, était tombé aux mains du général Giap, le 7 mai 1954. Le désastre, qui privait le corps expéditionnaire de ses troupes de choc, avait fait tomber les masques au moment même où, à Genève, la conférence internationale, convoquée trois mois plus tôt pour trouver une solution au conflit coréen et, éventuellement, à d'autres affaires asiatiques, abordait la question d'Indochine. Le gouvernement français, qui se refusait obstinément, depuis des mois, à négocier directement avec l'adversaire, entamait la négociation dans le cadre qu'il avait souhaité, celui d'une conférence des cinq grandes puissances : Etats-Unis, URSS, Chine populaire, Grande-Bretagne et France, auxquelles s'étaient jointes les " parties intéressées " : Cambodge, Laos et les deux Vietnams. Le deux de trèfle et le trois de carreau Ce que n'avaient évidemment pas souhaité M. Laniel, alors président du conseil, et ses collègues, c'est que la conférence s'ouvre ainsi sous le signe de la victoire adverse. La brusque modification du rapport des forces qu'elle entraîne ne laisse aux mains du ministre des affaires étrangères et chef de la délégation française, M. Georges Bidault, que des cartes dérisoires: " le deux de trèfle et le trois de carreau ", dit-il lui-même. Les positions françaises n'ont pas été seulement sapées par l'adversaire, elles l'ont été aussi par le principal allié de la France. Après avoir hésité tout un mois, Washington vient de faire savoir urbi et orbi qu'il n'était pas question d'une intervention militaire en Indochine. Tandis que, du côté occidental, les Britanniques ne cessent de plaider pour une négociation à n'importe quel prix et que les baodaïstes, exaspérés par les tergiversations de Paris, ne pensent qu'à arracher à la France les attributs d'une réelle indépendance, les membres du camp socialiste-URSS, Chine, République démocratique du Vietnam-affichent leur résolution et proclament leur solidarité. Celle-ci n'est pourtant pas sans faille. Si Pékin et Moscou ne se différencient guère, en ces temps-là, que par l'orientation de leurs préoccupations principales (plus asiatiques de la part des Chinois plus européennes de la part des Soviétiques), les uns et les autres divergent des Vietnamiens en ce qu'ils donnent alors la priorité à l'instauration de la détente internationale, alors que les vainqueurs de Dien-Bien-Phu songent tout naturellement à tirer les conséquences de leur succès et de leurs sacrifices. Ainsi deux négociations parallèles se dérouleront dans le cadre de la conférence globale. Dans le camp occidental, les Français tenteront de mettre les Américains dans leur jeu pour grandi leur stature de négociateurs. Alors que dans le camp socialiste les Russes et les Chinois s'efforceront de contenir les légitimes impatiences vietnamiennes pour ne pas payer le progrès d'Ho Chi Minh et de Giap d'un retour à la guerre froide. Deux phases distinctes D'entrée de jeu, les révolutionnaires vietnamiens et leurs alliés ont repoussé la demande faite par le négociateur français d'un cessez-le-feu préalable. Pour les vainqueurs, l'arrêt des combats ne saurait être que le couronnement de la négociation politique. Ainsi la négociation se déroulera-t-elle, du 7 mai au 21 juillet, sur une toile de fond militaire, marquée par Dien-Bien-Phu et l'ascendant décisif alors pris par Giap sur le commandement français : pour le corps expéditionnaire, chaque jour qui passe est lourd d'une épreuve nouvelle, et ses chefs ne manqueront jamais de rappeler aux négociateurs de Genève qu'il n'y a pas de temps à perdre. L'histoire de la conférence indochinoise de Genève se divise en deux phases aussi distinctes que les deux hommes qui, tour à tour, menèrent la négociation du côté français. Du 7 mai au 17 juin, ce fut l'époque Bidault, marquée par un esprit de méfiance, de rancune, par des illusions aussi de l'ancien président du conseil, dont le réel talent semblait tendu vers un seul objectif : gagner du temps, en obtenant, par exemple, une trêve, pour permettre aux Américains de se préparer à la grande contre-attaque face aux " rouges ". Attitude que, dans le Figaro, Raymond Aron résumait en une formule, celle de " somnambulisme diplomatique ". Du 18 juin au 21 juillet, c'est M. Mendès France, auquel le Parlement venait de confier, avec la présidence du gouvernement, la tâche expresse d'en finir, qui dirigea la négociation, à la tête d'une délégation qu'animaient toujours l'ambassadeur Chauvel et M. Claude Cheysson, qui avaient tenté en vain d'inciter M. Bidault à traiter hardiment avec le véritable interlocuteur, celui qui se battait dans les rizières et les collines du Vietnam. Le nouveau négociateur français, qui plaidait depuis des années pour un tête-à-tête avec l'adversaire, et qui faisait du dégagement en Asie le préalable absolu à tout effort global de redressement de la France, donna une impulsion et une orientation toutes différentes à la négociation, assurant son succès. Pour distincts qu'aient pu être les deux hommes et les deux phases, les forces en présence et la multiplicité des partenaires subdivisèrent la négociation en actes et en événement fort divers. Essayons d'en isoler les progrès majeurs. Il y en eut cinq. Le 25 mai, après deux semaines de tergiversations sur le thème lancé par M. Bidault d'un regroupement des forces adverses sur place, selon la formule dite de la " peau de léopard ", M. Pham Van Dong, chef de la délégation révolutionnaire vietnamienne, lance, sous une forme ambiguë mais perceptible à ceux qui veulent comprendre, l'idée d'un regroupement par grandes zones, qui signifie en fait le partage-provisoire-du pays. Chacun sait qu'il n'y a pas d'autre méthode pour donner à la guerre un coup d'arrêt décisif. Dans le camp des vrais partisans de la paix, l'espoir se glisse. Le 10 juin, le chef de la délégation vietnamienne, M. Ta Quang Buu, va plus loin : dans un entretien secret avec le colonel de Brébisson, adjoint de son alter ego français, il donne à entendre que les révolutionnaires vietnamiens ne revendiquaient qu' " un Etat, une capitale pour cet Etat, un port pour cette capitale ". L'officier français croit comprendre qu'il s'agit du Tonkin, de Hanoï, de Haïphong. N'est-ce pas là le partage à la hauteur du 18e parallèle que recommandent, depuis des mois, les plus lucides des chefs militaires français, et, récemment encore, le général Ely, principal responsable en Indochine? Le colonel de Brébisson et ses collègues devront très vite constater que l'appétit de leurs interlocuteurs va bien au-delà. Mais la négociation sur le seul thème réaliste, celui du partage provisoire, est bel et bien amorcée. Le 16 juin, alors que les espoirs suscités par l' " ouverture " vietnamienne du 10 juin semblent en train de se dissiper, M. Zhou Enlai, chef de la délégation chinoise, inquiet du cours que prend une négociation qui lui donne l'occasion d'assurer l'entrée solennelle de la Chine populaire dans le jeu de la diplomatie mondiale, formule une concession majeure. Le camp socialiste accepte de disjoindre le sort du Cambodge et du Laos de celui du Vietnam et de ne pas assimiler les droits et les représentations des organisations révolutionnaires dans les deux royaumes à ceux des Vietminh au Vietnam. Point sur lequel la diplomatie française (soutenue à fond sur ce terrain par les Anglo-Américains) avait fait savoir qu'elle ne transigerait pas. Le 29 juin, sur les instances de M. Mendès France, qui a pris depuis dix jours la relève de M. Bidault et qui a, entre-temps, rencontré à Berne M. Zhou Enlai, les gouvernements américain et britannique font savoir qu'ils respecteront et soutiendront une solution comportant un partage du Vietnam aux alentours du 17e parallèle pour peu que soient préservées les chances d'une réunification de ce pays et que soit respectée l'intégrité du Laos et du Cambodge. Un " ultimatum à soi-même " Cette harmonisation des thèses du camp occidental allait être réaffirmée deux semaines plus tard à Paris par MM. Dulles et Eden, consolidant la position de M. Mendès France pour la dernière étape de la course à la paix : car, en prenant les responsabilités du pouvoir et de la négociation, le 17 juin, il avait annoncé qu'il se donnait un délai d'un mois pour aboutir à un " accord raisonnable ". Faute de quoi il démissionnerait en proposant au Parlement l'envoi du contingent en Indochine. Pourquoi cet " ultimatum à soi-même " ? D'abord parce que le sauvetage du corps parce que le sauvetage du corps expéditionnaire exigeait une solution d'urgence. Ensuite parce que cette dramatisation du débat donnait plus de relief à ses efforts de négociateur, assurant à sa tentative l'intérêt et le soutien de l'opinion internationale. Enfin parce que le nouveau chef du gouvernement français savait qu'il bénéficiait d'un préjugé favorable du camp socialiste, où l'on verrait sa chute comme un signe du reflux de la détente. Il fallait donc aventurer sa position pour faire de l'adversaire un complice. C'est dans la nuit du 20 au 21 juillet que tout se joua. L'ultimatum Mendès France expirait à minuit. Trop de problèmes restant à régler, on eut l'idée d'arrêter les pendules du Palais des nations, où devait être signé l'accord. En quelques heures, de l'après-midi du 20 juillet à l'aube du 21, M. Mendès France, Eden et Bedell Smith réussirent à convaincre M. Pham Van Dong-paternellement chapitré par MM. Molotov et Zhou Enlai-d'accepter le partage à la hauteur du 17e parallèle (il avait, quelques jours plus tôt, réclamé pour ligne de démarcation le 13e...), de consentir à un délai de deux ans pour la consultation qui permettrait la réunification politique du pays (qui ne devait, on le sait, jamais avoir lieu) et le contrôle des accords par une commission mixte présidée par un " neutre ", un Indien, assisté de Canadiens et de Polonais. Cet accord d'armistice, signé au petit matin par les seuls représentants de l'armée populaire vietnamienne, (M. Ta Quang Buu), et de l'armée de l' " Union française ", (le général Delteil), devait être complété par une convention internationale engageant les neuf participants de la conférence. Mais M. Foster Dulles refusa de signer quelque texte que ce soit aux côtés du représentant de la Chine " rouge ". On se contenta donc d'une déclaration commune non signée, la délégation américaine faisant savoir que les Etats-Unis s'engageaient à ne remettre en question les textes signés le 21 juillet ni par la force ni par la menace. Propos en l'air, s'il en fut... La conclusion donnée au cruel conflit indochinois par les négociateurs de juillet fut bien accueillie par le Parlement français, où les jusqu'au-boutistes tels que MM. Bidault ou Letourneau ne trouvèrent pas de mots pour les condamner, par l'opinion et la presse françaises, qui exprimèrent un soulagement à peu près unanime, et par les hommes d'Etat étrangers les plus directement concernés, comme le président Eisenhower, qui se contenta de déclarer qu'il n'avait rien de mieux à proposer. Les textes de Genève reflétaient assez fidèlement la situation politico-militaire, fruit de quatre-vingt-dix mois d'une guerre absurdement déclenchée et médiocrement conduite. Ils comportaient beaucoup d'obscurités, qui allaient permettre aux adversaires de la paix de transformer le partage provisoire du Vietnam en une division en deux Etats ennemis, d'organiser la relève du colonisateur américain, autrement armé et dynamique; et de substituer progressivement à la douloureuse trêve de 1954 le brutal affrontement de 1959 à 1973. Ainsi Genève marquait moins la fin de la guerre que la substitution à un combat d'arrière-garde de colonisateurs nostalgiques d'une formidable croisade idéologique, et à la défense d'intérêts finissants le déclenchement d'une vigoureuse entreprise de conquête de marchés-qui ne devait pas connaître, en 1973, une issue très différente. JEAN LACOUTURE Le Monde du 20 juillet 1974

« L'histoire de la conférence indochinoise de Genève se divise en deux phases aussi distinctes que les deux hommes qui, tour àtour, menèrent la négociation du côté français.

Du 7 mai au 17 juin, ce fut l'époque Bidault, marquée par un esprit de méfiance,de rancune, par des illusions aussi de l'ancien président du conseil, dont le réel talent semblait tendu vers un seul objectif : gagnerdu temps, en obtenant, par exemple, une trêve, pour permettre aux Américains de se préparer à la grande contre-attaque faceaux " rouges ".

Attitude que, dans le Figaro, Raymond Aron résumait en une formule, celle de " somnambulisme diplomatique ". Du 18 juin au 21 juillet, c'est M.

Mendès France, auquel le Parlement venait de confier, avec la présidence du gouvernement, latâche expresse d'en finir, qui dirigea la négociation, à la tête d'une délégation qu'animaient toujours l'ambassadeur Chauvel et M.Claude Cheysson, qui avaient tenté en vain d'inciter M.

Bidault à traiter hardiment avec le véritable interlocuteur, celui qui sebattait dans les rizières et les collines du Vietnam.

Le nouveau négociateur français, qui plaidait depuis des années pour un tête-à-tête avec l'adversaire, et qui faisait du dégagement en Asie le préalable absolu à tout effort global de redressement de la France,donna une impulsion et une orientation toutes différentes à la négociation, assurant son succès. Pour distincts qu'aient pu être les deux hommes et les deux phases, les forces en présence et la multiplicité des partenairessubdivisèrent la négociation en actes et en événement fort divers. Essayons d'en isoler les progrès majeurs.

Il y en eut cinq. Le 25 mai, après deux semaines de tergiversations sur le thème lancé par M.

Bidault d'un regroupement des forces adversessur place, selon la formule dite de la " peau de léopard ", M.

Pham Van Dong, chef de la délégation révolutionnaire vietnamienne,lance, sous une forme ambiguë mais perceptible à ceux qui veulent comprendre, l'idée d'un regroupement par grandes zones, quisignifie en fait le partage-provisoire-du pays.

Chacun sait qu'il n'y a pas d'autre méthode pour donner à la guerre un coup d'arrêtdécisif.

Dans le camp des vrais partisans de la paix, l'espoir se glisse. Le 10 juin, le chef de la délégation vietnamienne, M.

Ta Quang Buu, va plus loin : dans un entretien secret avec le colonel deBrébisson, adjoint de son alter ego français, il donne à entendre que les révolutionnaires vietnamiens ne revendiquaient qu' " unEtat, une capitale pour cet Etat, un port pour cette capitale ".

L'officier français croit comprendre qu'il s'agit du Tonkin, de Hanoï,de Haïphong.

N'est-ce pas là le partage à la hauteur du 18 e parallèle que recommandent, depuis des mois, les plus lucides des chefs militaires français, et, récemment encore, le général Ely, principal responsable en Indochine? Le colonel de Brébisson et sescollègues devront très vite constater que l'appétit de leurs interlocuteurs va bien au-delà. Mais la négociation sur le seul thème réaliste, celui du partage provisoire, est bel et bien amorcée. Le 16 juin, alors que les espoirs suscités par l' " ouverture " vietnamienne du 10 juin semblent en train de se dissiper, M.

ZhouEnlai, chef de la délégation chinoise, inquiet du cours que prend une négociation qui lui donne l'occasion d'assurer l'entréesolennelle de la Chine populaire dans le jeu de la diplomatie mondiale, formule une concession majeure. Le camp socialiste accepte de disjoindre le sort du Cambodge et du Laos de celui du Vietnam et de ne pas assimiler les droitset les représentations des organisations révolutionnaires dans les deux royaumes à ceux des Vietminh au Vietnam.

Point sur lequella diplomatie française (soutenue à fond sur ce terrain par les Anglo-Américains) avait fait savoir qu'elle ne transigerait pas. Le 29 juin, sur les instances de M.

Mendès France, qui a pris depuis dix jours la relève de M.

Bidault et qui a, entre-temps,rencontré à Berne M.

Zhou Enlai, les gouvernements américain et britannique font savoir qu'ils respecteront et soutiendront unesolution comportant un partage du Vietnam aux alentours du 17 e parallèle pour peu que soient préservées les chances d'une réunification de ce pays et que soit respectée l'intégrité du Laos et du Cambodge. Un " ultimatum à soi-même " Cette harmonisation des thèses du camp occidental allait être réaffirmée deux semaines plus tard à Paris par MM.

Dulles etEden, consolidant la position de M.

Mendès France pour la dernière étape de la course à la paix : car, en prenant lesresponsabilités du pouvoir et de la négociation, le 17 juin, il avait annoncé qu'il se donnait un délai d'un mois pour aboutir à un" accord raisonnable ".

Faute de quoi il démissionnerait en proposant au Parlement l'envoi du contingent en Indochine. Pourquoi cet " ultimatum à soi-même " ? D'abord parce que le sauvetage du corps parce que le sauvetage du corpsexpéditionnaire exigeait une solution d'urgence.

Ensuite parce que cette dramatisation du débat donnait plus de relief à ses effortsde négociateur, assurant à sa tentative l'intérêt et le soutien de l'opinion internationale.

Enfin parce que le nouveau chef dugouvernement français savait qu'il bénéficiait d'un préjugé favorable du camp socialiste, où l'on verrait sa chute comme un signedu reflux de la détente.

Il fallait donc aventurer sa position pour faire de l'adversaire un complice.. »

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