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Analyse filmique : La Marche sur Rome, Dino Risi

Publié le 09/05/2011

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Le 24 octobre 1922 à Naples, devant pas moins de 40 000 militants du Parti National Fasciste (PNF), Benito Mussolini déclare : « Moi, je vous le dis, avec toute la solennité que le moment impose : ou ils nous donnent le pouvoir, ou nous le prenons en tombant sur Rome. « En plus de résumer en une phrase simple le fonctionnement méthodique du fascisme, Mussolini envoie au gouvernement de Victor Emmanuel II un signal fort quant à la détermination qui animent les membres et sympathisants du PNF, à savoir une prise du pouvoir quelles qu’en soient les conditions. Le 29 octobre, le Roi fait parvenir à Mussolini un télégramme dans lequel il appelle clairement ce dernier à la tête du gouvernement. La question est alors évidente : comment, alors même que la Marche sur Rome reste une opération où stratégiquement parlant les fascistes ont fait preuve d’un manque d’efficacité incontestable (selon les sources seules 9000 chemises noires auraient été mobilisées, mal armées et confrontées à une armée royale bien supérieure), comment le pouvoir royal a pu en quelques jours céder face la pression d’une minorité a priori mal organisée ? Dans cette optique, le film de Dino Risi, qui passe pour des maîtres de l’âge d’or du cinéma italien apporte un point de vue particulièrement intéressant à étudier, tournant à la dérision à travers les deux personnages comiques que sont Domenico Rochetti et Umberto Gavazza, un épisode cependant crucial dans la montée du fascisme en Italie.

« une impression de sacrifice non reconnu de « ceux qui ont tout donné à la patrie » pour sauver une nation ingrateen définitive (pensions faibles, Rochetti est bien en train de mendier son pain dans la rue).

On notera également quece sont deux personnages assez faibles d'esprit, largement influençables (vraisemblablement illettrés, on le remarquelorsque Rochetti essaye d'écrire « fascio » sur un mur) dans une certaine mesure néanmoins, nous y reviendrons.Comme beaucoup d'Italiens alors, et dans une situation post- première guerre mondiale sensée ouvrir « une ère debien-être et de travail pour tous, enfin peut-être pas pour tous » précise le commentaire au début du film, le choixd'un changement radical d'orientation politique pour l'Italie est apporté par les extrêmes.

C'est donc d'une partl'alternative initiée par la IIIe Internationale soviétique née des Révolutions russes de 1917, plus simplement lecommunisme, et d'autre part la continuité de mouvements nationalistes anti-démocratiques et révisionnistes (vis-à-vis du Traité de Versailles et de la « Vittoria mutilata »), soit dans un premier temps les Faisceaux italiens decombat crées en mars 1919 par Mussolini formant le noyau dur du PNF fondé lui en 1921.

C'est à ce choix que sontconfrontés Rochetti et Gavazza.

Le premier rejoint les fascistes, séduit par leur programme « prolétaire eténergique »ce qui assurément est la seule option pouvant lui donner du travail, un engagement donc intéressé, sansgrande conviction pourrait-on dire.

Gavazza lui est au départ proche des mouvements bolcheviks : c'est un paysanpauvre dont l'unique revendication est « la terre aux paysans avec exploitation associée », ce qui figure dans leprogramme du PNF que lui montre Rochetti.

Sa distinction entre les deux mouvements est floue, on le remarque, etfinalement on s'attachera à dire que c'est le cas pour la majorité des Italiens (à juste titre néanmoins, surtoutlorsque l'on connaît les opinions premières de Mussolini).

Il rejoint finalement le PNF, au moment du résultat desélections de Novembre 1919, véritable échec pour les fascistes puisqu'aucun de leur candidat n'est élu.

Le plan surl'expression de son visage au moment où Paolinelli lui demande s'il est des leurs est tout à fait révélateur de laposition de beaucoup d'adhérents au PNF à ce moment là : un embrigadement certain facilité par la crédulité et desrevendications ciblées (ici la collectivisation des terres pour Gavazza).

En somme deux personnages en déroute, quivoient dans le fascisme une solution à court terme à leur problème ou revendication et s'engage aveuglément dansl'action directe (souhaitée par Mussolini désigné pour la première fois par la périphrase « notre chef à tous », suite àl'échec des élections, ainsi que le mentionne Paolinelli lors des résultats : « descendons dans la rue ! »).

La scènerésumant le mieux cet état d'esprit est celle où, ivres, ils s'adressent à un chien dans la rue « tu n'as pas de niche,pas d'os ? Alors devient camarade ! ».

Rochetti dira même « un homme a besoin de se sentir exister, voilà pourquoile fascisme me va ».

Du statut de « zéro », ils sont donc devenus des hommes.

Dès lors, les deux protagonistesvont se confrontés à une évolution progressive de leur propre point de vue concernant le fascisme, notamment dufait des obstacles qu'ils rencontrent dans leur lutte militante : c'est d'abord l'opposition aux communistes dans labataille électorale de 1919 ; c'est le conflit suite au cassage de grève orchestré par les fascistes lors de la grèvedes balayeurs à Milan en 1919 (après des heurts avec la police, ils sont jugés et condamnés à deux ans de prisonpour servir d'exemple) ; c'est encore les conflits persistants avec les paysans communistes au moment de la Marchesur Rome (que Gavazza ne comprend pas : « je suis de votre côté ! ») etc.

En même temps qu'ils se confrontent àces obstacles donc, la véritable nature du fascisme leur apparaît.

Gavazza raye ainsi progressivement des lignes duprogramme que lui a donné Rochetti : « souveraineté du peuple avec élections libres » lors de la revendication dupouvoir par la force par les fascistes ; l'article 14 stipulant la liberté de la presse, lorsque les fascistes brûlent uneimprimerie communiste (« Unita Proletaria ») à Mantoue ; « abolition de tous les titres nobiliaires et autres titreschevaleresques » ainsi que « la terre aux paysans avec exploitation associée » lorsqu'il s'aperçoit que les fascistescollaborent avec les classes possédantes.

Et à mesure qu'il raye ces lignes, ses illusions ainsi que celles de Rochettise lèvent.

De façon métaphorique, une scène démontre cette désillusion progressive : lorsque Rochetti et Gavazzavolent la voiture du marquis et rejoignent leur compagnon, Rochetti dit (en parlant de la voiture) « la marche avantest inversée », soit plus ils progressent et plus leur engouement pour le fascisme recule.

Enfin, lorsque Mittraglia tiredans le dos d'un homme à la fin du film, Gavazza comprend ce qu'implique la prise de pouvoir par les fascistes etchoisit de fuir, entraînant au départ malgré lui Rochetti.

Arrivés à Rome, en civil, ayant désertés le PNF, ces derniersassistent à l'entrée dans Rome des « squadristi », et dernière image forte, ils font malgré eux le salut fasciste.

Ensomme, Dino Risi à travers ces deux premiers rôles met en avant la façon dont la doctrine fasciste peut d'une façonrelativement aisée contrôler ou du moins neutraliser les masses : on a l'impression d'un engrenage inarrêtableexploitant le peu de conviction d'une minorité en grande partie illettrée et largement influençable, vers l'installationd'un régime totalitaire et dictatorial. Intéressons-nous à présent aux seconds rôles présentés par le réalisateur en dessinant deux camps : les fascistes et les opposants au fascisme, en nous concentrant sur les personnages du capitaine Paolinelli, deMittraglia, de l'intellectuel fasciste, et du marquis d'une part, sur le beau-frère d'Umberto, le juge et l'officier du roid'autre part.

Le capitaine Paolinelli incarne le corps exécutif du PNF.

C'est un « ras », le leader charismatiquesusceptible de fédérer les masses au profit du fascisme.

C'est un ancien combattant lui aussi, mais à la différencede Rochetti il était déjà gradé, on suppose qu'il s'en sort mieux après la guerre donc.

Bien que dans une meilleurecondition que beaucoup « d'arditi », il s'oppose lui aussi à la domination de certaines catégories de personne, commeles bourgeois et déclare au début du film que de « vrais italiens, patriotes, se sont unis au sein d'un mouvementpour dire assez à cette infamie ».

Par infamie entend-il alors l'ingratitude de la nation à l'égard des ancienscombattants ou plus largement la Victoire mutilée que nous évoquions, à savoir le fait que l'Italie ne s'est pas vuattribuer les territoires revendiqués avant la guerre et considère le Traité de Versailles comme une entrave à leurvictoire pleine et entière ? C'est d'ailleurs ce que Paolinelli dénonce avec violence lors du discours pré-électoral qu'ilprononce dans le village de Gavazza « magnifique et mutilée notre terre-mère ! ».

On remarque l'influence certainequ'il exerce sur ses camarades (Rochetti veut lui serrer la main, le capitaine répond qu'on se salut à la romaine) etqu'il fait à plusieurs reprises référence à l'Empire Romain, ce qui est caractéristique des dirigeants fascistes (et parmieux bien évidemment Mussolini) : les légionnaires de César ayant eu la terre aussi, après la victoire, lorsque Gavazzalui demande si les paysans auront la terre.

Paolinelli est donc l'image du leader fasciste, déterminé etparticulièrement influent.

A une autre échelle d'importance, un personnage dont le nom n'est pas mentionné. »

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