ACTE II - DIVISION 2 (En attendant Godot)

« cadence du renouvellement des épisodes de l'acte entier est affectée d'un mouvement identique, corrélatif aurétrécissement des ressources de l'action. Pénurie et rétrécissement Dans le monologue détraqué de Lucky, il étaitmystérieusement question de l'amaigrissement et durapetissement de l'humanité.

L'action de ces deux formesd'amenuisement dont les effets ne peuvent se constaterque par comparaison ne devient perceptible qu'au secondacte.

Concrètement, elle affecte les éléments physiquesde la représentation.

La moins équivoque des déperditionsapparaît avec l'épisode cocasse de la carotte.

Le choixoffert à Vladimir lors du premier acte s'est comi- quement modifié du couple carotte-navet en celui denavet-radis, pas même des radis rose comme Gogo lesaime, mais des radis noir.

Si cette mutilation est des plussavoureuse, cette autre, par l'objet qu'elle prend pourvictime est tragique : c'est Estragon qui chausse sanspeine les chaussures trop étroites de la veille.

Qu'il ne lesreconnaisse pas ne doit pas nous troubler, personne danscette pièce ne reconnaît rien, Estragon le premier.

Le faitest avéré par Beckett lui-même : «Le lendemain, leschaussures sont indubitablement les mêmes que la veille,et les pieds d'Estragon se sont atrophiés, ont dépéri,rétréci et diminué dans l'intervalle» (à Colin Duckworth).

Ilfaut voir dans cette ratiocination de Vladimir, l'imagedramatisée de l'action du temps sur le corps. Les amaigrissements ne se limitent pas aumonde physique.

Ils rongent également lesressources verbales du dialogue.

Oncomprend facilement que la réitération desmêmes sujets éculés de la conversation sedouble d'une érosion progressive de leurintérêt et de leur étendue.

À l'instar de lacarotte devenue radis, les ressourcesoffertes au dialogue par ce légumes'épuisent en quelques lignes quand ellesoccupaient presque deux pages du premieracte.

Vladimir constate (page 96) que lesujet «devient vraiment insignifiant».

Leschaussures, sans doute l'accessoire le plusfécond du premier acte, malgré le regaind'intérêt qu'occasionne leur faussemétamorphose, subissent le sort de tousles éléments de la représentation : «Assezparlé de ces chaussures» (page 98). Cadence accélérée des épisodes Il résulte de la désintégration desressources vitales de la représentation,l'augmentation de la cadence durenouvellement des séquences.

L'intervallequi sépare le retour des leitmotives'amenuise, leur périodicité s'accélère.

Lemotif de l'attente de Godot qui apparaîthuit fois au premier acte, revient unequinzaine de fois au second. Le jeu Nous avons vu le piège de la circularitédans lequel sont pris Vladimir et Estragon.Il semble à première vue qu'ils parviennentà s'en échapper.

En effet, depuis le débutde l'acte, se sont multipliées les allusions. »