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Aimer, est-ce le possible le plus lointain ?

Publié le 27/02/2008

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Aimer, est-ce le possible le plus lointain? Cette question peut paraitre mystérieuse, en effet, l'adjectif "lointain" peut d'ordinaire faire référence à un lieu ou à un temps. On pourrait donc se demander "lointain de quoi ou de qui ?". La réponse la plus pertinente ici est: le plus lointain du sujet, de l'être qui aime, même s'il va de soi que l'éloignement n'est ici ni physique, ni temporel, mais bien métaphorique. Or, le lointain dont il est question ici est "possible". Nous pourrions définir le "possible" comme ce qui remplit les conditions nécessaires pour être, exister, se produire sans que cela implique une réalisation effective ou que l'on sache si cette réalisation est ou sera effective. La définition de l'acte d'aimer sur laquelle nous sommes invités à réfléchir porte donc une dimension de virtualité essentielle, dimension qui se trouve accrue par l'éloignement. Les termes « lointain » et « possible » sans être oxymoriques sont antithétiques: ce qui est déclaré "possible" est également déclaré "lointain". Toute l'ambigüité réside donc dans le fait de déterminer le sens qu'il faut donner au terme "possible": cela signifie-t-il que l'amour est toujours de l'ordre du virtuel, ou au contraire, que l'amour est possible au sens de réalisable?

« A.

Platon, dans Le Banquet , nous livre un mythe désigné par la tradition sous le nom de « mythe d'Aristophane » dans lequel ilexplique quelle est l'origine de l'amour : au commencement, les êtreshumains étaient dotés de quatre mains, quatre pieds et deux têteschacun.

Une moitié de ces êtres était féminine, et l'autre masculine,ils étaient donc androgynes.

Un jour, ces humains voulurent prendrela place des dieux.

Les dieux ne pouvaient ni se laisser faire, nidétruire l'espèce qu'ils avaient eux-mêmes créée.

Zeus eut alors uneidée : il décida de séparer chaque être humain en deux afin de lesaffaiblir tous.

Depuis, chaque moitié recherche son complément :c'est pourquoi les hommes sont amoureux des femmes et les femmesdes hommes ; avant cela, ils étaient tous androgynes.

B.

C'est donc un manque, une incomplétude originelle qui pousse chacun à se chercher un compagnon.

Aimer ici est un possible en cequ'il est virtuellement inscrit dans l'état d'incomplétude de chaqueêtre : toutes les conditions requises sont effectivement présentespour que nous soyons capables d'aimer.

Un être complet, parfait – end'autres termes un Dieu – ne pourrait aimer, en tout cas pas de lamême façon.

Mais en même temps, c'est un possible lointain, puisquePlaton dit bien que les êtres humains recherchent désespérément leurmoitié, sans jamais parvenir à une réunification totale, qui seraitréellement satisfaisante.

C.

Au XXème siècle, Sartre reprendra cette idée tout en se l'appropriant et en l'intégrant à une vision bien plus globale du sujet comme sujet toujours partagé entre l'être et le néant.

Au chapitre 3 de la troisièmepartie de l'Être et le néant , Sartre définit l'amour comme une volonté d'appropriation d'un type tout à fait particulier : dans l'amour, l'homme « veut posséder une liberté comme liberté ».

En effet, l'amant ne veutpas entendre dire à son amante qu'elle l'aime parce qu'elle s'est engagée à l'aimer : il faut un amourpleinement voulu, décidé, et non un amour consenti en vertu d'un engagement.

Mais en même temps, ilveut être aimé, il ne veut pas d'une liberté qui ne lui serait pas pleinement fidèle et dévouée.

Ce qu'il veut,c'est que la liberté de l'autre soit captivée par elle-même.

L'autre n'est rien d'autre que le possible quis'offre en permanence à mon regard : je peux aimer, je peux être aimé, parce que je sais que l'autre estcapable d'amour, est libre de m'aimer ; mais en même temps, l'autre est le possible le plus lointain parce quec'est une liberté : il peut ne pas m'aimer, et surtout, même s'il m'aime, il peut à tout moment se rétracter.

Ce que nous appelons ici le possible, c'est en fin de compte la liberté, qui elle-même découle du néant del'être : c'est parce que l'être humain n'est pas entièrement ce qu'il est qu'il peut changer et se faire advenirlui-même.

Et l'être humain est en ce sens non seulement un possible parmi d'autres dans mon univers, maisbien le possible le plus lointain, puisqu'il est radicalement étranger à ma propre liberté et lui résiste. Transition : nous voilà devant une aporie : l'être humain, parce qu'il est fondamentalement caractérisé par un manque, désire, mais ce désir, loin d'être un tremplin vers l'amour, lui en barre le chemin, car le désir ne peut menerqu'à la possession. III. L'amour comme reconnaissance de l'existence d'autrui. A.

Simone Weil, dans La pesanteur et la grâce écrit que «parmi les êtres humains, on ne reconnaît pleinement l'existence que de ceux qu'on aime».

On trouve donc ici une définition de l'amour commereconnaissance de la liberté de l'autre, de son existence entière.

L'autre n'est pas uniquement ce que jevois, ce que j'entends, mais il est un être qui lui aussi ressent et vit.

Chez Weil, l'aporie sartrienne est levéepar simple générosité : loin de condamner l'amour vrai à l'échec, elle en montre la rareté.

« La purification estla séparation du bien et de la convoitise » écrit-elle dans le même livre au chapitre intitulé « désirer sansobjet » : il faut purifier notre amour de toute concupiscence, sans pour autant cesser d'aimer, il ne fautdonc pas chercher à abolir la distance et à se saisir de ce qui est lointain pour le faire advenir du rang depossible au rang de réalisation, mais au contraire aimer dans le lointain, purifié de toute convoitise, pour quele possible devienne réalité.

B.

Le véritable désir, le désir d'amour n'est donc pas un désir de possession, mais un désir sans objet, pur : « arriver à savoir exactement ce qu'a perdu l'avare à qui on a volé son trésor ; on apprendrait beaucoup ».en effet, l'avare, c'est celui qui aime son argent (possible s'il en est, puisque l'argent ne sert à rien d'autrequ'à pouvoir acquérir des richesses), qui veut le conserver comme possible, puisque jamais il ne le dépense ni ne le prête, mais qui veut le garder, se l'approprier.

Or, cette appropriation de l'or par l'avare est absurde :c'est au moment où il croit le posséder, bien à l'abri dans sa cassette enterrée, qu'il en profite le moins, qu'ilest finalement le moins riche.

Vouloir posséder quelque chose qui serait un possible est dès lorscontradictoire.

C'est au contraire en conservant la distance, en aimant de loin – parce qu'on reconnaitl'existence propre de l'autre, son altérité radicale – que l'on aime véritablement.. »

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