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André GIDE, La Porte étroite

Publié le 11/02/2011

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Lucile Bucolin ne prenait que peu de part à notre vie ; elle ne descendait de sa chambre que passé le repas de midi ; elle s'allongeait aussitôt sur un sofa ou dans un hamac, demeurait étendue jusqu'au soir et ne se relevait que languissante. Elle portait parfois à son front, pourtant parfaitement mat, un mouchoir comme pour essuyer une moiteur; c'était un mouchoir dont m'émerveillaient la finesse et l'odeur qui semblait moins un parfum de fleur que de fruit ; parfois elle tirait de sa ceinture un minuscule miroir à glissant couvercle d'argent, qui pendait à sa chaîne de montre avec divers objets ; elle se regardait, d'un doigt touchait sa lèvre, cueillait un peu de salive et s'en mouillait le coin des yeux. Souvent elle tenait un livre, mais un livre presque toujours fermé ; dans le livre, une liseuse d'écaillé restait prise entre les feuillets. Lorsqu'on approchait d'elle, son regard ne se détournait pas de sa rêverie pour vous voir. Souvent, de sa main négligente ou fatiguée, de l'appui du sofa, d'un repli de sa jupe, le mouchoir tombait à terre, ou le livre, ou quelque fleur, ou le signet. Un jour, ramassant le livre — c'est un souvenir d'enfant que je vous dis — en voyant que c'étaient des vers, je rougis. Le soir, après dîner, Lucile Bucolin ne s'approchait pas à notre table de famille, mais, assise au piano, jouait avec complaisance de lentes mazurkas de Chopin ; parfois interrompant la mesure, elle s'immobilisait sur un accord...    André GIDE, La Porte étroite, 1909.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé, en montrant, par exemple, comment André Gide laisse deviner la personnalité de cette jeune femme à travers des attitudes évoquées par la mémoire d'un enfant qui est son neveu.

L'œuvre d'André Gide, extrêmement diverse, affirme très tôt une morale faite d'autonomie et de liberté. En 1902, il écrit L'Immoraliste qui décrit à travers un personnage le goût de la liberté absolue. Puis en 1912, il rédige La Porte étroite. Le titre tire son nom de la parabole de Luc qui désigne ainsi le passage qui mène au salut. Ce roman décrit le drame du renoncement. Jérôme le narrateur aime Alissa. Mais celle-ci, fervente croyante, se détache du monde.   

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« piano.

Par ailleurs, elle semble absolument dénuée de force : les objets lui échappent des mains : « le mouchoirtombait à terre, ou le livre, ou quelque fleur, ou le signet ». L'énumération séparée par des virgules qui accentuent la force de la conjonction « ou » souligne la fréquence deces petits événements.

A la limite, on a d'ailleurs l'impression qu'en ces moments, c'est le seul mouvement quiintervient.

De plus « le » livre alors que plus haut nous avions « un » livre laisse entendre qu'elle se contente detoujours tenir à la main le même ouvrage.

Le verbe « cueillait » indique une délicatesse que dément le complément «un peu de salive » ! Très proche de la délicatesse, le raffinement des objets dont elle se sert : « un mouchoir dont m'émerveillaient lafinesse et l'odeur qui semblait moins un parfum de fleur que de fruit.

» On note ici l'intervention du narrateur. Puis un « minuscule miroir », l'adjectif aussi va dans le sens de la délicatesse.

La matière, l'argent, en accentue leprix, de même « la liseuse d'écaillé » indique la beauté des plus infimes objets. La langueur Elle est manifeste dans les attitudes, dans le manque de force du personnage.

D'ailleurs, les traits de Lucile Bucolin ne sont pas décrits.

Seul le narrateur parle d'un parfum de fruits, c'est le sensle plus évanes-cent. Les termes « languissante », « moiteur », « fatiguée », « lente » rythment le passage et donnent à cette femme unaspect maladif.

On remarque d'ailleurs qu'elle n'a aucun rapport avec la nourriture : elle descend après « le repas demidi » et le soir, on ne sait trop ce qu'il en est.

Les aliments ne sauraient convenir à un personnage aussi éthéré. Le rêve intérieur L'auteur, plus exactement, parle de rêverie pour désigner « l'activité » principale de la jeune femme. « Un livre presque toujours fermé » : il semble en effet que la lecture soit une occupation qui requière tropd'attention et de concentration.

Le « presque » laisse, pourtant, entendre que parfois la lecture de quelques lignesvient nourrir sa rêverie.

La musique, en revanche, convient davantage à ce genre de sensibilité. D'ailleurs, l'épisode quelque peu énigmatique de la fin du premier paragraphe montre la jeune femme sous un jour unpeu nouveau. Elle semblait insensible, indifférente aux êtres, sinon à soi-même et voilà que ce recueil de vers suggère unesensibilité...

mais cette sensibilité peut très bien s'apparenter au romantisme complaisant du personnage. Cette découverte entraîne, en partie, l'émotion de l'enfant : « je rougis ». Cependant, une autre interprétation est possible, dans un milieu austère du siècle dernier ou du début du siècle, lalecture de poèmes n'est pas très recommandable.

L'enfant rougit donc d'avoir surpris un secret, le secret d'unesensibilité cachée et un peu fautive. Le narcissisme Le personnage, à de très rares exceptions près, se replie entièrement sur lui-même : le livre est fermé parce quepeut-être la rencontre d'un auteur le détournerait de sa propre rêverie.

Aucun signe n'indique qu'elle ait remerciél'enfant qui a ramassé le livre tombé à terre. Aucun sentiment, en dehors de la fatigue et de l'indifférence, ne semble affleurer. Seul geste véritablement marquant dans le premier paragraphe, la contemplation de soi : « elle se regardait ».

De plus son image est renvoyée par un « minuscule miroir » si bien qu'elle doit se concentrer sur ce reflet, infime, quilui semble tout un monde. Le soin qu'elle a de sa personne se manifeste aussi dans la phrase suivante : « Elle portait parfois à son front, pourtant parfaitement mat, un mouchoir comme pour essuyer une moiteur.

» Pardeux fois l'auteur insiste sur l'aspect imaginaire de ce « malaise » : avec « pourtant parfaitement mat » et avec «comme ».

L'observateur ne voit aucun des troubles qu'elle perçoit. Autre attention à soi-même : « d'un doigt touchait sa lèvre, cueillait un peu de salive et s'en mouillait le coin desyeux ».

Les deux premières actions sont très rapides comme le prouve l'absence de conjonction de coordination.

En. »

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